La mission spéciale d'Antony Blinken au Royaume des Saoud
Devant la perte d'influence des Etats-Unis au Moyen-Orient, le secrétaire d'Etat est allé promouvoir une normalisation avec Israël.
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- Publié le 07-06-2023 à 20h04
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La visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken au Royaume des Saoud, où il a rencontré mercredi à Djeddah le prince héritier Mohammed ben Salmane avant d’assister à Riyad à une réunion ministérielle du Conseil de coopération du Golfe (CCG), était prévue de longue date. Elle se révélait néanmoins plus qu’opportune tant les sujets de préoccupation mutuelle se sont accumulés ces derniers temps pour les deux vieux alliés. La reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite, principale puissance sunnite du Golfe et l’Iran, son grand rival régional chiite, est de ceux-là. Hasard du calendrier, le chef de la diplomatie américaine est arrivé à Djeddah (ouest) le jour même de la réouverture de l’ambassade de la République islamique à Riyad.
Les Etats-Unis restent "pleinement investis dans le partenariat" avec les pays du Golfe, a souligne M. Blinken. Selon les Affaires étrangères saoudiennes, l’un des enjeux de cette visite consiste à discuter de la manière dont les États-Unis peuvent “jouer un rôle positif en partenariat avec le Conseil” de coopération dans les différentes crises régionales. Ce jeudi, Antony Blinken coprésidera avec son homologue saoudien, Faïçal ben Farhane, une réunion de la coalition luttant contre le groupe jihadiste État islamique (EI), créée en 2014.
La relative perte d’influence des États-Unis au Moyen-Orient, au profit de la Chine, qui tente de sécuriser ses approvisionnements énergétiques en provenance de cette région, est apparue au grand jour en mars, lors de l’annonce de la normalisation irano-saoudienne sous le parrainage de Pékin. Sans parler de la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe, le mois dernier sous l’impulsion saoudienne, ouvrant la perspective de normalisation avec ses pairs arabes, au grand dam de Washington.
Potentiel de séduction limité
Cette nouvelle donne diplomatique régionale entretient l'espoir d'apaiser les crises et de résoudre les conflits en cours, notamment ceux où Riyad et Téhéran s’affrontent par procuration. Le secrétaire d’État a dit apprécier le rôle joué par Riyad pour tenter de parvenir à une paix durable au Yémen, un conflit “oublié” où l’Arabie saoudite avait pris la tête d’une coalition militaire en 2015 pour soutenir le gouvernement yéménite confronté à une insurrection appuyée par l'Iran. Antony Blinken a aussi souligné le rôle saoudien dans l'établissement d'un cessez-le-feu au Soudan et l’évacuation de centaines de diplomates étrangers de ce pays, en guerre depuis la mi-avril.
Autre point abordé mercredi, pour lequel Antony Blinken est en mission spéciale, l’hypothétique normalisation diplomatique de l’Arabie saoudite avec Israël. Lui-même ne semblait guère convaincu de son potentiel de séduction sur la question avant son départ de Washington. Bien qu’ayant reconnu le “réel intérêt de sécurité nationale” que cela constitue pour les États-Unis, il a dit n’avoir “aucune illusion (sur le fait) que cela puisse être fait rapidement ou facilement”. C’est surtout que, jusqu’ici, Riyad n’a jamais daigné envisager de tels liens avant que la voie vers un État palestinien ne soit clairement balisée, pensant mettre tout son poids de leader régional sunnite dans la balance.
Pas près de voir le jour
Le potentiel d’une telle normalisation a bien fait l’objet des discussions de mercredi : “Il y avait un bon degré de convergence sur les initiatives potentielles où nous partageons les mêmes intérêts, tout en reconnaissant également où nous avons des différences”, a souligné à Reuters un diplomate sous le sceau de l’anonymat, évoquant une discussion “à poursuivre”. Traduction libre : le rapprochement diplomatique entre l’Arabie saoudite et Israël n’est pas près de voir le jour. Entre autres parce que parmi les conditions posées par Riyad pour consentir à établir des relations avec Israël figure l’accès du Royaume sunnite à la technologie nucléaire, en particulier dans le domaine de production énergétique. Les États-Unis, où des responsables ont par le passé évoqué un transfert de technologie nucléaire sous condition de non-enrichissement, savent qu’une telle perspective signifie une potentielle prolifération au Moyen-Orient, un risque que l’administration Biden n’est sans doute pas prête à prendre.
Pour cette dernière, cette hypothétique normalisation arabe avec Israël constituerait un succès diplomatique, susceptible de faire des émules parmi les États qui attendent le signal de l’influent Royaume saoudien. De quoi poursuivre le mouvement des accords d’Abraham, amorcé en 2020 par l’administration Trump avec les Émirats arabes unis, Bahreïn, le Soudan, et le Maroc. Une perspective séduisante dans la perspective de l’élection présidentielle de l’an prochain.