Gastronomie: la Belgique dans les étoiles
Notre pays compte désormais 121 restaurants étoilés au Michelin. Plus que jamais, la cuisine est un enjeu majeur en termes de développement économique. La Flandre comme la Wallonie soutiennent activement leur gastronomie.
- Publié le 30-11-2013 à 05h42
- Mis à jour le 23-12-2013 à 10h35
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Il y a quinze jours, toute la profession se retrouvait à Gand pour assister à la proclamation des résultats du guide Michelin. Avec à la clé pas moins de 20 nouveaux macarons décernés, dont deux tables doublement étoilées ("Bon Bon" à Bruxelles et "Bartholomeus" à Knokke) et 18 restaurants décrochant leur première étoile… Pour 2014, le Guide Michelin, qui continue de faire la pluie et le beau temps sur la gastronomie mondiale, enregistre un record de 121 restaurants étoilés en Belgique (cf. page suivante). Indice de la vigueur de la cuisine noir-jaune-rouge.
La cuisine belge est ceci dit depuis longtemps reconnue. En 1972, "La Villa Lorraine" de Marcel Kreusch devenait le premier trois-étoiles hors de France. Tandis que Pierre Wynants, récemment décoré d’un titre de docteur Honoris Causa par l’Université de Tours - il avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en 2004 -, a détenu un record de longévité, conservant ses trois macarons pendant vingt-sept ans au "Comme chez soi", de 1979 à 2006.
La nouvelle école flamande
Depuis, une nouvelle génération a pris le relais des Kreusch, Wynants, Pierre Romeyer (3 étoiles de 1983-1994) et Jean-Pierre Bruneau (1988-2003). Désormais, ce ne sont plus des Bruxellois mais des Flamands qui sont au firmament du Michelin : Geert Van Hecke au "Karmeliet" à Bruges (depuis 1996), Peter Goossens au "Hof Van Cleve" à Kruishoutem (depuis 2004) et Gert De Mangeleer au "Hertog Jan" à Bruges (depuis 2011). Depuis une quinzaine d’années déjà, c’est en effet surtout au nord du pays que les choses se passent…
Les raisons sont multiples. Il y a d’abord le pouvoir d’achat - se payer une table étoilée est un luxe, tandis que les investissements pour proposer une grande cuisine gastronomique sont énormes… Mais on sait aussi qu’il est désormais au moins autant question de communication.
Après la vague de la cuisine "fusion" dans les années 1990, on a assisté à l’arrivée sur le devant de la scène de la cuisine moléculaire, menée par l’Espagnol Ferran Adrià au "El Bulli" et sanctifiée par une "Une" restée célèbre du "New York Times" sur la "Nueva Nouvelle cuisine" , faisant chuter la France de son piédestal. Mais si l’Espagne, et la Catalogne en particulier, s’est ainsi retrouvée propulsée au-devant de la scène, ce n’est pas que par le génie de ses chefs. La région catalane a en effet beaucoup investi pour faire venir les gourmets sur ses terres, pour aider ses chefs à développer leurs restaurants.
On observe le même phénomène depuis le début des années 2010 avec le triomphe de la cuisine nordique. Et là encore, on se doute qu’il y a eu une volonté politique réelle de la Scandinavie d’imposer sa cuisine avec, comme porte-étendard, le jeune René Redzepi, 2 étoiles au "Noma" à Copenhague, la table qui fait rêver les gourmets du monde. Toujours à l’écoute du fameux "World’s 50 Best Restaurants", baromètre de notoriété des chefs mis au point par des critiques du monde entier.
Un enjeu médiatique en Flandre
La Belgique ne figure plus à ce palmarès. Pourtant, la Flandre est bien décidée à devenir la nouvelle terre des foodies à l’échelle européenne, grâce à un travail de lobbying (cf. ci-contre). Et cela paye. Aujourd’hui, des chefs comme l’excellent Kobe Desramaults du "In de Wulf" à Dranouter font le tour des grands rendez-vous culinaires mondiaux, dont le très important Madrid Fusion.
Plus que jamais en effet la gastronomie s’est mondialisée. Le succès de stars du petit écran comme Jamie Oliver ou Gordon Ramsay a permis à la Grande-Bretagne de remettre en avant les couleurs de sa cuisine (longtemps méprisée) et de ses produits. Le mouvement s’est amplifié, permettant de décomplexer de nombreux pays vis-à-vis de leur gastronomie. Aujourd’hui, partout dans le monde, celle-ci constitue désormais un produit d’appel pour le tourisme !
A mesure que grandissait le succès des émissions culinaires avec des formats internationaux comme "Top Chef", "Un dîner presque parfait", "Master Chef"…, la gastronomie s’est imposée comme un centre d’intérêt majeur. On n’a jamais vendu autant de livres de recettes ! Ce qui ne signifie pas pour autant qu’on cuisine plus à la maison…
La Flandre a rapidement pris le train en marche pour créer un véritable star-system culinaire. Participant à des émissions comme "De beste hobbykok van Vlaanderen" ou "Mijn Restaurant", le Hollandais Sergio Herman et le Belge Peter Goossens sont ainsi devenus de vrais "bekende Vlamingen". Une bonne partie des jeunes chefs flamands étant passés par les cuisines de l’"Oud Sluis" ou du "Hof Van Cleve", Herman et Goossens ont qui plus est fait école. Lorgnant vers le style nordique, la haute gastronomie flamande impressionne aujourd’hui par sa technicité (avec un jeu très poussé sur les textures), sa créativité, la rigueur de la composition des assiettes. Avec un défaut, une forme de froideur parfois, un manque de gourmandise.
Le réveil de la Wallonie
Côté francophone, la RTBF tente à son tour de faire des chefs des personnalités médiatiques, notamment avec son émission "Comme un chef", dont la troisième saison est diffusée en ce moment…
Après le triomphe de Brusselicious en 2012 (année bruxelloise de la gastronomie), la région wallonne s’est enfin décidée à soutenir, elle aussi, ses chefs pour développer le tourisme culinaire. Sous l’impulsion de Sang-Hoon Degeimbre, le plus médiatisé des chefs wallons, était ainsi lancé en septembre dernier Génération W (cf. ci-contre) autour de dix ambassadeurs, tous étoilés : Arabelle Meirlaen*, Jean-Baptiste Thomaes**, Pierre Résimont**… Qui s’engagent notamment à mettre en valeur les produits locaux. Et c’est sans doute là la plus grande tendance du moment.
La cuisine de demain
En présentant son édition 2014, le Guide Michelin constatait que l’on revenait en Belgique "à l’essentiel, aux produits" . Alors que les crises alimentaires se sont multipliées dans la décennie 2000, que les craintes environnementales vont grandissant, le retour aux produits du cru est un vrai mouvement de fond, sur lequel s’est en partie basé le succès de la gastronomie scandinave. San Degeimbre, Gert De Mangeleer, Christophe Hardiquest… On ne compte plus les chefs belges possédant leur propre potager par exemple.
Une tendance lourde qui s’inscrit pleinement dans une démarche politique plus large. Ce vendredi, le Piémontais Carlo Petrini, fondateur en 1989 du mouvement Slow Food (qui a pris une énorme ampleur à l’international, même s’il peine à décoller en Belgique…), était à Bruxelles pour donner une conférence en compagnie des commissaires européens Dacian Ciolos et John Dalli. Le titre ? "Rapprochons les consommateurs des producteurs" … Un thème porteur à l’heure où l’on constate, à côté des grands restaurants gastronomiques, le succès grandissant de petits bistrots modernes mettant l’accent sur la qualité des produits du terroir plus que sur la cuisine… Et qui se revendiquent, sinon du Slow Food, au moins d’une consommation plus responsable…
Retrouvez le dossier spécial Gastronomie belge dans La Libre Belgique