Jugées pour "conspiration" après avoir mis en lumière la mort dramatique de Mahsa Amini, deux journalistes risquent la peine de mort en Iran
Niloufar Hamidi et Elaheh Mohammadi avaient été les premières à raconter l’histoire de Mahsa Amini. Accusées de “conspiration” contre l’État pour avoir déclenché le mouvement de contestation en cours, elles risquent la peine de mort.
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- Publié le 01-06-2023 à 11h24
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Elles ont toutes deux été les premières à révéler l’histoire dramatique de la jeune Mahsa Amini. Cette étudiante iranienne de 22 ans, originaire de la province du Kurdistan, est subitement décédée le 16 septembre 2022 quelques jours après son arrestation pour infraction à la législation sur le port du foulard (hidjab). Elle est devenue depuis le symbole de la condition des femmes en Iran et le ferment de mobilisation du mouvement "Femme, Vie, Liberté" qui a déferlé à travers tout le pays. Huit mois et demi après, la République islamique a entamé cette semaine à Téhéran le procès des deux journalistes qui, en racontant cette histoire, ont contribué à plonger l’Iran dans une situation insurrectionnelle que les autorités n’ont toujours pas réussi à maîtriser complètement.
Niloufar Hamedi, 30 ans, et Elaheh Mohammadi, 36 ans, incarcérées depuis huit mois, risquent la peine de mort pour “publication de mensonges”, “collaboration avec un pays hostile” (désignant les États-Unis), “propagande contre la République islamique” et “conspiration visant à (susciter) des actes criminels contre la sécurité nationale”, selon l’intitulé de certaines accusations dont elles font l’objet. Toutes deux clament qu’elles n’ont fait qu’exercer leur métier, celui d’informer le public, dans le cadre des règles de la profession de journaliste.
Depuis le début des manifestations qui contestent le régime iranien, 95 journalistes ont été arrêtés d’après le Center for Human Rights in Iran, et treize seraient toujours emprisonnés.
Des accusations infondées
Le procès de Niloufar Hamedi a commencé mercredi à huis clos devant la branche 15 du Tribunal révolutionnaire de Téhéran, tout comme celui de sa consœur entamé la veille. Une procédure en l’absence de médias qui “empêche le public d’être informé des détails de l’acte d’accusation et de la vérité de l’affaire”, selon l’Association des journalistes de la province de Téhéran. Celle-ci avait demandé en vain un procès public, de concert avec la Fédération internationale des journalistes, non sans avoir exigé l'abandon des “accusations infondées” auxquelles les deux journalistes font face ainsi que la remise en liberté de ces dernières. Pour sa part, le bureau Moyen-Orient de Reporters sans Frontières avait dénoncé un “simulacre de justice (qui) ne vise qu’à légitimer la répression violente de ces deux journalistes”.
D’après son avocat, Elaheh Mohammadi a répondu à quelques questions après la lecture de l’acte, mardi lors du premier jour de son procès. La session a duré à peine deux heures et s’est conclue par l’annonce que la date de la prochaine séance serait fixée ultérieurement. L’avocat avait préalablement critiqué le choix d’un tribunal révolutionnaire pour un tel procès, qui requiert selon la Constitution la participation du public et des médias ainsi que la présence d’un jury.
Le berceau des grandes manifestations
L’arrestation de Niloufar Hamedi avait suivi la publication dans son journal, Shargh, d’une photo des parents de Mahsa Amini, enlacés dans un couloir de l’hôpital Kasra de Téhéran, juste après avoir appris le décès de leur fille.
Celle d’Elaheh Mohammadi était survenue après sa couverture, pour le journal Ham Mihan, des obsèques de la jeune fille dans sa ville natale de Saqqez, berceau des grandes manifestations qui se sont répandues à travers tout l’Iran.
Le 3 mai, les deux journalistes avaient reçu le prix mondial de la liberté de la presse Unesco/Guillermo Cano, en compagnie de la célèbre militante des droits de l’homme Narges Mohammadi, elle aussi emprisonnée. Un tribunal avait condamné cette dernière en janvier 2022 à une peine de huit ans de détention, un peu plus d’un an après sa libération de prison où elle avait purgé une autre peine durant cinq ans. Le magazine Time les avait toutes deux incluses dans les cent personnalités les plus influentes dans le monde en 2023. Des honneurs qui ont certainement nourri les rancœurs dans une République islamique où les femmes sont largement discriminées et les journalistes intimidés.