Ruffus, 20 ans déjà: retour sur la belle aventure vinicole belge
Ruffus, une belle aventure vinicole belge, célébrée ces jours-ci par la parution d’un livre.
- Publié le 07-05-2022 à 17h22
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/T2FQ346FJBE3RHBP4IDNSG42JI.jpg)
Son passage par le collège au nom évocateur de "Bonne Espérance" aurait pu l’orienter vers une carrière de brasseur. Mais très tôt, Raymond Leroy, fils de négociant en vin à Binche, rêvait d’élaborer son vin et, pourquoi pas, de planter son propre vignoble.
La première étape de son projet le conduit non pas sur les plages de la Méditerranée mais bien sur les bancs de la faculté d’œnologie de Montpellier. De retour au pays, auquel il est très attaché, il n’est pas prêt à abandonner son somptueux costume de Gille de Binche pour celui de vigneron belge expatrié. C’est vraisemblablement au sein de sa société de Gilles que se développe sa passion pour la boisson officielle de Gilles de Binche, le champagne. En 1987 son attention se porte sur un coteau exposé plein sud du côté de Haulchin. Un sol calcaire, comme en Champagne et en Loire. Il décide de rencontrer son propriétaire, Joseph Delbeke, à qui il expose son projet saugrenu d’y planter de la vigne.
À cette époque, cet agriculteur plus à l’aise avec les cultures d’orge, de blé et d’avoine n’a ni le temps ni la tête pour suivre Raymond dans la folie de son projet. Le temps passe, Raymond épouse Isabelle, et ses deux fils Arnaud et John naissent à Fauroeulx où, en 1980, Raymond plante ses premières vignes à côté de la maison familiale qu’il vient de faire construire. Il s’agit d’un flanc de colline, argileux, orienté plein ouest.
Certainement pas la meilleure des orientations, ni le meilleur sol, mais la passion l’emporte sur la raison. Il descend en Bourgogne pour se procurer 600 pieds de pinot noir, qu’il vendange pour la première fois en 1985. Le néo-vigneron vinifie une centaine de bouteilles, qu’il réserve à sa consommation personnelle. Finalement ce premier coup d’essai lui a permis d’apprendre surtout ce qu’il ne faut pas faire.
Nouveau départ
Il faut attendre la rencontre fortuite entre Raymond et Étienne Delbeke, le fils de Joseph, pour que germe à nouveau le projet vinicole. C’est l’époque ou l’Europe pousse les agriculteurs à diversifier leurs activités, on commence à parler de gîtes ruraux, de vente directe à la ferme et d’autres initiatives de ce type. Intervient alors Thierry Gobillard, vigneron champenois et ami de Raymond qui confirme le potentiel du terroir des Agaises, mais aussi son intérêt pour participer au projet.
Il n’en faut pas plus pour que la famille Delbeke étudie plus sérieusement le dossier et, accompagné de deux voisins et amis de Raymond, Joël Hugé et Michel Wanty, ils décident de se lancer dans l’aventure. Au printemps 2002, deux hectares de chardonnay sont plantés et le domaine des Agaises, qui veut dire en picard "les terres blanches" en référence au sol crayeux, naît. Le vignoble, situé sur une couche calcaire de 60 mètres de profondeur, est situé dans le prolongement du bassin parisien.
Un terroir idéal pour l’alimentation hydrique des plantes, car il permet à la fois un bon drainage et une bonne rétention de l’eau. La craie présente également l’avantage d’emmagasiner l’énergie thermique pendant la journée pour la restituer la nuit. La matinée du 13 septembre 2003, la famille et les amis vendangent 3 600 kg de raisin qui sont pressés à la Ferme de la Tour et destinés à l’élaboration de la "Cuvée Seigneur Ruffus", du nom d’un ancien seigneur local. Mais qui, à ce moment, peut se douter que l’initiative sympathique de cinq copains se transformera en véritable success story qui va contribuer à l’essor de l’industrie vinicole wallonne ?

Poussé par Thierry Gobiard, qui veut arriver à une production de 100 000 bouteilles, le vignoble s’agrandit d’années en années à 4 puis à 6 hectares. Principalement avec du chardonnay, mais aussi un peu de pinot noir et de pinot meunier pour la production du mousseux rosé. Grâce aux plantations successives, l’objectif sera doublé en 2018 pour atteindre 200 000 cols commercialisés annuellement.
Après 20 ans, le domaine compte 35 hectares de vignoble, produit annuellement près de 350 000 bouteilles, accueille 15 000 clients directs au domaine (10 000 en juin et 5 000 en décembre), gère une liste d’attente de 5 000 clients et a reçu 70 000 visiteurs en 2021. Présentées dans les plus grands concours nationaux et internationaux, les différentes cuvées du Ruffus ont, chaque année, remporté médailles d’or et premiers prix : 15 médailles d’or du Concours du Meilleur Vin Belge et 9 médailles d’or au Concours Mondial de Bruxelles. Le domaine est également entré en belle place dans le premier Guide des vins belges 2021. L’ouvrage reprend 162 vins élaborés par une soixantaine de vignerons. Trois vins ont obtenu la note maximale de 5 étoiles. "Ruffus Chardonnay Brut Sauvage" en fait partie.
La relève est assurée
Nos cinq compères ne comptent pas s’arrêter en si bon chemin. La relève est assurée par Arnaud et John, les deux fils d’Isabelle et Raymond qui ont intégré l’entreprise respectivement en 2009 et 2010. Devant l’ampleur de l’expansion du domaine Raymond avait besoin de renfort. Arnaud abandonne sa carrière dans de secteur de l’informatique pour se consacrer au Domaine des Agaises et à l’activité de négoce "Leroy-Prévot&Fils" de la rue de Merbes à Binche, confiée peu de temps après à son cousin.

L’année suivante John dont la passion pour les fermentations s’est déclarée beaucoup plus tôt, prend la responsabilité de la cave après ses études de brasseur en Belgique et 3 années d’œnologie à l’Université de Montpellier. Toujours guidé par les conseils avisés de Thierry Gobillard, leur associé champenois, John a depuis longtemps prouvé sa maîtrise de l’élaboration de fines bulles.
Ayant obtenu quartier libre, Arnaud avoue que : "La passation de pouvoir se passe en parfaite entente, quoique le caractère un peu têtu des Leroy laisse la place à des échanges de vue parfois assez animés. Il aura fallu 8 ans pour faire accepter à mon père le changement de l'étiquette que je trouvais assez ringarde. Par contre, pour la stratégie de commercialisation et l'adaptation aux nouvelles technologies comme la gestion des réseaux sociaux, ça a été beaucoup plus facile". Le maître-mot pour l'avenir est "croissance maîtrisée". "D'abord parce que les investissements financiers sont importants et que nous ne sommes jamais à l'abri d'un aléa climatique qui, comme en 2021, peut réduire de moitié notre production. Ensuite, nous ne voulons pas introduire dans nos cuvées une proportion trop importante de raisin provenant de jeunes vignes qui pourrait modifier l'équilibre de nos vins. A moyen terme, (d'ici 2030), on espère arriver à 40 ha et à long terme à 50 ha".
Ruffus, une histoire belge : Le livre relate évidemment les 20 années de l'histoire atypique du domaine. Un ouvrage de 360 pages gorgé de souvenirs et d'anecdotes illustrés de photos d'archives. De nombreux dialogues entre les personnes impliquées dans le projet ponctuent l'ouvrage. L'auteur, René Sépulcre, partage avec nous le vécu de cette aventure humaine. Prix : 40 €