En Égypte, l'opposition libérale avertit al Sissi : “Nous avons besoin d’un autre président”
Cette critique explicite du pouvoir, rare dans le pays, fait suite à une nouvelle arrestation d’une figure de l’opposition.
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- Publié le 29-08-2023 à 18h52
- Mis à jour le 30-08-2023 à 16h16
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”Nous avons besoin de changement. Nous avons besoin d’un nouveau président, d’un nouveau gouvernement, d’un nouveau parlement si nous voulons que l’Égypte revienne dans la vague de la modernité”. Avec cette charge qui claque comme un drapeau par grand vent, l’homme d’affaires et politicien Akmal Kortam a bien résumé la vision du Courant libre (al Tayar al Hurr), une coalition d’opposition au régime du président Abdel Fattah al Sissi. Les partis politiques libéraux qui ont constitué cette plateforme l’été dernier sont passés en mode critique frontale vis-à-vis de l’homme fort du pays, au pouvoir depuis dix ans, alors que la prochaine présidentielle est attendue en février 2024. Les mesures d’intimidations et de répression ont fait de l’Égypte une des plus importantes prisons au monde pour les dissidents et les journalistes critiques du pouvoir – au moins 170 de ces derniers ont été emprisonnés en dix ans, selon un décompte de Reporters sans frontières. Un nouveau cas a fait sortir de leurs gonds les représentants du Courant libre, celui d’Hicham Kassem, l’un des fondateurs du mouvement.
Le 20 août, la police a interpellé cette figure respectée du journalisme indépendant, avant de le placer en détention préventive jusqu’à son procès, dont l’ouverture est prévue ce samedi 2 septembre. D’abord entendu comme témoin après une plainte pour “diffamation”, il a été “surpris de voir que des accusations étaient retenues contre lui”, a expliqué l’un de ses avocats, Mohamed Abou Elainain, lundi lors d’une conférence de presse au Caire. Ceux-ci tentent “depuis quatre jours d’obtenir des copies ou au moins de voir le dossier” avant la première audience, a-t-il ajouté, alors que de nouvelles charges pour “outrage” aux forces de l’ordre ont été retenues lors de son placement en détention.
Raisons politiques
Mais pour ses partisans, ces accusations cachent d’autres raisons, de nature politique. Pour Gamila Ismaïl, la cheffe du parti Doustour, “Hicham Kassem dérangeait le régime depuis longtemps car il dénonçait notamment le rôle de l’armée dans l’économie”, alors que l’Égypte est plongée depuis des mois dans une profonde crise économique, accentuée par l’inflation. “J’ai moi-même déposé 32 plaintes pour diffamations et elles traînent depuis des années. L’affaire d’Hicham Kassem va très vite, elle est politique, il est puni parce qu’il est dans l’opposition”, a-t-elle affirmé à l’agence France-Presse.
La coalition du Courant libre ne représente pas une menace directe pour le président, qui a fait amender la Constitution pour pouvoir briguer un troisième mandat qui ne devrait pas lui échapper vu le verrouillage sécuritaire et institutionnel institué par le régime. Par contre, de telles critiques, rares en Égypte, peuvent trouver un écho au sein de la population et mettre le pouvoir à l’épreuve, à quelque six mois de la présidentielle. En particulier quant à la volonté affichée par le président d’investir le champ des libertés et des droits de l’homme, comme il l’a montré ces derniers temps – afin sans doute de dissimuler son mauvais bilan économique. L’été dernier, le président a lancé une initiative de “dialogue national” censée discuter des sujets qui fâchent, y compris avec les principaux représentants de la société civile. La Coalition a indiqué lundi mettre en balance sa participation à ce dialogue, voire à la présidentielle. Cela dépendra, selon elle, du sort judiciaire réservé à Hicham Kassem et à d’autres “détenus politiques”, dont elle a demandé la libération.
Gages démocratiques
En la matière, le pouvoir égyptien souffle le chaud et le froid. La veille de l’arrestation d’Hicham Kassem, la libération d’une figure de la révolution de 2011 suite à une nouvelle grâce présidentielle, avait contribué à entretenir un espoir d’un assouplissement de la répression. Ahmed Douma, l’un des fondateurs du mouvement du 6-Avril qui avait joué un rôle clé dans le soulèvement populaire contre le président Hosni Moubarak, purgeait depuis 2013 une peine de quinze d’emprisonnement pour violences lors de manifestations. Depuis début août, une bonne trentaine de personnes ont été libérées via des grâces présidentielles, par lesquelles le régime semble vouloir donner des gages “démocratiques” à l’approche du scrutin présidentiel.
”Le président devrait se demander s’il a toujours la même popularité qu’il y a six, sept ou huit ans de cela”, a suggéré un autre membre de la coalition, Mohammed Anouar al Sadate. Le président du parti Réforme et Développement, neveu du président homonyme assassiné en 1981, a mis en garde le gouvernement en soulignant le “grand défi” qui s’impose à lui ces prochains mois, “parce que la population ne supportera plus la moindre hausse des prix ou de taux de change”.