Cent jours de protestation en Iran : rien ne sera plus comme avant
La rébellion va laisser des traces en Iran. Des femmes marchent sans voile ; les saisies d’antennes satellites ont cessé. Mais la répression est terrible face à des manifestants désarmés.
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Publié le 26-12-2022 à 17h27
Cent jours ont passé depuis que la contestation a enflammé l’Iran, et rien ne semble l’arrêter malgré la censure, la répression et les pendaisons.
Dimanche soir encore, dans les districts de Punak et Narmak à Téhéran, des habitants appelaient du haut des appartements des HLM à la fin du régime des ayatollahs et “mort au dictateur”, en référence au Guide suprême Ali Khamenei ou au mollah président Ebrahim Raïssi considéré comme l’artisan de la ligne dure.

À Boukan, dans le nord-ouest du pays, les magasins sont restés fermés pour protester contre la mort de plusieurs manifestants dans la ville. Des habitants ont défilé dans la rue en chantant “les martyrs ne meurent pas”. Ailleurs dans le pays, profitant de l’obscurité, des manifestants ont jeté des cocktails molotov sur des bureaux des Gardiens de la révolution. À Téhéran, les étudiants de la prestigieuse université de Charif ont boycotté leurs classes.
Cette contestation est la plus longue que l’Iran ait connue depuis la révolution islamique de 1979.
L’agence officielle Irna passe quasiment sous silence le mouvement de contestation, mais notait lundi que le président Raïssi avait envoyé un message au Pape le félicitant pour la célébration de la naissance du Christ et que l’Iran restait prêt à renégocier l’accord sur le nucléaire de 2015.
Des milliers d’arrestations
La chimie du régime reste impénétrable pour la plupart des observateurs. Toutefois, selon le Soufan Center, un institut d’analyse géopolitique américain, des tensions très claires apparaissent entre les modérés et les faucons, ce qui provoque des réactions en dents de scie du régime. L’annonce de la suppression de la police des mœurs par le procureur général Javad Montazeri a ainsi été suivie de l’exécution de deux manifestants qui avaient participé à des attaques contre les Bassidjis, la milice civile contrôlée par les Gardiens de la révolution.
”Les faucons du régime pensent qu’exécuter des protestataires va faire reculer le mouvement mené par les femmes. Les modérés ont critiqué ces exécutions et cherchent à mettre fin à l’application de certaines des restrictions qui ont enflammé la révolte”, résume le Soufan Center, qui souligne qu’un groupe de théologiens chiites de la ville de Qom a questionné la légitimité de ces jugements.

Néanmoins, des milliers de protestataires, journalistes, artistes, activistes, professeurs ou syndicalistes ont été arrêtés. Certains ont été jugés et condamnés à mort.
Les tribunaux révolutionnaires émettent à leur encontre des accusations de “guerre contre Dieu” (Moharebeh) ou de “corruption sur terre” (Ifsad fel Arz), punissables de la peine de mort, qui sont appliquées sans discernement selon les organisations de défense des droits de l’homme. “Les charges dans le droit pénal iranien sont vagues. Les procureurs n’arrêtent pas d’élargir leur portée. C’est le cas également de l’accusation de rassemblement et collusion contre la sécurité nationale”, souligne Tara Sepehri Far, chercheuse d’Human Rights Watch à Washington.
”L’Europe”, dit-elle, “devrait protester à chaque exécution. Ils ne peuvent pas l’ignorer”.