"Il n'y a eu aucune pitié pour nous. Des amis à moi ont été torturés pendant des jours"
Un an après le soulèvement qui a secoué l’Iran, la colère couve toujours au sein de la population. Et notamment dans les universités.
- Publié le 15-09-2023 à 14h44
- Mis à jour le 16-09-2023 à 11h53
Un an après le meurtre de Mahsa Amini, étudiante kurde arrêtée et tabassée à Téhéran pour n’avoir pas correctement porté le voile islamique, l’Iran serre la vis, à coups d’arrestations arbitraires, de jugements expéditifs et de pendaisons. Un durcissement qui n’a pas tué le slogan "Femme, vie, liberté", lequel s’était répandu comme une traînée de poudre lors du soulèvement qui a suivi le décès la jeune femme en septembre 2022.
"Une étape vers la liberté"
"L’an passé n’était qu’une étape vers la liberté", assure Hessam (prénom d'emprunt), la vingtaine, étudiant à Téhéran et farouchement opposé au régime des mollahs, qu’il a connu toute sa vie. Ce supporter du MEK (les moudjahiddines du peuple, traqués par le régime à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières) le sait: il prend un risque en osant parler à un média étranger occidental. Et pour cause, sur les 12 derniers mois, au moins 3 626 partisans du MEK ont été arrêtés. Toutefois la colère qui anime la jeunesse iranienne va au-delà d’une éventuelle inclination politique: "Une grande partie de la population attend l’étincelle pour sortir et se soulever, et pas seulement dans les universités, assure Hessam. Le régime voudrait clore une bonne fois pour toutes ce qui est arrivé l’an passé, mais les gens attendent une occasion pour recommencer."
L’avenir dira si le feu qui couve dans les universités iraniennes reprendra de plus belle ces prochains mois. Toujours est-il que les braises sont encore chaudes malgré les efforts du régime pour bâillonner la jeunesse iranienne. "Il y a un an, immédiatement après l’annonce du meurtre de Mahsa Amini, la nouvelle s’est répandue et les gens sont descendus dans la rue, se remémore Hessam. Ce qui a aussi été le cas de beaucoup d’étudiants, qui ont commencé à ne plus aller en cours et chanter les slogans en lien avec le soulèvement. Ces slogans sont explicitement dirigés contre les mollahs et les dirigeants. Des statues à l’effigie de Khamenei (NDLR: le guide suprême, au pouvoir depuis 1989) ou d’autres dirigeants ont été brûlées, piétinées."
Le feu qui couve
"Dès lors, reprend-il, il n’y a eu aucune pitié pour nous. Les dirigeants des universités ont directement répondu aux autorités, laissant les gardiens de la révolution débarquer. Nombre de mes amis ont été arrêtés, provoquant de nouveaux rassemblements avec ce mot d’ordre: si nos amis ne peuvent se rendre en cours, pourquoi le devrions-nous ? Et ça a continué comme ça un moment, jusqu’à ce que la révolte atteigne un pic. Sept à huit mois après le début du soulèvement, il y a eu énormément d’arrestations dans les universités. Certains étudiants ont été arrêtés pour quelques jours, d’autres pour quelques mois, quelques-uns sont encore en prison aujourd’hui. Des amis à moi ont été torturés pendant des jours. Ou forcés de signer une promesse de ne plus protester, puis relâchés. Énormément d’étudiants ont été bannis purement et simplement de l’université. Pas seulement interdits: bannis, à vie."
"On a passé l’été avec des universités fermées, continue Hessam. Et maintenant le régime essaie de contrôler au plus près ce qui se passe à l’université. En conséquence, des enseignants sont forcés de rester chez eux, ou ont été licenciés ces dernières semaines. À la place viennent des ‘professeurs’ qui ne connaissent pas les matières qu’ils enseignent, ou qui ne disposent d’aucune compétence académique. Mais qui sont directement connectés au régime."
Peuple appauvri
Depuis l’extérieur du pays, le CNRI, le Conseil National de la Résistance Iranienne en exil qui regroupe en majorité les instances dirigeantes du MEK, tente de faire remonter ce qui se trame à l’intérieur du pays, tout en engrangeant un maximum de sympathisants. "Le soulèvement a eu un impact psychologique considérable sur une partie de la population, qui n’a plus peur", observe cet interlocuteur au sein du MEK, alors que les hommages à Mahsa Amini se multiplient ces jours-ci. Surtout, "personne ne croit à de grands changements fondamentaux de la part du régime, alors que 70% des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté. Or l’Iran est riche. En gaz, pétrole, minéraux. Dieu nous a donné un sacré privilège !", dit ce dernier dans un sourire ironique. Avant de conclure: "Les gens commencent à se réveiller sur cette réalité. Le régime peut changer ça, mais il ne le fera pas car le système se désintégrerait. Il lui faut continuer à nourrir ceux qui lui sont loyaux. S’il arrête, le régime tombe."