Les chefs passent au Slow Food
La semaine prochaine, Bruxelles va ralentir la cadence en se mettant à l’heure du Slow Food. Promenades gourmandes, ateliers culinaires, découverte du miel de Bruxelles, cours de jardinage bio, colloque sur l’avenir de l’alimentation durable dans l’Horeca, pique-nique au parc.
Publié le 19-09-2010 à 14h28
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La semaine prochaine, Bruxelles va ralentir la cadence en se mettant à l’heure du Slow Food. Promenades gourmandes, ateliers culinaires, découverte du miel de Bruxelles, cours de jardinage bio, colloque sur l’avenir de l’alimentation durable dans l’Horeca, pique-nique au parc Pour la 3e édition de "Goûter Bruxelles", de très nombreuses activités (cf. ci-dessous) seront proposées aux curieux et aux amateurs d’une alimentation plus saine. Et les chefs aussi sont toujours plus nombreux à s’associer à l’opération. Gastronomiques ou simples snacks, autant d’adresses conscientisées qui adhèrent donc à la charte Slow Food, organisation lancée en 1989 en Italie par Carlo Petrini.
Et en vingt ans, le Slow Food a largement dépassé l’effet de mode pour s’installer durablement dans l’univers de la gastronomie italienne : Salon du goût de Turin (en octobre), innombrables guides gastronomiques, livres de recettes, label pour les restaurants Le Slow Food occupe là-bas une place très importante, s’étant imposé comme un véritable pouvoir culinaire Et le mouvement est aujour- d’hui en passe de s’imposer un peu partout dans le monde, ayant fait des émules, des Etats-Unis à la France ou l’Allemagne.
Pour Catherine Piette, participer à "Goûter Bruxelles" est presque redondant. Avec son associée Christine Lefebvre, elles sont en effet membres fondatrices de Karikol, le convivium Slow Food bruxellois qui organise la manifestation. Et cela fait deux ans exactement qu’elles ont lancé leur snack "Trop Bon" à Ixelles dans l’idée de passer de la théorie à la pratique en proposant une cuisine respectueuse des valeurs du mouvement. Aux adjectifs de la charte Slow Food que s’engagent à respecter les participants - utiliser des ingrédients bons (qualité), propres (environnement) et justes (équitables) -, Mme Piette en ajoute un quatrième : "local". "Il y a d’excellentes spécialités italiennes, françaises ou anglaises mais j’essaye vraiment de mettre en valeur des produits du terroir. L’autre jour, j’ai par exemple donné dans un cours la recette d’un œuf cocotte au Pas de bleu de Hinkelspel. C’est un bleu extraordinaire, produit près de Gand. Pourtant, si tout le monde connaît le roquefort, la fourme d’Ambert ou le gorgonzola, ce fromage belge est totalement inconnu , explique-t-elle. On a plein de bons produits mais souvent faits par des producteurs qui restent modestes, qui ne font rien pour se faire connaître. Le Slow Food, justement, c’est aller au-delà du discours marketing. Je dis toujours aux gens que s’ils veulent de bons produits, il ne faut plus aller au supermarché mais sur les marchés de producteurs, adhérer à un Groupe d’achat solidaire Bref, revenir à des circuits courts."
Pour Catherine Piette, il ne s’agit pas d’une tendance, d’un effet de mode mais bien d’une lame de fond plus profonde "Ce n’est pas encore mainstream mais je pense que le durable est inéluctable. Il faut que l’on prenne conscience que le pic pétrolier est derrière nous, qu’il faut revenir à des choses plus raisonnables " Ainsi, on ne trouve que deux sortes de poisson chez "Trop bon" : un saumon d’élevage d’Irlande et des sardines de l’Atlantique en boîtes "Il faut qu’on se souvienne du fait que ce que l’on mange, ce sont des gens et la Terre qui l’ont produit et que l’on fait partie de cela. La bouffe devient trop virtuelle aujourd’hui " Mais cette femme qui a décidé de faire de sa passion un métier n’est pas non plus une ayatollah "Au resto, nous ne sommes bio qu’à 90 %. En effet, je refuse de me passer de produits que j’aime, comme certaines bières par exemple, dont les petits producteurs n’ont pas les moyens de se faire certifier bio, même s’ils travaillent de façon raisonnée."
A l’image de "Trop bon", de nombreux snacks se sont lancés dans cette démarche raisonnée, comme "Sikou" ou même "Exqi" par exemple. Mais le Slow Food gagne aussi les cuisines des restaurants. Ainsi, ils sont une bonne cinquantaine cette année à participer à "Goûter Bruxelles", et pas des moindres : "Comme chez soi", "Le pigeon noir", "Le coriandre", "Rouge tomate", "Jaloa", "Notos", "La table d’Evan"
Chef et copropriétaire du sympathique "Bistro de la Poste" à Ixelles, le Français Maxime Herbert s’associe également à la démarche. "L’événement est assez représentatif du travail que l’on fait dans le courant de l’année avec les produits proposés à la carte, explique-t-il. C’était logique pour nous de participer puisque cela ne nous demandait pas d’effort particulier. En cuisine comme avec les vins, notre politique est en effet de mettre en avant des choses de qualité, de remettre à l’honneur des produits oubliés ou des races quasi-disparues." Ainsi, au menu Slow Food du "Bistro de la Poste" pourra-t-on goûter à un "suprême de Coucou de Rennes rôti au thym, jus à la fève tonka et crème de panais", soit une volaille à rôtir retrouvée grâce au travail acharné de Paul Renault en Bretagne depuis les années 80. "On observe une évolution du public, beaucoup plus conscient qu’il y a quatre ou cinq ans de ces notions de qualité élémentaires mais qui souffrent face au lobbying de la grande distribution. Mais il y a encore beaucoup de travail à faire, notamment sur la médiatisation", estime M. Herbert, ravi de partager cette démarche de qualité et de recherche de produits rares avec d’autres restaurants comme "La Brasserie de la Paix" à Anderlecht, "Le Dôme" à Anvers ou encore "Bon Bon" à Uccle.
En son "Bon Bon", le gaillard Christophe Hardiquest participe d’ailleurs lui aussi à "Goûter Bruxelles", et ce pour la troisième année. "La philosophie est belle. Il faut que l’on arrive à mettre tout le monde d’accord sur cet état d’esprit, de retravailler avec des artisans et des producteurs proches de nos maisons Aujourd’hui, on ne connaît plus ce qu’on a à côté de soi." Pour le chef étoilé, cette notion de local est en effet primordiale. "Je préfère la petite production plutôt que les multinationales. Je suis également pour le commerce équitable, pour que tout le monde puisse vivre dignement du travail qu’il aime. Surtout en ces temps de crise, il faut revenir aux métiers manuels." Joignant le geste à la parole, Hardiquest travaille depuis trois ans avec son beau-frère, devenu son jardinier à Dour, comme Sang-Hoon Degeimbre peut le faire avec Benoît Blairvacq (cf. "Momento du 17/7). "Aujourd’hui, 95 % des légumes servis au resto viennent du jardin. Cela demande un peu d’efforts mais il s’agit d’un mouvement de fond chez tous ceux qui aiment leur métier, qui ont envie qu’une pomme ait le goût de la pomme et qu’elle ne soit pas bourrée de pesticides "
Car, pour Hardiquest, il est aussi question de santé. "On a été trop loin. Certains pays sont en avance, comme la Californie par exemple. Cela fait vingt ans qu’ils sont en bio et les gens ne s’en portent pas plus mal. Il est temps d’arrêter les bêtises et de revenir à plus de proximité, à de vraies relations entre les hommes. C’est de là que je viens, ce sont mes souvenirs d’enfance " Ceux d’un gamin de la région liégeoise dont la grand-mère cultivait en son jardin rutabagas, topinambours et autres légumes aujourd’hui un peu oubliés "En tant que professionnels de l’alimentation, nous avons un rôle d’éducateur à jouer, insiste Hardiquest. Il faut enrayer le système mis en place, se révolter. Il faut que les gens changent leurs réflexes de consommation. J’ai trois enfants et j’ai envie qu’ils mangent correctement. Je leur donne de bonnes choses et je vois bien qu’ils ne sont jamais malades Il s’agit aussi d’un investissement sur la santé !"
Cette prise de conscience du chef a évidemment eu une influence sur la cuisine de "Bon Bon". "Aujourd’hui, je mange moins et mieux. Du coup, ma cuisine est moins lourde, plus fraîche. Je n’ai plus honte d’utiliser du cru par exemple. Dans cette démarche, les nouvelles techniques, comme la cuisson basse température, nous aident beaucoup", conclut Christophe Hardiquest, ambassadeur passionné du Slow Food.