"Tout d’un coup c’était la guerre": À Jénine, en Cisjordanie, un carnage et un présage
En Cisjordanie, Israël continue à parler d’opérations anti-terroristes – mais les Palestiniens vivent la guerre au quotidien.
Publié le 27-01-2023 à 23h07 - Mis à jour le 27-01-2023 à 23h16
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Jeudi au petit jour, dans le camp de réfugiés de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. Dans les ruelles calmes où vivent environ 15 000 personnes, des enfants sur le chemin de l’école croisent quelques véhicules. Ils évitent les barrages improvisés mis en place par les militants palestiniens, en alerte générale depuis près d’un an d’incursions quasi-quotidiennes de l’armée israélienne.
Soudain, un camion de laitier attire l’attention d’un jeune. Dedans, il découvre une unité des forces spéciales israéliennes, lance l’alerte. Plusieurs autres commandos sortent d’autres voitures banalisées, une colonne de véhicules blindés les rejoint. Des snipers prennent rapidement position sur les toits, couvrent les soldats qui se dirigent vers leur cible – une maison dans laquelle se cachent quatre hommes, une cellule du Jihad islamique palestinien, originaires de Burqin, un petit village pas très loin de Jénine.
“Tout d’un coup c’était la guerre, des tirs partout”, décrit un jeune voisin. Il voit les Israéliens détruire la maison au bazooka ; trois hommes périssent brûlés vifs. Un autre est arrêté, un dernier s’enfuit. Cinq autres miliciens trouvent la mort dans des échanges de feux nourris. Selon le registre de la morgue, la plupart sont tués d’une balle dans la tête, preuve s’il en fallait de la supériorité militaire israélienne, dont les forces se retirent quatre heures plus tard sans blessés, leur mission accomplie.
Le deuil des “martyrs” s’étend à tous les Palestiniens
Selon les autorités israéliennes, une opération de cette ampleur – la plus meurtrière à Jénine depuis la seconde intifada – était nécessaire pour empêcher un attentat imminent. Mais si l’État hébreu continue à parler d’anti-terrorisme, à Jénine, c’est la guerre. Jeudi matin, Ahmad Ibrahim Baniggarra, 51 ans, allait travailler quand il a été pris dans l’action : “j’ai vu un homme blessé à la jambe, une jeep israélienne a écrasé sa tête”. Il a passé la matinée à aider les blessés. Quand il rentre chez lui, dans les hauteurs du camp, une autre tragédie l’attend : sa voisine, Majeda Obaid, 59 ans, a fait l’erreur de regarder par la fenêtre. Un sniper israélien posté sur un toit en contrebas l’a abattu, d’un seul coup de feu.
Vers midi, un énorme cortège funéraire s’est formé derrière les “martyrs”. À part les slogans à la gloire de Dieu et de la résistance, et les rafales tristes de mitraillettes, ce sont plusieurs milliers d’hommes qui marchent en silence, les visages fermés, parfois les yeux rougis. Le deuil national s’est transmis à tous les Palestiniens. À Gaza, les mouvements armés ont dans la nuit tiré plusieurs roquettes vers Israël, qui a répondu en touchant des installations militaires du Hamas – des semonces habituelles qui ne trahissent pas forcément une escalade.
L’autorité palestinienne impuissante
À Ramallah, l’Autorité palestinienne a suspendu toute coopération sécuritaire avec Israël, mesure choc mais accueillie avec cynisme par beaucoup de Palestiniens. “Elle aboie beaucoup mais ne mord pas” explique un jeune Palestinien de Jénine. La coopération sécuritaire avec l’armée israélienne, c’est presque tout ce qui reste au gouvernement de Mahmoud Abbas, dirigeant octogénaire autoritaire en perte totale de légitimité. En réponse, Israël a simplement déployé un autre bataillon de soldats en Cisjordanie occupée. Il y en a aujourd’hui 27 – il y en avait 13 avant le printemps dernier.
L’engrenage est le résultat d’une trajectoire entamée en 2022, sur fond de désorganisation de l’Autorité palestinienne. Des brigades locales se sont formées dans les villes et camps de réfugiés palestiniens, donnant du fil à retordre à une armée israélienne dépassée par le caractère décentralisé de cette insurrection. Le bilan très lourd subit par les Palestiniens depuis le début de l’année – plus d’un mort par jour, en moyenne – ne peut donc pas être imputé à l’arrivée d’un gouvernement de droite très dure au pouvoir en Israël. Mais les faucons au pouvoir ne feront rien pour calmer le jeu : Benyamin Nétanyahou a déjà vanté une annexion de facto de la Cisjordanie.