Resto : Damien Brunet réveille "La Buvette"
A Bruxelles, ce Breton de 34 ans fait partie de ces jeunes chefs dont on commence à parler.
Publié le 14-01-2018 à 11h19
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A Bruxelles, ce Breton de 34 ans fait partie de ces jeunes chefs dont on commence à parler.
En 2012, Nicolas Scheidt introduisait, avec Nicolas Darnauguilhem, une cuisine bistrotière créative, accessible et conscientisée à Bruxelles. Avec leurs micro-restos, les deux Français avaient fait souffler un vent de fraîcheur sur la capitale, en important une cuisine plus libertaire que technique, privilégiant déjà le légume et des assiettes franches et directes. Nicolas Scheidt avait même décroché le titre de "Grand de demain pour Bruxelles" au Gault&Millau 2014.
Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Nicolas Darnauguilhem s’en est malheureusement allé réinventer son "Neptune" à Genève. Et si "La buvette" est toujours l’un des meilleurs rapports qualité-prix de la capitale, l’endroit semblait ronronner depuis quelques années… Non que Nicolas Scheidt se tournait les pouces, mais, en chantre du bien manger et pour équilibrer ses comptes, il a préféré jouer son rôle de patron et développer ses activités annexes avec ses associés, en s’occupant du "Café des Spores" juste en face, en créant "Hopla Geiss", initialement une cantine à tartes flambées devenue aujourd’hui l’une des meilleures boulangeries de Bruxelles, et enfin "Alimentation", une épicerie-traiteur qui a de la suite dans les idées.
L’étoile, pas une fin en soi
Mais depuis janvier, "La buvette" semble s’être réveillée… Exit du menu unique les épinards à la ricotta et au sésame noir et la tarte au chocolat qui ont fait la réputation des lieux, pour retrouver la vivacité créative des premières années. A l’origine, notamment, de ce renouveau, le chef exécutif Damien Brunet, avec qui Nicolas Scheidt construit ses menus et a qui il a confié les cuisines depuis un an car il ne pouvait tout mener de front.
Aujourd’hui, tous les deux ont des projets plein la tête, avec de gros travaux prévus cet été pour agrandir leur minuscule cuisine et peut-être développer un potager. De quoi changer la donne et passer d’une cuisine d’assemblage inventive à une cuisine plus précise, plus aboutie, et peut-être enfin décrocher une étoile. Ce serait une belle reconnaissance pour une adresse où l’on a toujours travaillé avec constance de beaux produits de saison.
Même si l’étoile est loin d’être une fin en soi pour le jeune Damien Brunet… "Je respecte et admire beaucoup de chefs étoilés comme Pascal Barbot, Pierre Gagnaire, Sang-Hoon Degeimbre et surtout Alexandre Couillon (chef deux étoiles de "La Marine" à Noirmoutier, NdlR), explique-t-il. J’admire ses assiettes très épurées, où on a l’impression que tout est facile, qu’il n’y a rien, juste un poisson, des légumes et une sauce et qui cachent une technique de malade. Ce type est un génie. Il fait du grandiose avec rien. Mais le Michelin n’est plus d’actualité. Le service en queue-de-pie et les énoncés à rallonge, très peu pour moi. On est la nouvelle génération, prête à casser les codes ! Ce que j’aime à "La buvette", c’est quand on envoie de belles assiettes avec un service jeune qui a une vraie interaction avec la clientèle et qu’on balance du gros hip hop dans la salle !"
Un chef 2.0 qui se cherche encore

On comprend que Damien Brunet veuille casser les codes, lui que l’on a d’abord repéré sur les réseaux sociaux… Le bonhomme a déjà plus de 2400 followers sur Instagram, où il publie ses assiettes créatives diablement photogéniques. "Cette année, le nombre de clients qui sont venus grâce à Instagram est énorme", explique Brunet.
Pourtant, rien ne destinait ce Breton de 34 ans à suivre la voie de la cuisine… Originaire de Rennes, Brunet a étudié pendant 5 ans la contrebasse jazz dans une école de création musicale. Lorsqu’il débarque à Bruxelles, il fait des petits boulots dans l’Horeca pour pouvoir vivre de sa musique. Puis, la cuisine est venue naturellement… "J’ai fait la plonge pendant 3 ans dans une brasserie de Flagey, puis j’ai donné un coup de main en cuisine. Mon patron m’a demandé de remplacer quelqu’un au froid. Puis je suis passé au chaud, à la rôtissoire… J’ai fait ce que ma mère me disait, trouver un vrai métier quoi !"
Très vite, il veut côtoyer la haute gastronomie. "Mon rêve à ce moment-là, c’était les étoiles, Je suis passé chez Alexandre Dionisio et je me suis pris une grosse claque. J’ai vu que je n’avais rien appris en brasserie. Du coup j’ai continué à bosser, chez Bouchéry, au "Passage", au "Va doux Vent"… J’ai participé de manière bénévole à beaucoup d’événements comme Culinaria." Tout cela, c’était seulement il y a cinq ans. Autant dire que Damien Brunet se cherche encore mais on le sent sur la bonne voie…
"La cuisine de demain, c’est une cuisine de produits et locale, c’est ce qu’on fait à "La buvette". Dans les nouveaux menus, on va encore réduire la viande et se concentrer sur le poisson, qui vient de chez moi, du Guilvinec, et laisser encore plus de place aux légumes. Je travaille beaucoup les légumes de saison de notre maraîcher Wim Maes près d’Anvers. J’aime aussi travailler les produits belges comme l’anguille ou le petit-gris de Namur, mais j’ai un faible pour le sarrasin. Je l’utilise partout et sous les formes, torréfié, infusé, en tuile… C’est un peu ma madeleine de Proust car j’ai grandi dans une crêperie !", se souvient le chef.
Une cuisine en synergie

"Au début la cuisine de Damien était très gastronomique, avec des gels, des points partout… Il était très formaté gastro. Mais aujourd’hui, sa cuisine est fidèle à l’esprit de la maison, proposant des assiettes spontanées, avec de l’élan. Il s’est projeté dans mon projet, un restaurant atypique où il n’y a pas d’esprit de brigade mais où chaque personne est responsabilisée. Damien, c’est aussi quelqu’un qui a tout de suite eu le souci de faire bien les choses et de belles choses", explique son "patron", Nicolas Scheidt.
Ce qui frappe à "La buvette", c’est en effet cette belle continuité entre les assiettes de Brunet et celles de Scheidt. "Nicolas me laisse carte blanche à 100 % car il me fait confiance, se félicite Brunet. J’essaie de me démarquer mais je ne sais pas encore comment. Ce n’est pas au bout de 5 ans qu’on a une signature… Mais je pense que cette année, il va y avoir un déclic. On va faire des amuse-bouches, des mignardises. Mais toujours dans l’esprit "Buvette". Faire plus de végétal, une cuisine plus brute. Surprendre les gens avec des produits inattendus. C’est ça le projet. On fait par exemple un céleri-rave confit avec une sauce à la betterave, dressé sur une assiette blanche. Ça pète et c’est super bon !"
On sent que, libérée des contingences structurelles liées au manque de place et au manque de matériel, la cuisine de Damien Brunet prendra bien vite une autre dimension…