Constantin Erinkoglou, chef amoureux du printemps et de Pâques
Pâques est la fête la plus célébrée en Grèce. Constantin Erinkoglou, le chef du restaurant grec Notos, évoque les souvenirs de la ferveur religieuse qui s'empare des villages mais aussi d'une fête symbolique du renouveau printanier. Et propose un menu de Pâques le samedi 7 et dimanche 8 avril prochains.
Publié le 29-03-2018 à 09h46 - Mis à jour le 29-03-2018 à 10h01
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Pâques est la fête la plus célébrée en Grèce. Constantin Erinkoglou, le chef du Notos, évoque les souvenirs de la ferveur religieuse qui s'empare des villages mais aussi d'une fête symbolique du renouveau printanier.
Il vient juste de rentrer de Grèce. Et commande une infusion. Ses yeux noirs sourient déjà à l'idée d'évoquer Pâques. Et quand Constantin Erinkoglou commence à parler, tout ce qu'on a déjà lu sur le sujet devient vivant : Sarakosti, Christos Anesti, mayiritsa, Kalo Paska : tous ces mots se transforment en histoires.
Le chef du Notos a été un petit garçon élevé au bord de la mer, dans le nord de la Grèce. A Cavala, petite ville près du Mont Pangée. Son père est tailleur, sa mère l'aide, les grands-parents ne sont pas bien loin et il aime à regarder ses grand-mères cuisiner. Des produits naturels, de l'huile d'olive comme de l'or, des légumes, du miel...
Il va pourtant quitter tout cela lorsque son père emmène femme et enfants s'installer en Suisse suite à la venue du régime des Colonels en Grèce. On est en 1967. Jeune adulte, Constantin partira lui en France. Mais il n'oublie pas la saveur de la Grèce.
D'ailleurs, quand l'étudiant qu'il est devenu commence ses études à Strasbourg, il est horrifié par la nourriture des restos U ! Et pourtant, le jeune Constantin ne pense pas à travailler dans le milieu de la cuisine. Ce qui l'intéresse, c'est la biodynamie, la culture naturelle des produits... Mais il fera langues et sciences sociales à l'université. Et travaillera même un temps à la Commission européenne à Bruxelles. Mais c'est l'huile des moines du Mont Athos, une longue histoire, qui le mènera vers la cuisine. Les routes d'une vie sont toujours tortueuses.

Pâques, son caractère sacré, ses oeufs rouges et sa soupe aux abats
Pour commencer à évoquer Pâques, deux choses lui viennent à l'esprit. La semaine sainte reste pour lui un moment « grandiose, sacré et festif. » . « De mes souvenirs d'enfants restent ces chants grégoriens, magnifiques qui résonnent et le corps du Christ pendant la messe qui est mis sur la croix. C'est très fort et marquant pour un enfant. » Pendant toute la journée, les cloches sonnent, lancinantes. Rien n'est joyeux ce Vendredi Saint, « Quand on est gosse, on n'arrive même plus à jouer et quand on a envie de rire, on entend la cloche et le rire se tait. C'est vraiment une communion de tout le monde »
La nourriture aussi compte beaucoup. Les Grecs se préparent consciencieusement à cette fête, surtout lors de la Semaine Sainte. Le Lundi Saint, ils commencent à jeûner et bannissent de leurs assiettes la viande, les produits laitiers et les œufs , à moins qu'ils aient entamé leur jeûne le premier jour du carême.
« Mais pour moi, pour nous, on n'est pas dans la privation. Tous ces légumes, les légumineuses, les fruits de mer, les féculents... on mange savoureusement dans une simplicité purificatrice. On ne fait pas mieux à l'heure des détox actuelles », sourit le chef en accueillant sa soupe légère pleine de légumes colorés.
Il nous parle des oeufs qu'il peignait en rouge avec sa « yaya » : « Les pigments naturels donnent des couleurs extraordinaires ». Il se souvient aussi que sa grand-mère préparait la soupe Mayiritsa, à base de viande et d'abats tandis que son grand-père s'occupait du dessert : le Revani, à base d'oeufs longuement battus.
La lumière du printemps et le partage de l'agneau

Les bougies qu'on allume dans un noir total dans l'église le samedi, les oeufs rouges que l'on entrechoque les uns contre les autres, les pétards, la venue dans les villages de tous les Grecs des villes, les pique-niques avec la mer en contrebas, le dimanche où l'agneau pascal est grillé à la broche et où tout le monde se rassemble... Les images affluent. « Et quand on dit que la Grèce entière sent le méchoui, c'est vrai », s'exclame Constantin.
C'est certainement aussi cette tradition gastronomique d'aller vers ce que la nature fournit au moment même qui le pousse toujours plus vers la simplicité. « Moi, je peux me passer de beaucoup de choses. C'est comme ça qu'on apprécie pleinement une belle viande, un poisson, un très bon vin. Penser simple, en cuisine, c'est obliger son imagination à ne pas avoir recours à des biais luxueux. On fait avec, on marie, ... Pour mieux faire un plat, il faut avoir faim ». Là, il se régale à parler de la recette qu'il a réalisé il y a peu : de la chair d'aubergine fumée, tempérée accompagnée de champignons poêlés avec une sauce traditionnelle en Grèce : l'afgolemonov, à base d'oeuf et de citron.
Est-il encore encore toujours aussi passionné de cuisine, lui qui est à la tête du Notos depuis 1995 ? « La passion n'est pas intacte, c'est impossible ! Les envies changent mais le désir de bien faire reste » et il continue à veiller très sérieusement et même toujours plus aux matières premières. Poissons, viandes, légumes : tout est « propre », venant d'artisans de la terre ou de la mer. Une partie de son vin vient d'ailleurs de l'île en face de Cavala, d'un vigneron, devenu un ami. Constantin Erinkoglou aime la tradition et l'amitié. « Dans Constantin, il y a constance », sourit-il.
La tradition de la simplicité savoureuse
Le chef est aussi une personnalité entière qui a toujours préféré faire ce qu'il avait envie de faire plutôt que de se retrouver coincé dans une recherche éperdue de gloire. "Au départ, au tout début, le Notos, c'était l'envie de faire un îlot de paix. Un havre. Avec de très bonnes choses, c'est tout". L'espace s'est agrandi, les reconnaissances sont arrivées. Mais aujourd'hui encore, "le travail est une prière" : sa cuisine est éminemment personnelle, même s'il aime la partager dans la ferveur.
C'est ce qu'il fait d'ailleurs en un menu unique le week-end du 7 (à 20h) et 8 avril (le midi) avec sa réinterprétation de la tradition. "Quand j'étais petit, j'étais très difficile, tout ce qui sentait fort, je n'aimais pas du tout! Alors j'allège, j'allège et je cuisine toujours très très frais", remarque-t-il.
On repart, en emportant un secret contre la (quasi) promesse de ne plus jamais acheter de yaourt industriel. La condition pour avoir reçu la recette de la grand-mère de Constantin Erinkoglou pour fabriquer un yaourt épais et crémeux....
Notos, rue de Livourne, 154 - 1050 Bruxelles. Menu de Pâques, 55€/p Réservation souhaitée.