"Le souvenir est encore douloureux, et terrifiant": trois ans après l’explosion au port de Beyrouth, les cicatrices des Libanais peinent à se refermer
Trois ans après, les habitants de la capitale du Liban restent marqués par l’explosion venue du port qui a ravagé la ville. Si certains d’entre eux sont restés pour reconstruire, d’autres ont choisi de partir.
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- Publié le 04-08-2023 à 06h30
- Mis à jour le 07-09-2023 à 16h48
Le souffle de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth a tout détruit sur son passage. Déjà en pleine descente aux enfers économique, le peuple libanais s’est vu obligé de panser ses plaies sur les ruines d’une capitale dévastée. Trois ans plus tard, les stigmates de l’explosion sont encore bien visibles dans certains quartiers, et personne n’a oublié. “C’était comme dans un film d’horreur, raconte Cece, une habitante du centre de Beyrouth. Il y avait des personnes blessées et du sang partout. Le souvenir est encore douloureux, et terrifiant. On n’oubliera jamais.”
Le jour de l’explosion, Cece était sur son lieu de travail, plus éloigné du port que leur appartement familial. Son frère, lui, se trouvait chez eux. “L’explosion l’a soufflé jusque dans la pièce d’à côté. On a eu beaucoup de chance : ma famille a survécu, et les murs du bâtiment ont tenu”. Après le choc et les blessures, Cece et sa famille ont reconstruit tout ce qui avait été détruit. “On a reçu l’aide d’une association pour réparer le balcon en verre. Tout le reste, on l’a réparé nous-mêmes ou on l’a racheté.”
Des autorités totalement absentes
Cece regrette l’absence totale d’aide de la part du gouvernement, tant pour les habitants que pour les bâtiments publics ou culturels. “Le gouvernement n’a rien mis en place, rien réparé. Le Liban a reçu beaucoup d’argent de la part d’autres pays, mais on n’en a pas vu la couleur sur le terrain. Les seules aides qu’on a vu arriver venaient des ONG ou des associations. Ils se sont démenés pour nous, mais ce n’était pas suffisant”, souligne-t-elle.
Aujourd’hui, les habitations et magasins reconstruits par les propriétaires qui en ont eu la force et les moyens contrastent avec les ruines des bâtiments calcinés, laissées à l’abandon depuis août 2020. Dans le centre, où les boutiques de luxe florissaient auparavant, les vitrines brisées et les mannequins disloqués occupent la majeure partie de l’espace. Ces cicatrices sont particulièrement visibles dans le quartier de Mar Mikhael, situé en face du port et fortement défiguré après l’explosion.
Anthony y tient un petit magasin dont il ne restait plus rien. Il a fallu tout reprendre à zéro. “J’ai tout perdu ce jour-là, explique-t-il. Mon magasin, ma voiture. Mon pied aussi était cassé, je ne pouvais plus marcher”. Anthony s’en est sorti grâce à l’argent reçu de l’Onu. Il a aussi pu compter sur la solidarité des autres commerçants et des associations de terrain. Mais, comme Cece, il souligne n’avoir jamais vu son gouvernement lui apporter le moindre soutien.
Tenter sa chance à l’étranger
Autour de la boutique d’Anthony, peu sont ceux qui acceptent de témoigner. Dans un Liban qui ne s’est jamais relevé de la crise économique, politique et sécuritaire, les habitants craignent encore de voir leur situation s’aggraver. Ils indiquent qu’il existe deux réalités dans le pays : celle des Libanais payés en dollars, et celle des autres, qui doivent encore se débrouiller avec la livre libanaise, qui a dévalué de près de 90 % depuis le début de la crise, pour atteindre un niveau historiquement bas en mars 2023. Si les premiers ont pu garder un niveau de vie correct, les autres vivent constamment dans la précarité.
C’est ce constat qui a poussé Jessica à tenter sa chance hors des frontières du pays. “Je venais de terminer mes études universitaires au Liban, raconte-t-elle. Je savais que je ne trouverais pas de travail correct, alors j’ai postulé en France”. Architecte de formation, la jeune femme a décroché un emploi et s’est envolée pour l’Hexagone en octobre 2021. “J’ai eu beaucoup de chance”, insiste-t-elle. Toute la famille de Jessica vit encore à Beyrouth. Sa tante a été grièvement blessée dans l’explosion. “Elle travaille à Mar Mikhael. Ce jour-là, elle était très proche de la zone de l’explosion. Elle a survécu et elle va mieux aujourd’hui, mais son visage est couvert de cicatrices.”
Comme Jessica, les Libanais avec un niveau d’instruction élevé sont nombreux à avoir voulu tenter leur chance à l’étranger. Restée à Beyrouth, Cece dit comprendre ce choix : “Il n’y a plus vraiment de vie confortable possible au Liban. Les gens vivent dans l’espoir que le pays redeviendra ce qu’il était avant la crise et l’explosion, mais on n’y est pas. Beaucoup sont préoccupés par les besoins alimentaires de leur famille. Il n’y a pas d’électricité, pas de médicaments, pas d’hôpitaux qui fonctionnent”.