Geert Vermeire, boucher chevalin
Autrefois viande du pauvre, la viande de cheval a acquis ses lettres de noblesse grâce à Geert Vermeire, le dernier boucher chevalin de Bruxelles.
Publié le 18-02-2023 à 09h45
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L’étal de la boucherie Vermeire à Ganshoren est rutilant. Il croule sous les merveilles. À côté de quelques pièces de bœuf ou de porc, ce qui attire surtout l’œil, c’est la viande de cheval. On est d’abord ébahi par la variété des produits proposés : filet d’Anvers, cervelas, saucisses sèches, pâté… On zieute cette tache noire – un morceau dans la cuisse –, maigre mais à la couleur bordeaux intense. Un peu plus loin, on remarque ce haché d’un beau rouge foncé. Sans même parler de cette épaule et cette entrecôte incroyablement persillées.
Nous sommes ici dans la dernière boucherie chevaline de la capitale, que le Bruxellois Geert Vermeire, dont la famille est originaire de Tielt, en Flandre Occidentale, a ouverte en 1997 à Ganshoren.

Seconde génération de boucher
Geert Vermeire a fait ses premiers pas dans la boucherie de ses parents, alors située rue Rempart des Moines, dans le quartier Dansaert. Erland Vermeire avait repris cette boucherie en 1968 et l’a tenue avec sa femme, Christiane Claeys, jusqu’en 1999. “C’était une boucherie 100 % chevaline ! Il n’y avait même pas des côtes de porc… J’avais 7 ans quand j’ai aidé mon père pour la première fois. J’y ai pris goût, mais je voulais devenir chef ! Mon père n’a rien voulu entendre. Il m’a dit : Tant que tu habites sous mon toit, c’est moi qui décide. Tu deviendras boucher ! Après tes 18 ans, tu feras ce que tu veux”, se souvient le boucher de 50 ans, qui ne l’a jamais regretté.
Pourtant, ce n’est pas à l’école qu’il apprend à découper du cheval… “À l’école de boucherie, on apprend à désosser un bœuf, un porc, un agneau et puis c’est tout. Le cheval, on n’en parle même pas !”, s’emporte gentiment Vermeire. Les pièces de cheval sont les mêmes que celles de bœuf, mais les volumes sont différents et leur destination n’est pas toujours la même… “De nombreux bouchers commencent le cheval et arrêtent aussitôt, car c’est une viande qui s’oxyde très vite. Il y a beaucoup de pertes, du gras… Il faut apprendre à les recycler. Il faut être né dans une boucherie chevaline pour apprendre ça”, affirme le Bruxellois.

Un artisan passionné
Les boucheries, et pas seulement les chevalines, disparaissent de nos quartiers au profit des supermarchés… Rien qu’à Ganshoren, Geert Vermeire a vu la fermeture de cinq boucheries dans les six derniers mois. C’est que le métier est difficile et si l’on ne l’accomplit par passion, impossible de trouver la motivation.
Une journée type à la boucherie Vermeire commence ainsi à 4h du matin. Geert et son équipe préparent d’abord les plats traiteur. “Que des recettes de grand-mère à l’ancienne ! De la blanquette, du vol-au-vent, des carbonnades de cheval à la Piedboeuf… ” s’enthousiasme le boucher. Et il faut une heure au boucher pour préparer les viandes et une heure trente de plus rien que pour découper et présenter les pièces de cheval à la vente…
Tous les matins, Geert Vermeire reçoit les chevaux entiers, découpés en quatre. “Tous les chevaux qui sont chez moi sont des chevaux qui ont été bien élevés, bien nourris et bien traités. Ce sont les carottes qu’on leur donne, le sucre, qui font que le cheval prend du poids, du gras et que la viande est persillée. Mais la graisse de cheval contient zéro pour cent de cholestérol ! ”, insiste le boucher. Qui ajoute : “On n’est pas des mauvaises boucheries ou des tueurs de chevaux. On récupère des animaux à partir de quatre ou cinq ans, souvent des animaux qui boîtent, pour les manger. C’est du recyclage…”
Il n’y a pas d’élevage de chevaux pour la consommation. Les propriétaires de chevaux doivent décider à la naissance la destination de leur cheval ou de leur poney.

Viande pauvre vs de luxe
Le bonhomme vend entre 600 et 900 kg de cheval par semaine, entre sa clientèle d’habitués et les cinq restaurants réguliers avec lesquels il travaille : Friture René et le Notelaar à Anderlecht, La Brasserie de la Gare à Berchem, le French Kiss à Jette et Land van Gaasbeek à Lennik. Mais Geert Vermeire a aussi des clients plus prestigieux, comme l’excellent Dirk Miny des Brigittines ou le chef Christophe Hardiquest du Menssa (ex-Bon Bon**), et même le grand chef parisien Pascal Barbot (L’Astrance) lui a déjà commandé quelques pièces…
En 2021, selon Celagri (la Cellule d’information sur l’agriculture), le Belge aurait acheté 64,4 kg de viande, dont seulement 500 g de cheval… On est loin de l’âge d’or de la consommation de viande de cheval, dans les années 1960 et 1970, lorsque les boucheries chevalines fleurissaient à Anderlecht, dans les Marolles ou dans le Borinage. Car la viande de cheval était alors la viande du pauvre. L’hippophagie a d’ailleurs toujours été associée à la misère. Elle a été légalisée au XIXe siècle pour nourrir les pauvres en Belgique, mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Norvège et en Suède.
Dans notre pays, les boucheries chevalines se sont multipliées après la Première Guerre mondiale, mais c’est surtout avec la mécanisation des fermes, dans les années 1950, que beaucoup de chevaux se sont retrouvés sur le marché…

À l’époque, on n’est pas aussi exigeant sur la qualité. C’est la sélection pointue opérée par Geert Vermeire qui va tout changer. “Le contre-filet de cheval est à 32,95€ ; ça commence à chiffrer ! C’est le même prix, voire un peu plus cher que le contre-filet de bœuf…”, lance-t-il. Certains clients font d’ailleurs de nombreux kilomètres pour acheter l’incroyable viande de cheval persillée de Geert Vermeire. “On entend souvent dans la presse qu’il faut manger moins de viande, mais de la bonne viande. J’essaye de mettre ça en pratique ! Pour des raisons écologiques, je ne veux que des chevaux européens : belges, hollandais, danois, allemands… Je dis souvent à mon fournisseur Chevideco : le top pour moi, le bol pour les autres ! Et quand ça rentre ici, je sélectionne de nouveau. Je suis hyper difficile. Ça doit être tendre, persillé. La viande, c’est devenu quelque chose de cher et je veux vendre de la qualité !”
Ce qui fait aussi la différence chez Geert Vermeire, c’est sa passion pour la gastronomie. Rentrer dans les cuisines de Christophe Hardiquest était un rêve pour lui… De leur amitié, est né un très original pâté de cheval avec des artichauts et du filet d’Anvers. Et il y a peu, ils ont lancé avec Jean-Pierre Van Roy de chez Cantillon, le “jambillon des copains”, un jambon de cochon mariné dans la gueuze…

Belgique, terre chevaline
Dans le livre Chevaline, paru chez Sh-Op Editions en novembre 2022, René Sépul évoque l’histoire de l’hippophagie. La consommation du cheval serait ainsi attestée dès la Préhistoire, même si, dans le temps, elle aurait le plus souvent été liée à de l’opportunisme, la disette ou la mort d’un cheval. Il parle aussi de la Belgique, terre chevaline. Des marchés aux chevaux qui se sont tenus autres fois, comme le marché de la Duchesse à Molenbeek ou celui à Binche. Des boucheries chevalines aussi, dont certaines disparues. D’autres toujours bien là. Comme celle de Geert Vermeire à Ganshoren – à l’origine du livre –, la boucherie Cocquyt de François Abruzzese à Frameries, ou encore la boucherie Daneau à Binche. Sans oublier l’Ordre des “Pjeirefretters” (les mangeurs de cheval) de Vilvorde.
Au début du XXe siècle, les chevaux étant omniprésents dans la ville. Plus de 30000 chevaux de trait étaient exportés chaque année. Et, naturellement, le cheval est également devenu une spécialité culinaire…
Dans cette page d’histoire chevaline, on trouvera aussi des restos où l’on prépare encore la viande chevaline, ainsi que des recettes. Dont le fameux filet pur de cheval aux bulots et cressonnette de Dirk Miny aux Brigittines.
- Chevaline, de René Sépul, chez Sh-Op Editions, pp. 170, 30€.
