Des étoiles dans les yeux
En bord de la rue de la station, chaussée sans âme qui traverse Montigny-le-Tilleul, on remarque une belle maison. Dès que l’on y pénètre, l’ambiance est accueillante. Plafond voûté en briques, couleurs chaudes, lumières tamisées, belles tables et vaisselle choisie.
Publié le 05-12-2010 à 10h11
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En bord de la rue de la station, chaussée sans âme qui traverse Montigny-le-Tilleul, on remarque une belle maison. Dès que l’on y pénètre, l’ambiance est accueillante. Plafond voûté en briques, couleurs chaudes, lumières tamisées, belles tables et vaisselle choisie. Tout invite à s’asseoir. Classique mais pas guindé, le service est irréprochable. Très vite, la glace se brise et Nadia Zioui partage avec enthousiasme ses coups de cœur vins en détaillant le menu, préparé en cuisines par son mari Laury. On est à "L’éveil des sens". Le GaultMillau 2011 vient d’accorder le titre de "meilleure sommelière" de Belgique à la maîtresse de maison, une autodidacte qui n’a bu son premier verre de vin qu’à la trentaine. Le chef, Laury Zioui, a également appris sur le tas. Pourtant, ces deux-là font des merveilles et "L’éveil des sens" est sans conteste la plus belle table de Charleroi.
Ouvert en 2001, le restaurant obtenait sa première étoile six mois plus tard. Il faut dire que les inspecteurs du Michelin connaissaient Laury Zioui depuis 10 ans déjà. En 1991, il décrochait en effet son premier macaron au "Piersoulx" à Gosselies, maintenu 4 ans plus tard à "La villa romaine" de Montignies-Saint-Christophe. En 1998, il s’en va au "Clos du Marmiton". Le jugeant un peu instable, le Michelin ne lui renouvelle pas sa confiance. A moins qu’il ouvre un resto à son nom. C’est chose faite en 2001 donc.
Né à Casablanca en 1959, Noureddine Zioui est arrivé à Strasbourg à l’âge de 13-14 ans. Après avoir bossé dans quelques restos, il déménage à Charleroi. S’il prend des cours du soir, son amour pour la cuisine naît de ses souvenirs de la cuisine de sa grand-mère marocaine. Une influence loin d’être omniprésente chez lui, même si certains plats gardent une touche marocaine. Comme son plat fétiche, qu’il peaufine un peu plus chaque année depuis 1991, un tajine de homard et ris de veau. "Ça n’a évidemment rien avoir avec ce qu’on peut trouver dans un resto marocain, explique le chef. C’est un tajine épuré, travaillé. Mais on y trouve les ingrédients classiques : artichaut, citron confit, olives taggiasches, coriandre, gingembre, épices marocaines "
Mais il serait ridicule de réduire Laury Zioui à ses origines. "Je suis ouvert à toutes les tendances. Si la cuisine marocaine est selon moi l’une des meilleures du monde, j’aime aussi beaucoup le Japon. Mais c’est avant tout une cuisine française inventive que je pratique." Voire très moderne ! "J’ai fait des stages en Espagne et aux Pays-Bas dans des restos deux ou trois macarons pour m’initier à la cuisine moléculaire. Mais cela demande énormément de temps et beaucoup de personnel. Je m’en sers un peu pour les mises en bouche et les desserts. Mais, pour moi, le plus important, c’est d’abord le produit. Si on a du pigeonneau, je n’ai pas envie d’en faire un air ou une mousse; je veux que les gens aient de la viande dans leur assiette !"
On se rend compte de cet amour du produit en s’attablant à "L’éveil des sens". Les assiettes misent d’abord sur les saveurs et les accords de goûts, même si l’on s’amuse aussi des textures. Trop parfois, notamment au moment de la déclinaison de desserts, seul point faible du repas.
Pour débuter, les mises en bouche ne font pas mentir les revendications de la carte de proposer une cuisine "inventive" et "de terroir". Bases classiques solides, influences japonisantes, tout est réuni pour faire passer un bon moment, autour d’une verrine de saumon de l’Adour, pomme verte, pousses de pois, feta et huile de noisette ou d’une "double texture" de pommes de terre, en espuma et mousseline, et caviar avruga (œufs de harengs). Si l’on se perd un peu dans les "textures de foie gras", l’assiette, magnifique, est sauvée par le génial accord sorbet de rhubarbe et foie gras. Mais la "déclinaison" de Saint-Jacques de Dieppe est encore plus plaisante : juste poêlées, en carpaccio et en tartare en bouillon dashi. Et alors qu’on commence à se lasser des déclinaisons, le chef change de registre avec les plats : cœur de cabillaud et betterave blanche de Chioggia ou langoustine royale au ris de veau et caramel à l’orange. Mais c’est avec les viandes qu’explose le talent de Zioui. Parfaitement cuit, son filet de chevreuil s’accompagne d’une purée de butternut et de champignons pieds bleus et shimeshis. Tandis que le lièvre est servi en trilogie : râble, cuisses à la royale et civet. Deux assiettes sans fioriture, précises, rigoureuses et aux assaisonnements parfaits !
Ces deux derniers plats, on les retrouve ces jours-ci dans le "Gala de chasse" du chef. Pour lequel il met un point d’honneur à ne travailler qu’avec du gibier 100 % belge, qu’il lui soit apporté par des chasseurs locaux ou qu’il se fournisse, comme d’autres collègues étoilés, à Ciney chez l’excellent grossiste Condroz Gibier. Car si l’on peut reprocher parfois à Laury Zioui un manque d’attention à la saisonnalité des produits, il compense par sa recherche de producteurs locaux. Son beurre vient ainsi d’une ferme toute proche, tandis qu’il orne son magnifique plateau de fromages de chèvres bio de Jean-Marie Mertens à Gerpinnes. "Depuis 5 ans, on cherche de plus en plus à travailler dans un périmètre restreint, avec les artisans de la région. En saison, on a un vieil Italien qui nous fournit en légumes bio. Je trouve mes volailles, mes fraises dans la région. Je travaille également le porc Colombus de Marcel Biron aux abattoirs de Charleroi ", explique Zioui.
Laury et Nadia Zioui sont en effet toujours à la recherche de produits d’exception, en cuisine comme pour construire leur carte des vins, qui promet de belles découvertes, comme ce beaujolais blanc Terres Dorées 2009 de Jean-Paul Brun. "Avec Nadia et mon directeur de salle François Vandecasteele, également sommelier, on adore le vin. On a pris le parti de ne servir que du bon, en retirant les "petits vins" de la carte. D’ailleurs, près de 90 % des gens nous font confiance et optent pour la sélection de vins avec leur menu."
Généreux et accueillant, voilà un couple qui donne envie d’aller au restaurant ! Et même si c’est dur par moments, "tout juste tout juste", Laury Zioui garde son enthousiasme avec un objectif en point de mire : la seconde étoile. "C’est mon rêve. C’est normal quand on a une étoile depuis 1991. On va travailler pour atteindre cette seconde étoile. Je sais qu’on n’en est pas loin." Le Michelin semble hésiter sur les desserts mais aussi sur l’emplacement de "L’éveil des sens", craignant que Zioui perde sa clientèle locale (à 80 %) s’il obtenait un second macaron. "C’est sûr qu’ils continueront à venir, rétorque cet ardent Carolo ! On est fier des gens, de la région et des produits !"