Le chef belge du moment invité au Wolfgat, le meilleur restaurant du monde
Après Coxyde, l’événement "Two brothers from another sea" nous emmène en Afrique du Sud, où le flamand Willem Hiele est l’invité de Kobus van der Merwe. Reportage en Afrique du Sud.
Publié le 24-01-2020 à 13h43 - Mis à jour le 14-02-2020 à 17h52
:focal(555x285:565x275)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/JC3UFWZA4JAYDI3I76B4QPREZY.jpg)
Après Coxyde, l’événement "Two brothers from another sea" nous emmène en Afrique du Sud, où le flamand Willem Hiele est l’invité de Kobus van der Merwe. Reportage en Afrique du Sud.
Willem Hiele est assis sur les marches de la terrasse du "Wolfgat" - ce restaurant installé à Paternoster, à 150 km au nord du Cap, sur la côte ouest de l’Afrique du Sud, élu restaurant de l’année aux World Restaurant Awards 2019 -, dans une posture qui rappelle le Penseur de Rodin. Willem est profondément ému. Il vient de goûter à la cuisine de son "frère" des Antipodes, Kobus van der Merwe, et ce qu’il ressent va bien au-delà d’une expérience gastronomique réussie. "Je suis ému parce que j’ai goûté à sa cuisine mais à travers elle, j’ai perçu son mode de pensée. Ici on n’est pas dans la démonstration, on joue la bonne chanson avec la juste émotion" tonne Willem. S’il use d’une métaphore musicale, ce n’est pas anodin. Dans la vie de Kobus tout est musique. Ce joueur de piano fan de Björk, a ainsi été critique musical. Pas étonnant donc qu’il soigne autant la playlist du "Wolfgat". Le menu est d’ailleurs très rythmique, comme une pièce de musique, avec des "crescendo", des "moderato", des "maestoso" aussi.
Dans ce lieu règne une énergie particulière. On est, comme chez Willem Hiele, dans une petite cabane de pêcheur - sauf qu’ici elle surplombe l’océan Atlantique sud -, où la cuisine est microscopique et où le mobilier en bois et les matières naturelles sont les seuls ornements d’un restaurant bien loin des stéréotypes gastronomiques.
Cueillette et produits identitaires
Si ce décor rappelle celui d’autres bords de mer, comme celle de Willem, la cuisine de Kobus est profondément ancrée dans son territoire. Dans cette baie de Saldagne, ce "nerd" qui collectionne les guides de botanique, part à la cueillette d’algues, de plantes succulentes, de fleurs. Dès ses premiers pas en cuisine au "Oep Ve Koep" en 2010, le country store de sa mère, il n’a pas choisi les saveurs françaises apprises lors de ses études de cuisine avortées. Il voulait proposer quelque chose d’unique. "Les gens voulaient manger des sandwichs mais je voulais leur faire découvrir les épinards des dunes ou le poisson séché… Les compliments m’encourageaient à être encore plus expérimental. Et puis un jour, quelqu’un m’amène le premier livre du Noma. J’ignorais que quelqu’un faisait ce que je faisais moi-même, à une si grande échelle avec un impact si important", raconte Kobus, qui avait pourtant été éditeur web du Eat out, un magazine culinaire de référence en Afrique du Sud.

A la table du "Wolfgat", où il déménage en 2017, la "Strandveld food" locale est ainsi symbolisée par ce vermouth réalisé avec des dizaines de plantes côtières. Ou encore par ces bokkoms, des poissons salés et séchés dénichés dans la bokkom laan à Velddrif, près de Paternoster. Et qu’il glisse invariablement dans le beurre pour accompagner le pain ou dans un sambal servi avec des moules locales et un masala d’ail sauvage. Un plat complexe, légèrement sucré qui rappelle le bobotie des "Malais du Cap", ces descendants d’esclaves venus de Malaisie, d’Indonésie, d’Inde, de Madagascar…
Ambassadeur du Swartland
Entre chaque plat, Kobus vient lui même en salle servir le vin. Il en parle de manière décomplexée. "C’est mon nouveau vin préféré de l’été, c’est comme un jus de prune chargé en umami. Il ira parfaitement avec le springbok !", dit-il franco de ce "Pink moustache" de Jurgen Gouws, un rosé nature très sur le fruit. Kobus est au "Wolfgat", le parfait ambassadeur des vins du Swartland, région toute proche, qui vit une véritable révolution ces dernières années, avec une bonne vingtaine de vignerons innovants qui ont décidé de suivre un autre chemin. Des vins que l’on retrouve bien entendu au menu du restaurant, avec par exemple les bulles très funky ("I wish I was a ninja") ou ce sublime Muscat d’Alexandrie en macération El bandito de Craig Hawkins chez Testalonga, ou les superbes chenins blancs du formidable Adi Badenhorst.

Pêche durable
De la cuisine émanent les odeurs chaleureuses d’une cuisine gourmande. Dans l’assiette, une dorade du Cap qui vient d’être pêchée dans la Lamberts Bay, une zone plus riche en poissons située à environ deux heures de Paternoster, par les pêcheurs travaillant avec Abalobi, une App et un projet social autour de la pêche durable que défend bec et ongles le chef sud-africain. "Avant Abalobi, le poisson était pêché ici, puis il était stocké dans un entrepôt de Cape Town avant d’être redistribué ici à un prix plus élevé… Aujourd’hui, je peux commander mon poisson aux pêcheurs via l’application. Eux reçoivent l’argent directement, ils sont mieux payés, et mon poisson est plus frais !", s’enthousiasme Kobus, qui ne travaille qu’avec ces poissons locaux et de saison.
Un chef anthropologue
Une vision de l’assiette qui est aussi profondément liée à son intérêt pour l’homme et l’humain. Si Kobus est un Afrikaner - il a des ancêtres néerlandais - ce sont ainsi les premiers hommes qui l’intéressent. L’Afrique du Sud détient le record de la plus longue occupation humaine dans le monde et on y a retrouvé les plus anciens fossiles d’homo sapiens. Dans la grotte - aujourd’hui scellée - située juste en dessous du "Wolfgat" on a retrouvé des traces de feu… "Je lis les listes de plantes ou d’os trouvés par les archéologues. J’imagine leur utilisation. C’est une source d’inspiration majeure pour les plats créés au restaurant. Les limpets [patelles] que les singes mangeaient le long de la côte ont causé les premières étincelles dans leur cerveau… Nous en servons souvent au restaurant en guise de mise en bouche, ça a beaucoup de sens. C’est quelque chose qu’on ne peut pas ignorer en vivant ici. C’est dans la terre, les paysages, l’histoire. C’est partout !", conclut ce chef créatif, passionné et vraiment passionnant.

Quand Kobus rencontre Willem, un quatre-mains d’anthologie
"Beaucoup de chefs pensent qu’ils doivent raconter une histoire, mais vous ne pouvez raconter une histoire que si vous en avez vraiment une ! Quand je réalise ma bisque de crevettes, c’est la chose juste, au moment juste et au bon endroit", s’enflamme, en Afrique du Sud, le Flamand Willem Hiele, qui, chez lui, travaille avec les pêcheurs à cheval d’Oostduinkerke. C’est sans doute cette justesse de ton qui fait vivre une expérience exceptionnelle à la table de ces "Two Brothers from Another Sea". Une cohérence qu’Alexandra Swenden (Swenden Creative Studio), créatrice de l’événement homonyme souligne : "Il y a une connexion vitale et absolue entre ce qu’ils sont, où ils sont et ce qu’ils font." Et c’est ce qu’elle est parvenue à retranscrire en scénographiant cette nouvelle rencontre, qui, les 7 et 8 décembre derniers, réunissait les deux chefs au Wolfgat, six mois après Coxyde.
Le quatre-mains démarrait au restaurant Oep Ve Koep, avec des bulles sud-africaines choisies par Shannah Zeebroek, épouse de Willem en charge du vin dans le restaurant de Coxyde, et quelques snacks pleins de justesse. Huîtres, physalis et basilic et de formidables tacos à la pastèque, où le maïs est remplacé par la fameuse soutslaai, une succulente curviligne et acide que Kobus van der Merwe récolte dans les dunes. Ici, chez sa mère, où le chef a débuté en cuisine, l’accueil est familial et chaleureux. Dansant et chantant, les équipes des deux restaurants guident alors les invités vers la plage, où Kobus et Willem s’affairent déjà. On déguste notamment, à même la mer, un tartare de langouste, un produit typique de Paternoster.

Quand on remonte de la plage vers le Wolfgat, c’est un surprenant terre-mer de Willem qui nous attend, une huître associée à du springbok, du raifort et à un pickles de prunes. Brillant ! Et quand on pénètre enfin dans le restaurant, on est accueilli par Adel Hughes - la cheffe du Oep Ve Koep - au djembé et Kobus au clavier. Mais c’est un peu plus tard, lorsque Sanita, la mère de Kobus, se mettra au piano pour accompagner une chorale locale que l’émotion sera à son comble. La musique, encore et toujours… Tandis que dans l’assiette, les plats enchaînent. Tantôt exotiques et rock and roll, avec cette roulade de chou garnie de seiche panée et sambals. Tantôt émouvant, lorsque Kobus rend hommage à la bisque de crevette de Willem - allergique aux crevettes, il n’avait pas pu la goûter lors du premier dîner en juin -, en lui donnant un caractère sud-africain, avec des moules blanches et un beurre au bokkom. Tantôt grandiose, avec ce braai - la cuisson au barbecue est un autre point commun des deux chefs - de jacopever, une sorte de sébaste locale, servie dans une merveilleuse sauce réalisée avec les arêtes fumées du poisson et légèrement acidulée.
Avec deux chefs de cette trempe-là sur la même longueur d’onde, on savait que l’on serait aux anges pendant le repas. Mais l’atmosphère unique, la musique qui prenait aux tripes, la chaleur et l’enthousiasme des équipes, la bienveillance de la famille de Kobus et l’implication de tout un village, en une sorte de communion autour de son fils prodigue, transforment un excellent déjeuner en un souvenir impérissable.