Claude Aubert, pionnier du bio dans les années 60: "A l’époque, on nous a pris pour des illuminés!"
Dans son livre Le Pari fou du bio, l’homme raconte son histoire atypique.
Publié le 18-01-2020 à 16h30 - Mis à jour le 14-02-2020 à 17h52
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Dans son livre Le Pari fou du bio, l’homme raconte son histoire atypique.
Nous sommes au début des années 1960. En plein milieu des Trente Glorieuses, les mentalités changent et les modes de production sont de plus en plus industrialisés. L’agriculture découvre les pesticides et de nouvelles méthodes permettant de produire toujours plus. Les merveilles de la technologie pour beaucoup, mais un danger pour d’autres.
Claude Aubert, ingénieur français agronome de formation, tire très vite la sonnette d’alarme sur les risques liés aux pesticides, herbicides et la surexploitation des sols. Il devient un des pionniers du bio et revient avec nous, cinquante ans plus tard, sur un combat qui n’était pas gagné d’avance. Entretien.
Claude Aubert, votre nouveau livre Le Pari fou du bio sort à la mi-février et retrace une partie de votre combat pour une agriculture raisonnée et plus propre. On vous a vraiment pris pour un fou quand vous avez porté le bio, à l’époque ?
"Le pari était complètement fou et on nous a plutôt pris - car je n’étais pas seul - pour des illuminés. Les décideurs politiques et les grandes entreprises ne nous ont pas pris au sérieux. De notre côté, nous étions sûrs d’avoir raison et qu’un jour l’agriculture intensive et chimique aurait ses limites."
Peut-on dire que le pari est gagné ?
"On ne peut en tout cas pas dire que c’est un échec, contrairement à ce qu’on nous disait à l’époque. Certains parlaient d’un effet de mode, mais on peut observer que le bio apporte une alternative crédible et reconnue de tous. Plus personne ou presque n’affirme le contraire. Par contre, on ne peut pas dire que c’est gagné car plus de 50 ans après, le bio reste minoritaire dans la consommation. Les freins au niveau du monde agricole tendent à disparaître, et il faut encore changer les mentalités. Les gens sont d’accord pour dire que le bio est une référence mais l’aspect financier reste un frein. Cependant, il faut encore prouver aux consommateurs que manger bio n’est pas plus cher, mais qu’il faut manger différemment pour cela.
C’est difficile de changer les mentalités ?
"Honnêtement, il y a 50-60 ans, je pensais que tout irait plus vite. L’obstacle le plus grand, c’est la méconnaissance de la population sur le sujet. En gardant le même type d’alimentation, avant tout axé sur la viande, évidemment que le bio restera plus cher. Le problème, c’est que les gens ne savent pas comment remplacer la viande. L’éducation et la formation à l’école doivent jouer un rôle à ce niveau-là."
Retournons au début des années soixante. Qu’est-ce qui vous a mené vers le bio à cette époque ?
"C’est une succession de hasards. J’ai commencé ma carrière dans l’agronomie en Afrique de l’Ouest durant plusieurs années, et j’y ai découvert une agriculture qui n’avait pas bougé depuis 1000 ans. On ne parlait pas de pesticides ou de tracteurs. J’ai aussi découvert qu’en région tropicale, les terres s’appauvrissaient très vite quand on pratiquait l’agriculture intensive. Je me suis dit que cela pouvait être le cas à plus long terme chez nous. Au niveau spirituel ensuite, j’ai beaucoup été influencé par Gandhi et la non-violence. Je ne pouvais donc pas concevoir l’élevage intensif des animaux et de la terre. Finalement, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a parlé du bio. Je suis allé voir ce qu’il en était, et c’est comme cela que tout a démarré."
Pour vous, c’est aussi l’heure du bilan ?
"Je viens d’avoir 83 ans, et je ne suis plus aussi actif qu’avant (rires). Je me concentre sur l’écriture de livres sur le sujet (il en a déjà une quinzaine à son actif, NdlR). Avec le recul, je peux dire que tout ce qu’il s’est passé tout de même est une magnifique réussite, même s’il y a encore beaucoup à faire."