La Suisse dans tous ses états
Suisse, sur l'alpage du Cerney, au cœur du parc jurassien vaudois, Simon Renaud caille son lait cru au feu de bois, perché à une altitude de 1 287 mètres, dans un chalet d’alpage. La cuve de cuivre est étroitement surveillée par le fromager.
Publié le 10-10-2010 à 13h37
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Suisse, sur l'alpage du Cerney, au cœur du parc jurassien vaudois, Simon Renaud caille son lait cru au feu de bois, perché à une altitude de 1 287 mètres, dans un chalet d’alpage. La cuve de cuivre est étroitement surveillée par le fromager. Il vit et dort ici quatre mois par an, chaque été, histoire de fabriquer son gruyère d’alpage - AOC s’il vous plaît - durant cette période particulière appelée l’estive (mi-mai à mi-septembre). "Le gruyère d’alpage est très différent d’une meule de gruyère classique. D’une part, le lait de mes 68 vaches a un goût très particulier parce qu’elles broutent une herbe différente : fraîche, plus abondante et fournie en fleurs d’altitude. Et d’un alpage à l’autre, l’herbe et les fleurs sont différentes. C’est pourquoi, tous les gruyères d’alpage n’ont pas tous le même goût non plus. L’affouragement d’ensilage est interdit pour nourrir le bétail. Il ne peut se nourrir que d’herbe naturelle." Résultat ? Un lait riche, crémeux et parfumé donnant in fine au gruyère d’alpage AOC transformé sur place un goût plus prononcé, plus ou moins salé et assez fruité. "Cela fait 11 ans que je suis fromager. A 39 ans, je ne voudrais pas faire autre chose et puis dans la famille on est dans le gruyère depuis des décennies."
Avec à peu près trois meules fabriquées par jour, le gaillard de 39 ans possède à coup sûr de la force dans les bras. Loin des machines alambiquées, il soulève manuellement des cuves de cuivre, des kilos de caillé avec une simple toile de lin, laissant ainsi filer le petit-lait, une fois que la présure et le brassage ont créé l’effet escompté. Déposé dans les moules, le caillé est pressé à l’ancienne.
Une fois retournée et démoulée, la meule est salée et enfouie dans une cave de maturation et d’affinage sur des tablards d’épicéa (cahier des charges oblige), dont la température et l’humidité sont soigneusement contrôlées. Durant les 8 à 12 premiers jours, les meules sont frottées et retournées quotidiennement histoire de fournir une croûte de consistance emmorgée, grainée et de couleur brunâtre.
Cinq mois d’affinage et de maturation sont nécessaires pour constituer définitivement la meule, "mais on peut attendre plus longtemps pour lui donner encore plus de caractère", souligne le fromager. "Le cahier des charges impose des normes d’hygiène strictes. Mais quand on vit au chalet, il n’y a souvent ni eau potable ni électricité. Il faut par conséquent que nous traitions notre eau nous-mêmes pour ne citer que cet exemple." Expliquant notamment pourquoi, depuis une cinquantaine d’années, les transhumances ont presque disparu, en dépit d’un regain d’intérêt récemment insufflé par le développement durable.
Le résultat est finalement surprenant, fin et délicat, parfumé d’un bouquet de saveurs fruitées, unique et complexe. La pâte est plus ou moins moelleuse selon la durée d’affinage et de faible friabilité. Pas étonnant, par conséquent, que le jeune homme soit désigné, pour la deuxième fois consécutive, lauréat de la catégorie "gruyère d’alpage AOC" du Swiss Cheese Award 2010.
A quelques kilomètres des prairies du Cerney, François Bezançon, lui aussi, défend haut et fort les couleurs de son pays, au cœur du berceau historique de l’absinthe, au pays des fées se rappelleront certains nostalgiques de la période romantique ! La distillerie du Père François, à Sandoz, à Môtiers, chef-lieu du Val-de-Travers, possède à peine deux alambiques de 8O litres chacunes.
La clandestinité ayant permis à de nombreux distilleurs de conserver leur savoir-faire durant plus d’un siècle, ce n’est que lors de la levée de l’interdiction suisse de l’absinthe en 2005 que le "Père François" ouvre sa distillerie après 40 années de chinage passionné, permettant au vieil homme de se constituer un des musées les plus fournis d’Europe.
L’entreprise familiale produit à peine quelques bouteilles par jour. 10 000 litres par an pour être exact. Surnommée "Elixir du pays des fées", le breuvage longtemps décrié est caractéristique d’une absinthe de Val-de-Travers : herbacée, douce (tant et si bien qu’il est inutile de rajouter un sucre) et particulièrement anisée. S’il titre à 75° (55° dilué dans l’eau), l’Elixir du pays des fées est pourtant rafraîchissant, aux notes épicées et florales sans qu’une herbe n’en étouffe une autre dans le nez ou dans la bouche. Le duo fruité anis/fenouil est particulièrement prononcé mais parfaitement équilibré. Un breuvage séduisant conseillé tant aux connaisseurs qu’aux novices !
Un peu plus loin cette fois, au domaine de Chambleau, à Colombier, Valérie et Louis Philippe Burgat chaperonnent l’arrivée à maturation des grappes de raisins. Le vignoble, qui attend patiemment la prochaine vendange au début octobre, s’étend sur 14 hectares de plateau morainique à plus de 500 mètres d’altitude, les trois lacs de Neuchâtel en toile de fond. Au cœur de ce paysage idyllique, chardonnay, œil-de-perdrix, chasselas et autres pinot noir font la fierté de l’exploitation familiale, qui propose également des assemblages, des vins mousseux et liquoreux. La production (100 000 bouteilles par an) est exclusivement destinée à la vente directe, à quelques revendeurs privilégiés et à la haute gastronomie. "Les sols calcaires et secs des coteaux profitent tout particulièrement au pinot noir." L’occasion de goûter la surprenante cuvée Charlotte, un métissage troublant issu de différents cépages. "Il s’agit de marier harmonieusement la structure et les tanins puissants du gamaret, le velouté du garanoir et le fruit du pinot noir." Au nez, les arômes de cassis, d’épices et de chêne (plus discret néanmoins) sont plutôt plaisants. En bouche, les tanins sont concentrés, voire serrés, mais l’impression corsée s’estompe rapidement. Si l’envie vous prend, ne ratez pas la cuvée Pur-sang, qui vous fera passer un moment très agréable !