Un tiers des électeurs turcs restent fidèles au président Erdogan: "Il a changé ma vie"
L’économie est-elle le talon d’Achille du président Erdogan ? Sa politique monétaire, inflationniste, pèse sur les ménages. Mais l’hyperprésident garde un noyau d’électeurs et les élections ne sont qu’en 2023.
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Publié le 05-12-2021 à 09h53 - Mis à jour le 05-12-2021 à 12h45
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"J'ai voté pour Erdogan lors de la présidentielle de 2018 et pour le candidat de l'AKP [Parti de la justice et du développement. NdlR], Binali Yildirim, pour les élections municipales en 2019", explique Metin, 26 ans, assistant de recherche en lettres dans l'une des nombreuses universités privées d'Istanbul. "J'avais de l'admiration pour tout ce qu'il avait réalisé en termes de développement des transports et le candidat de l'opposition était un illustre inconnu."
"Je sais qu'on reproche au président Erdogan une forme d'autoritarisme, mais je n'ai pas de preuve concrète de son intervention directe dans le processus judiciaire par exemple. Je préfère me concentrer sur leur bilan", développe-t-il.
Des élections en 2023
Pour le jeune homme, il est encore bien trop tôt pour dire s'il votera à nouveau pour le parti de l'AKP aux prochaines élections législatives et présidentielle prévues en 2023. Toujours est-il que la situation économique ne sera pas motif de vote sanction : "Je constate en effet que le pays traverse une situation économique difficile, mais, à mon échelle, je ne le ressens pas beaucoup", admet-il.
Arrivé au pouvoir en 2003 dans un contexte de grave crise financière, le parti islamo-conservateur fraîchement constitué de l’AKP a enregistré des performances économiques qui ont profondément transformé le pays tout au long de sa première décennie aux affaires. La mise au pas de l’armée et le rapprochement avec l’Union européenne allaient dans le sens d’une démocratisation des institutions saluée dans le pays comme à l’étranger.
Mais, en 18 ans de règne, plusieurs épisodes de la vie politique en Turquie ont contribué à effriter le vote AKP. "Il y a eu les 17 au 25 décembre 2013 (affaires de corruption impliquant quatre ministres du gouvernement Erdogan, NdlR), toutes les injustices qui ont eu lieu après le 15 juillet 2016 (purges post-tentative de coup d'État, NdlR) […]. Cela aussi a contribué à ce que les gens arrêtent de voter AKP. Et puis maintenant c'est la crise économique", explique Mehmet, commerçant quadragénaire, qui a longtemps soutenu le parti au pouvoir.
L’AKP reste le premier parti
La livre turque ne cesse de perdre de la valeur face au dollar (13,70 TL pour 1 dollar contre 1,86 en 2011. NdlR) et l’inflation dépasse les 20 % d’après les chiffres officiels. La politique d’accueil des Syriens constitue également un facteur de mécontentement au sein de l’électorat traditionnel de l’AKP. Bien que le parti au pouvoir de l’hyperprésident Erdogan enregistre un net recul dans les enquêtes d’opinion, il reste le premier parti du pays.
"Aujourd'hui, 85 % des Turcs estiment que la politique économique est mal gérée", décrypte Özer Sencar, directeur de l'institut de sondages Metropoll, basé dans la capitale Ankara. "Pourtant, le parti garde un socle de plus de 30 % de voix car les électeurs n'ont pas confiance en la capacité de l'opposition de redresser l'économie."
Une frange d’indécis
L'analyste, qui fait parler les chiffres et les statistiques, attire tout particulièrement l'attention sur les indécis : "L'AKP a perdu 9 % des intentions de vote depuis les élections législatives de 2018 (42,6 % des suffrages, NdlR). Pourtant, on observe que ces voix ne bénéficient pas aux autres partis. Une partie des électeurs qui fait défection ne sait pas vers qui se tourner", explique-t-il.
Plusieurs enquêtes d’opinion placent désormais les potentiels candidats de l’opposition devant le président turc en cas d’élection présidentielle, mais la personnalité de Recep Tayyip Erdogan continue de faire des émules. Il se veut l’incarnation de la frange conservatrice de la société méprisée par les élites républicaines kémalistes depuis les débuts de la République. Un récit de la revanche sociale qui garde une large audience au sein de la société turque.
Erdogan "a changé ma vie car il a permis de lever l'interdiction du voile dans les institutions", confie une avocate du barreau d'Istanbul à La Libre sous couvert d'anonymat. Comme pour de nombreuses femmes voilées, la décision de la Cour d'État en 2013 a constitué un véritable tournant dans sa vie. L'avocate craint un retour en arrière si l'opposition venait à accéder au pouvoir.
Un nationalisme flatté
Si la politique extérieure interventionniste de la Turquie dans son environnement régional et sa remise en question de l’ordre international flattent les sentiments nationalistes, la situation économique du pays reste la première préoccupation des Turcs dans les enquêtes d’opinion. Les élections législatives et présidentielle prévues pour 2023 seront décisives pour l’avenir du "reis".
À la recherche de l’électorat conservateur Les querelles au sein de l’opposition turque ont longtemps profité au parti présidentiel, mais “les signes de divisions au sein de l’AKP sont de plus en plus nombreux. Et des figures du secteur privé s’opposent de plus en plus ouvertement à la politique du président Erdogan”, pointe Adeline Van Houtte, analyste au centre de recherche The Economist Intelligence Unit (EIU). Selon Mme Van Houtte, “plusieurs partis font désormais concurrence à M. Erdogan pour l’électorat conservateur et de centre droit”, dont le Iyi Parti, créé fin 2017 et qui compte 36 députés.