Le design jusque dans l’assiette

Des designers ont fait de l' "objet alimentaire" leur terrain de jeu.

M.Le
Le design jusque dans l’assiette
©Stéphane Bureaux

Des designers ont fait de l' "objet alimentaire" leur terrain de jeu.

Il n’y a pas de domaine interdit au design, à condition de proposer des produits porteurs de sens.” Ces mots sont de Stéphane Bureaux, diplômé de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle et l’un des pionniers du design culinaire. Sa matière à lui, ce sont les aliments, qu’il met en scène et réinvente, au gré de son imagination et de ses réflexions sur l’alimentation et nos façons de manger.

Professeur au sein du master en Design culinaire créé en 2012 à l’Académie royale des beaux-arts de Bruxelles, “un master qui parle de nourriture par le biais de la création” , Stéphane Bureaux revient pour nous sur cette discipline fascinante et relativement méconnue.

On commence à entendre de plus en plus parler du design culinaire mais personne ne sait vraiment comment le définir…

Les designers s’intéressent à tout ce qui nous entoure, de la petite cuillère à la ville. Le design culinaire s’applique, lui, à tout ce qui est comestible, c’est aussi simple que ça. Le design culinaire est du design appliqué à l’objet alimentaire tant dans sa dimension artisanale, industrielle ou événementielle.

Quand est-il né ?

On voit peu de choses en design culinaire avant les années nonante. Philippe Starck a dessiné à l’époque des pâtes pour Panzani puis c’est un peu tombé dans l’oubli. Aujourd’hui, le design culinaire existe médiatiquement, mais peu commercialement. Ce fossé entre portée médiatique et commerciale ne se limite d’ailleurs pas au design culinaire.

Quels sont les objectifs de ce design culinaire ?

Pour comprendre les buts du design culinaire, il faut revenir à la définition du design qui est de rendre les choses meilleures que ce qu’elles sont. C’est à la fois prétentieux et très laborieux. Cela peut se traduire d’un côté par un manifeste ou à l’opposé par une commande d’un industriel qui veut vendre davantage. Entre les deux, le design culinaire peut aussi intéresser un chef qui veut sortir de son pré carré, développer sa sphère de créativité.

Le design culinaire ne doit pas être confondu avec l’art de la gastronomie. Comment les distinguer ?

Les deux sont complémentaires, on doit partager la création. Les chefs ne sont pas designers, ils sont chefs. Les chefs font parfois beaucoup de contre sens dans le choix des couverts par exemple qui ne correspondent pas à l’esprit des plats. Cela ne dégrade pas le goût, mais l’expérience. Les collaborations avec les chefs sont courantes. Récemment, Anne-Sophie Pic m’a demandé de réfléchir au parcours culinaire de ses clients. Je repense toute la mise en scène, toute la structure du repas, de la nappe à la structure du repas. On ne s’interdit rien. On essaye de raconter une histoire pertinente.

Il ne faut pas confondre non plus design culinaire et stylisme culinaire…

Même si je ne suis pas le spécialiste pour en parler, le métier de styliste culinaire consiste à préparer des natures mortes culinaires pour la photographie (NdlR : par exemple , un sac composé de brocolis du photographe italien Fulvio Bonavia, maître du food art). Cela reste de l’ordre de l’image alors que le design culinaire relève du sensible, du mangeable.

Le design culinaire interroge inévitablement les pratiques alimentaires. Avez-vous des exemples ?

Le design culinaire répond par exemple au fait de manger debout, assis ou couché. Comment répondre au besoin de manger en se déplaçant ? Comment mange-t-on quand on est diminué physiquement ? C’est un enjeu important à l’heure du vieillissement de la population. Récemment, j’ai subi une opération de la mâchoire. Je me suis demandé comment manger sans mâcher. L’architecture d’une recette permet de répondre à ces besoins et pratiques.

Le design culinaire en 4 créations de Stéphane Bureaux

TCC – Design cellulaire alimentaire

Le design jusque dans l’assiette
©Bureaux

Le design culinaire invite aussi à penser nos pratiques alimentaires dans le futur. L’idée de cette création digne d’une science-fiction est de faire pousser des feuilles ou des boulettes de viande en partant des cellules souche afin de s’affranchir de l’élevage des animaux. “Preuve” , selon Stéphane Bureaux, “que le design n’est pas que fonctionnel ou esthétique, il questionne et fait débat.” Preuve aussi que le designer déploie une imagination sans limite.

Carotte “en tiers”

Le design jusque dans l’assiette
©Bureaux

Création la plus connue de Stéphane Bureaux, la carotte “en tiers” est composée d’un assemblage de trois variétés de carottes aux couleurs différentes. Résultat : trois carottes en une, une carotte “en tiers” et entière !

Entremets hommage à Jean Prouvé

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©Bureaux

“Cette création est un exemple du design culinaire de l’ordre du manifeste” , souligne le designer français. En 1999, il fête avec la pâtisserie Stef le centenaire de l’École de Nancy en lançant “le Pavé Gruber”. En 2004, ils renouvellent cette collaboration et décident de rendre hommage au constructeur Jean Prouvé. Le corps de cet entremet est composé de fines couches de pâte feuilletée glacées à la framboise. Il est surmonté d’un disque perforé en chocolat noir. Les lignes de découpe sont marquées au fer rouge afin de garantir une répartition égalitaire des parts. Une idée qui aurait séduit l’architecte humaniste.

Le clou

Le design jusque dans l’assiette
©Bureaux

Cette création a été réalisée pour le Salon du chocolat en 2009. L’idée est d’assembler et de pouvoir associer des choses via un petit élément. “Le clou permet avec, un minimum de matières, un maximum de jeux de goût et d’imagination” , explique Stéphane Bureaux.

A lire : “Design culinaire”, de Stéphane Bureaux et Cécile Cau, Editions Eyrolles, 35 €

Pour suivre l’actualité de Stéphane Bureaux : www.stephane-design.com

Plus d’infos sur le master en Food Design à Bruxelles : www.masterfooddesign.be/a-propos

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