"Une métaphore de la nation"

Professeur d’histoire médiévale à l’université de Bologne, Massimo Montanari est notamment auteur, avec Alberto Capatti, de "La cuisine italienne, histoire d’une culture", publié au Seuil.

M. S.

Professeur d’histoire médiévale à l’université de Bologne, Massimo Montanari est notamment auteur, avec Alberto Capatti, de "La cuisine italienne, histoire d’une culture", publié au Seuil.

Qui a inventé les pâtes ?

Il faut bien savoir d’abord de quoi on parle : les pâtes fraîches -comme la lagana gréco-romaine, la future lasagne - sont un fait domestique qui existe vraisemblablement depuis que l’homme a su faire de la farine et la mélanger à l’eau. En revanche, les pâtes sèches sont tout autre chose : déshydratées, donc non périssables et très aisément transportables, elles sont dès le début un produit industriel et commercial. Il existe deux grandes aires géographiques où l’on mange des pâtes. Certains historiens pensent encore qu’elles seraient nées en Perse avant de se diffuser vers l’Ouest et l’Est. Mais, selon toute probabilité, l’usage des pâtes s’est développé séparément à l’Est et à l’Ouest.

Les spaghetti n'ont donc pas été rapportés par Marco Polo ?

C’est une légende. Les pâtes longues existaient déjà à Gênes et Marco Polo lui-même, comme il le raconte dans son récit" Il Milione", s’étonne de voir les Chinois en manger. En Occident, les pâtes sèches viennent du Moyen-Orient. Au XIIe siècle, il existait en Sicile, à Trabia, près de Palerme -où vivaient encore d’importantes communautés juives et arabes-, un centre de production exportant dans toute la Méditerranée des itrija, pâtes longues et sèches. C’est ensuite Gênes qui en devient l’un des principaux centres de production puis, à partir du XVe siècle, Naples, la ville la plus importante de la péninsule à l’époque. Toutes les trois sont des ports car l’industrie des pâtes est dès le début liée à la mer et au commerce.

Comment sont nés les divers types de pâtes ?

La pâte est très plastique, et cela permet toutes les formes lors de la fabrication. Cela a été le cas dès le début. Au XVIIe siècle, on voit peu ou prou se fixer des formes qui sont encore les plus utilisées aujourd’hui. C’est à cette époque qu’apparaissent sous ce nom les spaghetti et qu’ils se différencient des vermicelli, dont la dénomination est sensiblement plus ancienne. A cette époque, les pâtes commencent à être mangées par tous, mais elles gardent l’image d’un produit de luxe. A Naples, au XVIe siècle, en cas de risque de famine, il était interdit d’utiliser la farine pour faire des pâtes et elle devait servir exclusivement à la fabrication du pain. Les pâtes se sont ensuite diffusées peu à peu à ­toute la société.

La pâte est-elle un symbole de l'"italianité" ?

Elle représente un incontestable marqueur de l’identité nationale. L’Italie est le lieu où on en mange le plus, depuis le plus longtemps, et où les recettes autour des pâtes sont les plus nombreuses. Mais les pâtes n’y sont pas nées. Cela montre d’ailleurs bien que l’identité n’est pas liée à l’origine, mais qu’elle se constitue par apports successifs. En outre, il subsiste en Italie, notamment dans le Nord, une forte tradition du risotto et de la soupe. Il n’en reste pas moins que dans le processus de l’unité nationale et du Risorgimento, les pâtes sont devenues comme une métaphore de l’ensemble de la nation, alors qu’auparavant, elles ne symbolisaient que le sud du pays.

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