L’Iran à deux doigts d’obtenir le feu nucléaire
Le nouveau rapport de l’AIEA suggère que Téhéran pourrait fabriquer deux bombes atomiques à court terme. Washington et Téhéran négocient en direct.
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- Publié le 05-06-2023 à 21h12
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Plus de vingt ans après avoir éclaté au grand jour, le contentieux nucléaire iranien n’a pas fini d’inquiéter au Moyen-Orient et ailleurs. Le dernier rapport trimestriel que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) soumet cette semaine au Conseil des gouverneurs, l’instance dirigeante de cet organisme onusien basé à Vienne, entretient la suspicion sur les intentions nucléaires de la République islamique, soupçonnée de dissimuler un volet militaire derrière le voile de son programme civil.
La coopération avec l’Iran est trop “lente”, a estimé le directeur général de l’AIEA, lundi à l’ouverture de la réunion. “Nous devons aller plus vite” et “il faut faire beaucoup plus” en matière d’installation de caméras et de systèmes de surveillance sur certains sites, a-t-il ajouté, alors que l’Iran poursuit son escalade nucléaire.
”Nous n’édulcorons jamais nos normes […], nous avons été stricts, techniquement impartiaux, justes mais fermes”, a aussi précisé M. Grossi, en réponse aux critiques émises ces derniers jours par Israël, ennemi juré de l’Iran, qui accuse l’agence d’être trop accommodant avec l’Iran.
La réunion des 35 représentants des Etats-membres (sur 158) revêt un caractère particulier cette fois, puisqu’elle intervient dans la foulée du cinquième anniversaire du retrait unilatéral des États-Unis du Plan d’action global commun (JCPOA, dit accord nucléaire) conclu en juillet 2015 entre l’Iran et les principales puissances nucléaires de la planète. Cette décision tapageuse de l’administration Trump assortie de l’instauration d’une politique de “sanctions maximales”, avait complètement sapé la mise en œuvre de ce plan qui visait, d’une part, à brider et maintenir le développement du programme atomique iranien dans certaines limites et, d’autre part, à rouvrir à l’Iran, alors État paria accablé par des sanctions économiques internationales, les portes du marché mondial.
Washington-Téhéran en direct
Depuis, malgré la poursuite de la politique des restrictions par Washington et une évolution des activités nucléaires de Téhéran au-delà des limites fixées par l’accord, la promesse de l’administration Biden de réadhérer à un accord “nouvelle mouture” ne s’est pas réalisée. Après des négociations reprises dès le printemps 2021 sous la médiation de l’Union européenne, Washington et Téhéran négocient désormais directement en coulisses -en dépit d’une rupture diplomatique vieille de quarante ans. Robert Malley, l’envoyé spécial pour l’Iran du département d’État, a récemment rencontré à plusieurs reprises le représentant permanent de l’Iran aux Nations unies, Amir Saied Iravani, a dévoilé samedi le Financial Times.
Ces contacts irano-américains, les premiers depuis le retrait de Washington de l’accord, auraient pour objet un échange de prisonniers entre les deux pays. Il serait aussi question de parvenir à un accord “transitoire” a minima sur le dossier nucléaire, promettant un gel des développements du programme iranien contre un allègement des sanctions américaines. Une manière d’apaiser les craintes que suscite l’emballement des activités atomiques de l’Iran, de plus en plus perçu comme en mesure d’acquérir le feu atomique à court terme.
Selon les premiers éléments ayant filtré du rapport examiné cette semaine à Vienne, l’Iran a encore accru ses stocks d’uranium enrichi à 20 % et 60 %, des degrés de pureté nucléaire auquel il ne peut normalement prétendre en vertu de l’accord (le maximum étant fixé à 3,67 %). La République islamique dispose désormais (respectivement) de 470,9 et 114,1 kilos d’uranium enrichi à ces concentrations, ce dernier stock lui permettant d’envisager un enrichissement supplémentaire pour atteindre la qualité dite “militaire”, soit autour de 90 %. Or, l’AIEA considère que 42 kilos de ce matériau enrichi à 60 % constituent une “quantité importante”, à savoir “la quantité approximative de matériau nucléaire pour laquelle la possibilité de fabrication d’un engin explosif nucléaire ne peut être exclue”.
De trois à sept bombes
En pratique, il faudrait toutefois autour de 55 kilos de cet uranium à 60 % pour pouvoir parvenir à produire une seule bombe atomique, selon une source diplomatique. Cela signifie que son stock actuel permet virtuellement à l’Iran d’envisager la conception de deux de ces engins. Voire. Une enquête menée par The Economist affirme qu’une fois atteint le niveau des 90 % de pureté, l’Iran pourrait être en mesure de fabriquer de trois à sept bombes, et enclencher une dynamique de production à la demande…
Au rang des points positifs, l’Organisation de l’énergie atomique d’Iran (OIEA) a enfin répondu de manière “plausible” aux interrogations concernant la présence de particules nucléaires anthropiques sur l’un des trois sites non déclarés (Marivan, dans le nord-ouest), une source de préoccupation qui avait fait l’objet d’une rare mise en garde de l’agence onusienne l’an dernier. D’après Téhéran, la présence de ces particules peut s’expliquer par les activités d’une mine et d’un laboratoire pilotés à l’époque par les Soviétiques. Une explication qui ne remet pas en cause la version de l’AIEA pour laquelle l’Iran y aurait procédé à des tests d’explosion liés au domaine nucléaire.