Pourquoi les talibans interdisent aux Afghanes d’étudier, même à l’étranger
Une centaine d’étudiantes censées se rendre à Dubaï pour y poursuivre leurs études supérieures en ont été empêchées.
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- Publié le 25-08-2023 à 11h11
- Mis à jour le 25-08-2023 à 16h18
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Trois jeunes Afghanes sont arrivées jeudi aux Émirats arabes unis afin d’y suivre des cours à l’université de Dubaï. Elles font partie de la centaine d’étudiantes à qui les autorités afghanes ont interdit de prendre leur vol la veille à l’aéroport de Kaboul, au vu de leur visa d’études obtenu auprès des autorités émiriennes. Depuis leur retour au pouvoir il y a deux ans, les talibans ont privé les Afghanes d’accès à l’enseignement secondaire et universitaire. Ces étudiantes en partance pour Dubaï, pourtant accompagnées par leur référent masculin et munis de tous les documents nécessaires, ont obtenu une bourse d’études grâce à un programme mis sur pied par le groupe Al Habtoor, propriété de Khalaf Ahmad al Habtoor, aujourd’hui l’une des premières fortunes des Émirats.
Dans un message publié mercredi sur son compte X (-Twitter), le milliardaire philanthrope expliquait sa “déception” et sa “tristesse” suite à la décision des autorités afghanes, auxquelles il demande de reconsidérer leur position. Tout avait, selon lui, été organisé depuis plusieurs mois pour garantir leur admission à l’université, leur logement, leur transport et leur sécurité. “Elles ont le droit d’étudier, et de faire tout ce que font les hommes, sans exception”, soulignait l’homme d’affaires dans une vidéo jointe à son message, relayé par le compte de l’université dubaïote.
Pour les talibans, les Afghanes n’ont pas besoin d’une éducation autre que religieuse pour répondre à leurs devoirs et obligations islamiques, ce pour quoi l’éducation primaire leur paraît suffire amplement. “Une femme éduquée est une femme qui (leur) fait peur”, résume Tasnim Butt, directrice de l’Institut de promotion des formations sur l’islam (Ipfi) et chercheure associée ULB. “Les talibans constituent un cas unique, y compris dans le monde musulman, concernant l’éducation des femmes. Il n’est pas possible de comprendre leur mentalité et leur manière de considérer la femme si, au-delà du référent religieux, on ne prend pas en compte leur aspect tribal. Les talibans sont des Pachtounes villageois, sans éducation, de basse condition sociale, et leur fonctionnement repose sur un code d’honneur, le pachtounwali. Leur lecture de l’islam est donc une lecture tribale”, explique cette spécialiste du Pakistan et des mouvements islamistes. “Pour eux, la femme n’est pas un sujet, elle est un objet. Elle n’a pas d’existence propre, elle est une possession de l’homme qui en dispose selon les modalités de ce code”.
Partir pour ne pas revenir
Les talibans opposent généralement trois arguments à l’éducation poussée des femmes. Un : une femme éduquée risque de prendre l’emploi des hommes, alors qu’elles travaillent pourtant en majorité dans d’autres domaines. Deux : sa sécurité doit être assurée sinon elle risque de se faire violer, ce qui risque d’attenter à l’honneur de la famille. Trois : elle doit être accompagnée d’un chaperon, un mahram, pour une série d’activités et pour voyager au-delà d’une septantaine de kilomètres de chez elle.
”Dans le cas de ce voyage à Dubaï, ces trois conditions sont réunies”, affirme la chercheure. “Par contre, il y a la question de l’immigration. Celles qui vont partir et ceux qui les accompagnent risquent de ne pas revenir. Partir étudier à l’étranger est un moyen comme un autre de fuir le pays, pour ceux qui peuvent se le permettre : l’Afghanistan est en train de se vider. Mais si elles reviennent, c’est aussi un problème, puisqu’elles auront reçu une éducation, un diplôme, ce qui veut dire des revendications, des droits…. Donc ils ne veulent pas que les gens partent. Et même s’ils les laissaient partir, ils ne voudraient pas qu’ils reviennent. Ils sont coincés dans leur argumentaire”.
L’effacement des femmes
L’effacement des femmes de la sphère publique se poursuit donc, même à l’étranger. Depuis leur retour au pouvoir dans une totale confusion le 15 août 2021, les autorités talibanes ont obligé les femmes se couvrir le corps et le visage avec la burqa (longue robe souvent bleue et grillagée au niveau du visage) ou le traditionnel tchador. Ils ont privé les jeunes Afghanes de poursuivre leur scolarité dans les établissements d’enseignement secondaires, supérieurs et les universités. Les Nations unies estiment que les talibans ont empêché 1,1 million de jeunes filles d’accéder à l’école secondaire et à l’université. Les parcs publics, les clubs de sport, les fêtes foraines leur sont aussi interdits, tout comme la plupart des emplois gouvernementaux et dans les ONG.
Le mois dernier, les talibans ont ordonné la fermeture des salons de beauté, derniers lieux de socialisation qui subsistaient loin de leur cellule familiale et de leur référent masculin. Outre leurs activités de soins, ces milliers de salons qui avaient pullulé après la chute du premier régime taliban fin 2011, étaient autant des salons de discussion qu’un moyen d’obtenir un brin d’autonomie financière – parfois le seul revenu du ménage.