La contestation de retour en Syrie: "Trois éléments sont indispensables pour que les manifestations actuelles arrivent à secouer le régime syrien"
Les récentes manifestations, même en mode mineur, dans le sud du pays ont ranimé le spectre d’une nouvelle fronde contre le régime de Bachar al Assad.
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- Publié le 06-09-2023 à 21h37
- Mis à jour le 16-09-2023 à 11h56
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La Syrie n’a pas encore complètement tourné la page de la guerre que son gouvernement fait face à une nouvelle menace. Les récentes manifestations, apparues dans des villes du sud du pays et répondant à des motivations relatives au coût de la vie, ont ranimé le spectre d’une nouvelle fronde contre le régime de Bachar al Assad. Des milliers d’habitants de Soueïda ont commencé à manifester à la mi-août dans les rues de ce chef-lieu de la province éponyme, considérée comme le fief de la minorité druze (des musulmans d’obédience chiite représentant quelque 3 % de la population syrienne). La décision du gouvernement de suspendre les subventions d’État sur les carburants fut l’élément déclencheur, en particulier pour les classes les plus précaires, confrontées à des conditions socio-économiques qui n’ont cessé de se dégrader depuis la guerre.
Ces derniers mois, la crise économique s’est intensifiée dans un contexte de hausse de prix et de dévaluation de la monnaie nationale. La livre syrienne affichait le mois dernier un taux de change d’un dollar pour 15 500 livres, contre 47 livres au début de la guerre en 2011. Les manifestants critiquent aussi la vente des “ressources nationales” à des clients étrangers, comme la Russie et l’Iran, deux États qui ont largement aidé Damas à récupérer sa souveraineté sur la majeure partie du territoire national.
”Les revendications expriment un ras-le-bol socio-économique et non pas une opposition politique mais certains manifestants accusent le régime d’être responsable de cette situation et exigent son départ”, estime Hasni Abidi, directeur du Cermam (Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen). “La force des revendications sociales réside dans leur caractère transversal et non clivant d’où leur popularité même dans certaines régions acquises au pouvoir”, ajoute-t-il.
Ni “ferme” ni “moutons”
Les manifestations ont pourtant pris une tournure politique plus affirmée, les slogans socio-économiques laissant apparaître des messages plus hostiles au régime, dénonçant la “corruption” et invitant Bachar à “dégager”. “La Syrie n’est pas une ferme, et nous ne sommes pas des moutons”, a-t-on pu lire sur un panneau, semblant affirmer que les limites sont franchies. Certains ont demandé la rédaction d’une nouvelle Constitution ou l’application de la résolution 2254 de l’Onu, qui prévoit des élections sous supervision des Nations unies.

Lorsque ces manifestations ont gagné la province voisine de Deraa, considérée comme le berceau de la révolte de la mi-mars 2011 et où l’on a brandi le drapeau à trois étoiles emblématique de la révolution, le gouvernement a bien senti le risque de voir le mouvement s’élargir. “Le régime syrien est en difficulté mais il n’est pas menacé”, souligne ce chercheur, spécialiste du Moyen-Orient. “Trois éléments sont indispensables pour que les manifestations actuelles arrivent à secouer le régime syrien : une extension sur tout le territoire pour toucher la banlieue de Damas, cœur du système, une émergence de leaders crédibles et la continuité des manifestations”.
Velléité de battre le pavé
Bien que celles-ci ne subsistent sur base quotidienne qu’à Soueïda, les autorités syriennes tentent d’empêcher toute diffusion de ces manifestations aux autres régions du pays. ” Le régime syrien, longtemps perçu comme le protecteur des minorités, est inquiet de voir la communauté druze se soulever et rejeter les appels au calme. C’est pourquoi Damas s’abstient à un usage de la force et continue de jouer la carte des leaders religieux et des demandes de médiation officielle. Contrairement à 2011, sa gestion actuelle est mesurée afin de ne pas faire tache d’huile”, relève Hasni Abidi.
À Damas, les autorités ont toutefois multiplié les arrestations ciblées de militants – une cinquantaine ces derniers temps – afin de décourager toute velléité de battre le pavé dans la capitale, où le retentissement médiatique serait potentiellement tout autre qu’en pays druze….