Charles Kaisin, l'architecte et designer qui a érigé le rêve, la fantaisie et les petites choses en grands projets qu'on s'arrache
En mêlant son imaginaire féerique à son amour pour son pays, Kaisin a créé une carte de visite extraordinaire pour la Belgique. Success story.
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Publié le 27-02-2023 à 12h09
Charles Kaisin voyage beaucoup, vit quelques mois par an à Londres. Mais sa maison, son refuge, se situe à Bruxelles, non loin du petit Château et du canal. Une vaste maison de maître qui abrite aussi ses bureaux et son atelier. Au centre, un patio qui rappelle la nature qu’il aime temps, lui qui a grandi dans un minuscule village nommé Devant-les-Bois, non loin de Mettet. Attenante à ce puits de lumière, la salle à manger abrite une table mesurant plus de 10 mètres de long que le designer avait conçue pour un des premiers dîners surréalistes. En hêtre et en chêne, des branches d’arbres la traversent, montant vers le plafond dans un entrelacs poétique. Une table à son image finalement : extraordinaire, audacieuse et originale elle est aussi très conviviale par sa taille et multidisciplinaire : on peut y manger, y travailler, y organiser des réunions, étaler des plans… Et il en faut de l’espace pour donner naissance à tout ce que cet élégant et facétieux architecte a en tête !
Comment êtes-vous devenu architecte-designer-scénographe-origamiste ?
"J’ai grandi à la campagne. Quand j’étais enfant j’adorais bricoler, je construisais des cabanes que je voulais magnifiques dans la forêt. J’aimais aussi observer, regarder, me raconter des histoires à partir de ce que je voyais, insuffler du beau. Mais j’aurais aussi beaucoup aimé me tourner vers la médecine. À l’heure de choisir un cursus, c’est l’artistique qui l’a emporté, je me suis tourné vers l’architecture. Une formation qui pousse à mettre en œuvre une logique de pensée très structurante dont les champs d’applications sont très diversifiés comme la couture, le design dans le sens large du thème, le paysagisme, le design culinaire, la scénographie… J’ai fait Saint-Luc à Bruxelles puis cela a été le design à la St Martin’s puis le Royal College dans l’atelier de Ron Arad. Une chance immense qui m’a permis d’apprendre les techniques de l’Artisanat, avec un grand A. J’ai une admiration sans borne pour les artisans. Lauréat d’une bourse, j’ai pu aller à Tokyo me former auprès de certains d’entre eux. C’était fascinant : on peut par exemple apprendre toute une vie l’art de l’origami !"
L’enthousiasme vous caractérise, vous parlez aussi beaucoup de chance dans votre vie.
"Oui, il faut savoir reconnaître nos chances. Moi, j’ai été entouré de parents aimants, présents, soutenants. C’est la base la plus solide que l’on puisse avoir ! Mes parents venaient de la campagne et étaient fiers de leurs valeurs : la terre, le respect de la nature, pas de gaspillage, et à côté de ça, l’accueil, l’amitié, le folklore avec les carnavals… Mon frère aîné et moi, avons vraiment intégré tout ça. On se baladait sans arrêt dans les bois, les champs, on faisait de la luge en hiver, on mangeait des fruits de saison. Et le deuxième fil rouge côté chance, c’est que j’ai rencontré énormément de personnes bienveillantes. Chaque rencontre a été un tremplin personnel mais aussi professionnel. Chance aussi d’être Belge, dans un pays tolérant, où le fait d’être gay n’est plus un tabou. Je me rends compte de tout ça, je ne vis pas dans un monde perché ! Je vis près du canal, je vois la précarité, le sans-abrisme, la pauvreté s’accentuer. J’agis. À mon niveau."
Qu’est-ce qui vous aiguillonne toujours autant ?
"Je dirais que c’est la curiosité. Mais plus important, je n’ai pas peur de l’échec. Dans la culture anglo-saxonne, l’échec n’en est pas un : c’est un questionnement. Pour comprendre pourquoi ça n’a pas marché, quelles sont les autres pistes… On ne rate rien, on doit juste regarder différemment, c’est très porteur. Alors la notion de culpabilité disparaît totalement, c’est la confiance en soi qui se renouvelle, laissant toute la place à la créativité. C’est ce que je veux faire passer aussi auprès de mes étudiants à Saint-Luc, aux stagiaires du bureau. Car l’autre chemin important pour moi, c’est la transmission. De même qu’apprendre à décloisonner. C’est le meilleur conseil que je peux donner et je me l’applique toujours à moi-même aussi, c’est de cette manière je pense que je peux renouveler mon travail. Mais pour ça, il faut aussi être curieux, passionné et travailler beaucoup."

En quoi vos jeunes années résonnent-elles dans vos travaux et projets ?
"Disons que je faisais déjà du recyclage il y a trente ans quand on n’en parlait pas ! Le thème de ma formation auprès de Ron Arad, c’était le mouvement dans les objets et l’extension. Ces pistes de recherche m’ont fait regarder les "déchets" autrement : ma collection de verres et d’assiettes à partir de bouteilles qu’on ne recyclait pas à l’époque, cela vient de là. La Hairy Chair, un fauteuil fait de magazines passés à la déchiqueteuse aussi. Depuis tout petit, je me raconte des histoires à partir de ce que je vois. Pour moi, il est donc naturel que chaque objet ait une histoire et même plusieurs, puisque chacun se l’appropriera selon sa personnalité. Le banc extensible K Bench, qui m’a fait connaître en Belgique est un banc qui peut être ramassé sur lui-même ou agrandi, qu peut être une assise ou une table… Extension aussi pour le premier sac que j’ai dessiné pour Delvaux. Enfin, les dîners surréalistes qui mettent la Belgique en vedette parlent d’imaginaire, de féerie… de carnavals en fait !
Le 5 décembre 2022, vous avez eu 50 ans. Quelque temps après la crise du Covid qui a fait aussi pas mal réfléchir… Vous avez tiré des bilans, des souhaits, des regrets ?
50 ans pour moi, ça n’est qu’un chiffre, mais oui, je me suis dit que décidément ma vie m’épanouit toujours, je fais ce que j’aime. Et que même cette crise du Covid qui a tout immobilisé et qui aurait pu impacter fort négativement l’hyperactif que je suis m’a ouvert d’autres portes : c’est là que j’ai lancé Origami for Life. On s’est énormément investi pour ce projet artistique participatif et caritatif. Des milliers d’oiseaux en origami fabriqués notamment par un public réceptif sont devenus des installations. La toute première, en novembre 2020 a permis de récolter 400 000 euros pour les hôpitaux et les soins de santé en pleine tourmente à ce moment-là. Le succès a été tel que le projet tourne maintenant partout dans le monde, à raison d’une ou deux installations par an."
Un designer connu et récompensé à l’international, amoureux de son pays
Des projets et des réalisations impressionnantes partout dans le monde. Charles Kaisin collabore avec des marques prestigieuses comme Hermès, Rolls-Royce, Delvaux, Ice-Watch, Vange, Serax. Il a réalisé de nombreux projets en Europe, États-Unis, Asie et Maroc, on lui doit le concept de l’hôtel Almaha. L’architecte-designer se fait aussi scénographe et metteur en scène lors de ses dîners surréalistes partout dans le monde. Les acteurs de l’art et du luxe se l’arrachent ! Et il est un des représentants de la Belgique à l’international. À côté de ça, il n’hésite pas une seule seconde à s’associer aux 70 ans de la joaillerie Polomé de Charleroi qui l’a tant fasciné petit garçon ; à prendre la direction artistique de tout le packaging recyclable d’une nouvelle marque de cosmétiques belges issus de la vigne, Maison Éole. Avec la même énergie, la même approche. Il aime profondément la Belgique : “On est un petit pays qui compte beaucoup de gens extraordinaires avec un talent, des savoir-faire qu’on ne met pas assez en avant. Ici, on fait, on avance. C’est ça qui définit l’esprit belge que j’ai toujours voulu mettre en avant dans mes dîners, dans mes projets.”
Une approche originale, souvent facétieuse qui a séduit… la France. Il nous est revenu aux oreilles que Charles Kaisin va être nommé Chevalier des Arts et des Lettres cette année. Prélude à un Ordre national pour cet infatigable représentant de la Belgique ?

Des dîners inégalés dans le monde
Touche-à-tout tendance hyperactif, amoureux de son pays, fier des talents qui y naissent et s'y perpétuent, enfant de la région des carnavals et fervent admirateur de Magritte notamment, créatif facétieux à l'imaginaire généreux… Au travers de ce rapide résumé d'une personnalité hors-normes, on n'est pas si étonné que le designer et architecte Charles Kaisin ait pensé il y a quelque 13 ans à mettre sur pied des dîners surréalistes. Des événements qui l'ont fait connaître partout dans le monde. Qui rallument les âmes d'enfant des invités influents assistant à ces soirées extraordinaires. " Plus on touche les gens au travers de leurs 5 sens, plus ils se fabriquent naturellement une histoire et plus ils vibrent ."
La recette : des lieux auxquels on ne s’attend pas qui serviront de "salle à manger", un thème qui fait la part belle à la féerie et une scénographie qui va parler aux cinq sens : chant d’opéra, nage synchronisée, oiseaux par centaines, chevaux, service de table digne d’Alice au Pays des Merveilles, décorum que l’on regarde sans y croire. Pour créer cette magie, la mise en scène est millimétrée. Un gros travail d’équipe avec des talents belges mis en orchestre par Charles Kaisin, à chaque fois sur place. Il s’en organisait 10 à 12 par an avant le Covid. Car le succès a été rapidement au rendez-vous : le monde du luxe s’y retrouve.
" Dix années déjà de dîners surréalistes et j'aime toujours autant les faire, même si c'est un travail énorme, parfois cela va jusqu'à un an de production (Certains d'entre eux peuvent avoisiner le million d'euros, NdlR). Je suis émerveillé par tellement de choses ! Quand j'étais enfant, Magritte me sidérait, il y a tellement de couches de lecture différentes dans ses tableaux. J'essaie d'insuffler cela dans ces repas-spectacles."
Mais pourquoi y manger ? " L'art de la table est le premier de tous les arts pour moi : c'est là que tu annonces les choses importantes à tes proches, c'est là que tu négocies, c'est là que l'on se donne rendez-vous pour être ensemble, là que l'on discute : des projets naissent, des solutions sont trouvées, c'est le lieu de tous les échanges."
Le prochain, qui n’est pas privé, aura lieu le 9 mars à Paris, avec Alain Ducasse et Cédric Grolet en cuisine qui ont imaginé des plats et des desserts autour des champagnes de la maison Dom Perignon. Charles Kaisin en organise aussi un par an à Bruxelles, là où tout a commencé.