Le chef Joan Roca évoque la responsabilité d'être à la tête du meilleur restaurant du monde
Il est loin le temps où les chefs n'étaient que des chefs et où leur travail ne consistait qu'à sortir des plats avec un grand aplomb culinaire et artistique.
Publié le 14-03-2016 à 08h48 - Mis à jour le 14-03-2016 à 09h15
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Ces dernières décennies, l'émergence de classements internationaux attribuant des titres ronflants tels que "Meilleur chef du monde" ou "Meilleur restaurant du monde" a donné naissance à une génération de chefs-super héros qui usent de leur visibilité internationale pour tenter de changer le monde.
Le schéma s'avère facile à identifier parmi les lauréats du classement "World's 50 Best Restaurants", à commencer par l'Espagnol Ferran Adrià, René Redzepi, le chef du Noma et à présent Joan Roca du restaurant El Celler de Can Roca. Cette table s'est octroyé la première place du palmarès.
"Nous bénéficions d'une stature et d'une visibilité publiques", explique Roca dans une interview accordée par téléphone depuis Bangkok. "Nous avons accepté cette responsabilité et en faisons quelque chose de positif".
Au-delà de la gastronomie
Cette responsabilité implique bien plus que le fait de servir la meilleure cuisine au monde. Elle peut passer par la rédaction d'un équivalent culinaire de Wikipedia (Adrià), par la création de grands centres de recherche & développement consacrés à la haute gastronomie (Adrià et Roca) ou encore par l'organisation de sommets internationaux qui traitent de nourriture en tant que philosophie (Redzepi).
Plus récemment, Roca est revenu de Thaïlande où il a participé au Royal Project, une initiative créée par le roi du pays en 1969. Le but : remplacer la culture du pavot à opium par d'autres plantations afin d'éradiquer la production de drogue et de permettre aux fermiers de générer des revenus plus élevés.
Aux côtés d'un chef local, Roca a parcouru le nord de la Thaïlande afin de soutenir le programme, qui a permis aux communautés de la région de connaitre un grand changement. Cet événement a suivi la remise de prix "Asia's 50 Best Restaurants", la semaine dernière.
Le chef et ses frères, Josep et Jordi, qui forment le trio gagnant d'El Celler de Can Roca à Gérone, en Espagne, multiplient ce genre d'initiatives positives.
Plus tôt dans l'année, les frères Roca ont été nommés ambassadeurs de bonne volonté des Nations Unies. Ils travaillent avec le "Sustainable Development Goals Fund" pour améliorer l'accès à la nourriture et à l'emploi dans 21 pays. En collaboration avec l'Université de Gérone, le trio supervise aussi le développement d'un centre dédié à l'innovation gastronomique.
Il ne suffit plus de créer la meilleure cuisine au monde. Pour rester à la hauteur, les chefs doivent lancer d'ambitieux projets destinés à faire perdurer leur nom et celui de leurs restaurants, qu'ils en aient conscience ou non.
L'altruisme des chefs débattu
Ces efforts herculéens ne sont pas toujours applaudis. En 2011, quand un groupe de chef mené par Adrià et Redzepi, notamment, s'est donné le nom de G9 et a signé un manifeste pour sauver l'humanité grâce à la nourriture, le rédacteur du Guardian, Jay Rayner s'est insurgé, décrivant une initiative grandiloquente et vaniteuse.
"Évidemment, les bons chefs sont sérieux lorsqu'il s'agit de leurs ingrédients", écrivait-il. "Oui, il leur incombe la responsabilité de justifier d'un approvisionnement éthique. Mais ils doivent aussi se souvenir qu'ils ne sont pas des saints. Ce sont des chefs qui cuisinent pour des gens très, très fortunés".
Pour Roca, au-delà de la question importante de la durabilité et de l'origine des ingrédients, il est une autre force en présence. "Celui qui cuisine à la maison a le pouvoir de changer le monde".