Le très secret rôle d’Oman dans la libération d’Olivier Vandescasteele
La ministre Hadja Lahbib est allée à Oman pour remercier le sultanat pour son rôle crucial dans l’échange entre l’humanitaire belge et l’agent-diplomate Assadi. C’est à Oman que des pourparlers ont été tenus et là aussi que l’échange a eu lieu.
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- Publié le 09-06-2023 à 17h09
- Mis à jour le 11-06-2023 à 20h56
“Vous auriez dû venir en hiver ! ”. Le ministre omanais qui a reçu Hadja Lahbib vendredi à Mascate s’est étonné de voir débarquer une délégation étrangère alors que les chaleurs dépassent déjà les 40 degrés dans le sultanat. Le motif de cette visite de la ministre belge des Affaires étrangères était avant tout amical : remercier Oman pour le rôle crucial de médiateur qu’il a joué lors de la libération par l’Iran d’Olivier Vandecasteele et de trois autres otages, un danois et deux irano-autrichiens.
Avec pour base, un Grand Hyatt de Mascate face mer, rempli de jeunes touristes russes se prélassant au soleil, la ministre a rencontré deux homologues omanais, celui des Transports et celui des Affaires étrangères, visité trois immanquables de la capitale omanaise, son musée national et son fameux opéra. Rues vides : c’était un vendredi, jour de congé et de prières dans ce pays musulman, où se côtoient des sunnites, des chiites, et surtout, des ibadites, un courant un peu rebelle de l’islam qui estime que le commandeur des croyants ne doit pas nécessairement être issu de la lignée de Mahomet. Samedi matin, elle a visité l’impressionnante mosquée Sultan Qabus.
Un rôle de facilitateur
La marque de fabrique d’Oman sur le plan international, c’est sa capacité à jouer un rôle de médiateur, de facilitateur, dans des crises, surtout avec l’Iran qui n’est distant que de 8 km à la pointe du détroit d’Ormuz. Oman, 4,6 millions d’habitants, se trouve géographiquement à un point stratégique du globe, a une longue tradition de commerce et se met, discrètement, au service de la diplomatie mondiale.
Contrairement à Dubaï aux Émirats arabes unis et à Doha au Qatar, le sultanat s’interdit de construire des gratte-ciel, parie sur la culture plutôt que sur les centres commerciaux, mais joue par sa diplomatie dans la cour des grands.
”Notre secret ? Construire de l’amitié, de la confiance et connecter les gens entre eux”, répond le ministre des Affaires étrangères, Sayyid Badr Albusaidi, aux questions de journalistes, dont celui de La Libre Belgique. “Nous essayons d’encourager de la compréhension à travers le dialogue et de comprendre les perspectives de chaque pays. Nous développons une politique de bon voisinage avec l’Iran. Nous n’avons pas de désaccords. Nous avons de l’amitié et de la confiance mutuelle”.
Les liens d’Oman avec l’Iran sont ancrés dans l’histoire : dans les années 60-70, une rébellion séparatiste du sud du pays et soutenue par l’Union soviétique avait tenté de s’emparer du nord du sultanat. L’offensive avait pu être repoussée grâce aux soldats britanniques et à l’intervention des troupes du Chah d’Iran. De cet épisode subsiste une éternelle reconnaissance. La plaque diplomatique n° 1 échoit au Royaume-Uni, la seconde va à l’Iran.
Notre secret? Construire de l'amitié, de la confiance et connecter les gens entre eux.
Diplomates et agents secrets
Dans l’affaire d’Olivier Vandecasteele, les autorités omanaises ont été contactées à l’initiative de la diplomatie belge quand la Belgique s’est rendu compte, dès le mois de décembre 2022, que le traité de transfèrement de détenus entre notre pays et l’Iran risquait de faire traîner les choses.
Tout a été préparé dans le plus grand secret par un poignée de personnes issues des Affaires étrangères, de la Sûreté de l’État et du service de renseignement de l’armée, le SGRS. La peur était grande que des fuites mettent en danger toute l’opération. Lors des réunions, les GSM étaient laissés à l’entrée.
Connexions royales
Le roi Philippe est très probablement intervenu dans les pourparlers en contactant le sultan Haïtham ben Tariq. Les liens entre les deux pays sont forts : son oncle, l’ancien sultan Qabus ibn Saïd était venu à l’hôpital Gasthuisberg de la KULeuven pour se faire soigner d’un cancer avant de décéder en 2019. C’est d’ailleurs le Roi qui a signé l’arrêté royal ordonnant le transfert de l’agent-diplomate Assadollah Assadi dont l’Iran réclamait la libération en échange de celle d’Olivier Vandecasteele.
Hadja Lahbib a remis vendredi à son homologue omanais une invitation du Roi au sultan pour qu’il fasse une visite officielle en Belgique.
Hadja Lahbib a remis vendredi à son homologue omanais une invitation du Roi au sultan pour qu’il fasse une visite officielle en Belgique. Les souverains belges étaient venus à Oman l’an dernier, notamment pour visiter le port de Duqm, au sud du pays, qui se développe comme hub de l’hydrogène vert en partenariat avec le port d’Anvers.
“Nous sommes deux petits pays qui se ressemblent”, estime Hadja Lahbib. “Nous avons notre capacité de compromis à la belge. Ils ont leur capacité de médiateurs. Le deal n’aurait pu se faire à Bruxelles ou à Téhéran. Il fallait trouver un pays neutre, qui puisse parler à la fois à l’Iran et aux pays occidentaux”.
Discrétion absolue
Les Omanais sont très discrets sur la façon dont ils opèrent. Mais ils expliquent que l’important est de mettre les gens à l’aise, sans pression. “Nous sommes un peuple de commerçants”, dit un diplomate. “Nous écoutons et nous ne prenons pas position. Parfois, les rencontres ont lieu dans des endroits privés. Parfois, nous emmenons les gens en dehors de Mascate”.
Pour libérer les quatre otages, Oman a fait la navette avec l’Iran, puis a réuni les protagonistes belges et iraniens pour des pourparlers dans un hôtel de Mascate. Jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé et annoncé le jour même où Olivier Vandecasteele était relâché, le 26 mai après 455 jours de prison. Oman a publié un communiqué laconique, évoquant une médiation “sous les directives” du Sultan.
Un autre échange envisagé par Téhéran pour le professeur Djalali
“Si on avait pu, on aurait libéré les 25” otages occidentaux, dit aujourd’hui Hadja Lahbib. Mais les Iraniens posaient aussi leurs conditions. L’une d’elles était que le professeur irano-suédois Ahmadreza Djalali, qui a enseigné à la VUB, ne fasse pas partie du lot. Accusé d’espionnage, comme tous les autres, M.Djalali est en prison depuis avril 2016. Il a été condamné à mort en octobre 2017.

Des documents internes du ministère iranien des Affaires étrangères, piratés par un groupe d’opposition, que La Libre a pu consulter, laissent indiquer que Téhéran souhaite, en échange de M.Djalali, obtenir la libération en Suède d’un ancien procureur iranien, Hamid Noury. Cet homme a été condamné à la prison à vie à Stockholm pour avoir supervisé en 1988 l’exécution de centaines d’opposants iraniens, dont des membres des Moudjahidines du Peuple (MEK). Fait révélateur : son dossier a été transféré le 23 mai 2022 au ministère du renseignement intérieur iranien (MOIS), celui-là même qui employait M.Assadi.
Une exécution de Djalali n’aurait d’autre effet que des conséquences négatives pour notre pays.
Un document piraté datant de l’an dernier, détaillant des directives pour influencer les médias européens, en particulier suédois, estime qu’ “une exécution de Djalali n’aurait d’autre effet que des conséquences négatives pour notre pays”. Le document suggère donc de faire “un échange humanitaire” avec Hamid Noury en s’appuyant sur l’activisme de l’épouse du professeur “qui semble être une personne extrêmement émotionnelle”.