Erdogan, l’indétrônable président, vise désormais le "siècle de la Turquie"
Le président turc est reparti pour un troisième mandat. Un peu plus de la moitié des électeurs lui font confiance pour amener le pays dans le groupe des dix premières grandes puissances du monde.
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- Publié le 29-05-2023 à 18h19
- Mis à jour le 29-05-2023 à 18h27
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Un double tremblement de terre qui a fait près de 56 000 morts et trois millions de déplacés. Une livre turque qui a perdu 90 % de sa valeur en une décennie. Une vague de mécontentement à l’égard de trois millions de réfugiés syriens. Des dizaines de milliers de fonctionnaires, intellectuels ou opposants en prison ou en exil après une tentative de coup d’État de 2016. Des tensions sur le plan international. Quel chef d’État survivrait à une telle débâcle sinon Recep Tayyip Erdogan ?
Le président turc s’est en effet assuré un troisième mandat, le dimanche 28 mai, au second tour de la présidentielle, obtenant 52,18 % des voix contre 47,82 % au candidat de l’opposition réunie, Kemal Kiliçdaroglu. M.Erdogan va donc diriger le pays cinq années de plus, avec une majorité acquise au parlement grâce aux voix de l’Alliance populaire formée entre son Parti de la justice et du développement (AKP) et le Parti d’action nationaliste (MHP).
Une victoire ternie, selon le Conseil de l'Europe et l'OSCE, par le fait qu'il a bénéficié d'un "avantage injustifié" lors de la campagne électorale par sa mainmise sur les médias et "des restrictions" à la liberté d'expression, dont la fermeture de sites web.
Une Turquie divisée entre villes et campagne
La carte des résultats électoraux en dit long. La Turquie est divisée. Il a été plébiscité par son électorat conservateur et religieux de l’Anatolie centrale et de la région de la mer Noire. Il perd des plumes dans toutes les grandes villes du pays, d’Istanbul à Adana, en passant par Ankara et le rivage de la mer Egée. Plus étonnant, Erdogan l’emporte, avec 60 à 70 % des voix, dans les provinces proches de la Syrie qui ont été dévastées par le double séisme du 6 février. Même la province de Hatay est tombée dans son escarcelle au second tour. La ville d’Antioche, pourtant meurtrie par le séisme, a voté à 56,5 % pour lui.
Ses électeurs ne contestent pas les difficultés économiques du pays mais ils pensent qu’il est le mieux placé pour les résoudre.
Dans leur grande majorité, ses électeurs ne contestent pas les difficultés économiques du pays mais ils pensent qu’il est le mieux placé pour les résoudre. Sa campagne électorale a très habilement déplacé le curseur des échecs vers les réussites : le lancement de la première voiture électrique turque, la découverte d’un énorme gisement de gaz en Mer Noire, l’inauguration d’une centrale nucléaire construite par les Russes.
Pour ses électeurs, l’homme de la situation
Erdogan s’est excusé au nom de l’État turc pour la lenteur des secours aux victimes du double tremblement de terre et, dès son discours de victoire, dimanche au palais d’Ankara devant une forêt de drapeaux turcs, il a assuré que “guérir les blessures causées par les séismes du 6 février et reconstruire les villes détruites, reste notre principale priorité”. Il se positionne aussi comme celui qui peut résoudre le rapatriement des réfugiés syriens, sur le plan politique en renouant avec le régime de Bachar al Assad et sur le plan économique en reconstruisant des logements dans les zones du nord de la Syrie occupées par l’armée turque et ses milices. “Avec le projet que nous réalisons avec le Qatar, un million de réfugiés rentreront en Syrie dans les années à venir”, a-t-il assuré dimanche.
Son concurrent Kemal Kiliçdaroglu avait été plus radical. Dans l’entre-deux tours, désireux de capter une partie de l’électorat nationaliste, il avait estimé qu’il fallait “déporter” les réfugiés. Erdogan n’a pas cessé de le provoquer, l’accusant de faire cause commune avec le “terrorisme” kurde ou les LGBTQ +, obligeant le candidat de l’opposition à donner des gages à la droite qui composait aussi son éclectique coalition anti-Erdogan. Or les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie.
“On est heureux, Dieu a exaucé nos vœux. Recep Tayyip Erdogan est un très grand leader, un leader très puissant. Et il a beaucoup fait progresser la Turquie”, s’exclamait dimanche soir l’un de ses sympathisants, cité par l’AFP.

Sa vision : le “Siècle de la Turquie”
Le “Reis” caresse de grandes ambitions pour son pays, qu’il veut propulser dans le groupe des dix pays les plus puissants de la planète. Sa vision est celle du “Siècle de la Turquie”, ébauchée l’an dernier, “une révolution”, dit-il, “qui va apporter la démocratie, le développement, la paix et le bien-être dans chaque coin du monde”. Erdogan s’inspire de la révolution kémaliste, dont on célèbre le centième anniversaire en octobre prochain, mais reste évasif sur ce qu’il veut réellement. Sinon qu’il veut faire des changements constitutionnels, notamment pour assurer le droit des femmes qui le souhaitent de porter le voile et interdire les “groupes déviants”.
En conséquence, les manœuvres ont déjà débuté sur la scène politique pour recomposer un bloc de droite, nationaliste. “Erdogan a besoin de 360 députés pour lancer un référendum”, pronostique Söner Cagaptay, professeur turco-américain en sciences politiques. “Actuellement, son bloc est à 322 sièges et 360 peuvent être atteints. Pour y arriver, il va lancer une nouvelle guerre culturelle, par exemple en accusant les députés de droite dans l’opposition d’être alignés avec les terroristes ou les LGBTQ + ”.
Une urgence : sauver la livre turque
La réélection assurée, Erdogan doit cependant faire face à des problèmes plus immédiats. En raison de l’inflation et de l’effondrement de la livre turque, tombée à 20 pour un dollar, le pouvoir d’achat de la population a fortement baissé. Et Erdogan est désormais débiteur de plusieurs pays, dont la Russie, la Chine et des pays du Golfe, qui ont allongé des aides exceptionnelles après le séisme. Selon les données officielles, citées par l’AFP, Ankara a dépensé 25 milliards de dollars en un seul mois pour soutenir la livre turque.