À la (re)découverte du calvados fermier
À l’occasion de la 2e édition du Calva Club, compétition de cocktails organisée autour du calvados, redécouverte de ce spiritueux qui joue la carte du durable.
- Publié le 19-06-2022 à 16h19
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Tout commence par une balade au fil de l’eau pour découvrir la très jolie ville d’Honfleur, en Normandie. À bord de la Calypso, douze bar tenders franco-belges (cf. encadré) et l’un des meilleurs producteurs fermiers de calvados AOC (74 % de la production totale de calvados), Jean-François Huard, des Calvados Michel Huard.
Ce passionné a repris en 2004 le domaine familial situé au dans l’Orme, à 50 km au sud de Caen. Il est la septième génération à perpétuer une fabrication tout ce qu’il y a de plus artisanale. Il récolte une trentaine de variétés de pommes acides, douces, douces-amères et amères sur son verger d’une vingtaine d’hectares, planté uniquement de pommiers hautes tiges.
"Il y a beaucoup d'insectes, d'oiseaux dans les hautes tiges, car ils ne sont pas traités. Et puis nos 130 salers peuvent paître en dessous, piétiner le sol et chasser les mulots qui mangent les racines des arbres. Les vaches font aussi un premier tri en mangeant les pommes véreuses. On les nourrit aussi avec marc de pommes, et enfin, elles engraisseront le terrain…", explique Jean-François Huard, qui défend ce cercle vertueux de production.
Entre deux morceaux de fromages locaux, comme ce fabuleux camembert du Champ Secret, au lait cru de vaches normandes, le producteur fermier nous fait goûter ses calvados millésimés - une spécificité de la maison Huard, plutôt rare en calvados -, en commençant par le 1994. Une merveille ! Malgré son âge, ce calva a encore de la vivacité, de la fraîcheur et ce goût intense de pommes.
"Je ne suis pas très interventionniste, je laisse la nature s'exprimer. Je cherche l'émotion", s'enflamme le producteur, qui distille une seule fois son calvados AOC - l'appellation autorisant une simple ou une double distillation -, avec un alambic à colonne ambulant chauffé au bois. Ce calvados vieillira ensuite minimum deux ans, comme au Pays d'Auge.
Trois AOC pour le calvados
Autre productrice fermière, Agathe Letellier fabrique du calvados à Pennedepie, près de Deauville, cette fois en AOC Pays d’Auge (25 % de la production). Les magnifiques vergers de son Manoir d’Apreval ne contiennent, eux aussi, que des pommiers hautes tiges de variétés anciennes, ainsi que quelques poiriers cultivés en biodynamie, car l’appellation permet l’ajout de maximum 30 % de poires.
"En Pays d'Auge, 150 variétés de pommes sont reconnues, mais les producteurs en travaillent en général une vingtaine. Mais pour les arbres hautes tiges, il faut être patient, car il faut dix ans pour qu'ils commencent à être productifs. Les coopératives ont fait développer les basses tiges pour augmenter la rentabilité ! Ça fait 50 ans que je ramasse des pommes et les hautes tiges sont en train de disparaître…", explique, la mort dans l'âme, Jacques Gilles, producteur à La Ferme des parquets, qui travaille en binôme avec Agathe Letellier. Laquelle travaille également avec son voisin, qui lui prête des blondes d'Aquitaine pour enrichir le sol.
Quittant le verger, la productrice explique brièvement le processus de fabrication du calvados. De la pomme entièrement râpée et pressée, au jus de pommes transformé en cidre à distiller (un cidre dont on n’arrête pas la fermentation, car on a besoin que tous les sucres se transforment en alcool). Avec 14 litres de cidre, on obtiendra 1 litre d’eau-de-vie de cidre à 70°C après une double distillation, celle-ci étant imposée dans l’AOC Pays d’Auge. Celle-ci vieillira ensuite dans des fûts de chêne français de différents âges et volumes - chez Mme Letellier, ils auront parfois contenu du sauternes !
Mais pour être commercialisé, le calvados devra être réduit, c'est-à-dire atteindre un minimum de 40°. Pour ce faire, on ajoutera progressivement de l'eau purifiée à l'eau-de-vie puis, enfin, viendra l'assemblage. "Ce qui est important dans le calvados, c'est l'assemblage des saveurs de pommes sucrées, acides, amères… puis des cuvées", insiste Mme Letellier, en nous faisant visiter son superbe chai traditionnel sous charpente, dont les murs sont en torchis.
Au moment du pique-nique sur le domaine, on goûtera aussi au pommeau très équilibré de la maison, un apéro sucré réalisé avec du jus de pommes amères non fermenté additionné de calvados et vieilli minium 14 mois en petits fûts, titrant entre 16 et 18 degrés.
Le calvados domfrontais
Membre du jury Calva Club, Émilie Fourmond Lemorton, 35 ans, produit, elle, à Mantilly, dans la partie sud du bocage normand, du calvados en AOC Domfrontais. Avec seulement 1 % de la production, il s’agit de la plus petite aire d’appellation, avec 45 producteurs-transformateurs de calvados et seulement une dizaine qui vendent en bouteille sous leur marque.
C'est son arrière-grand-père qui a déposé la marque Lemorton et aujourd'hui, avec son frère, elle a repris le flambeau. Mais la vie paysanne n'est pas facile tous les jours… "On a de plus en plus de gelée tardives au mois de mai. L'année dernière, on a perdu 90 % des poires et 60 % des pommes à cidre. On vit avec Dame Nature…", philosophe la jeune femme, qui compte d'autant plus sur les revenus de ses 70 vaches laitières normandes qui, comme chez ses collègues, broutent l'herbe sous ses hautes tiges.
Dans cette appellation, minimum 30 % de poires à poiré sont introduites dans le calvados. Mais chez Émilie, on privilégie une proportion de 75 à 80 % de poires. Le résultat est un excellent calvados domfrontais, plus sec et plus structuré. Ici, on utilise la distillation simple, qui s’effectue en alambic à colonne, mais contrairement aux autres AOC, le vieillissement sera d’au mois trois ans.
Émilie produit également un délicieux poiré, un cidre à base de poire qu’elle vend à 4,5 € seulement… Un produit qui mériterait plus d’attention et une revalorisation pour aider les producteurs fermiers comme elle à mieux vivre de leur beau métier.
Des cocktails au calvados
À l'occasion de la deuxième édition du Calva Club, douze bartenders, six Belges et six Français, s'étaient donné rendez-vous à l'hôtel Les Jardins de Coppélia, près de Deauville, pour une compétition bon enfant autour du calvados, spiritueux phare de la région. Invités par l'IDAC (Interprofession des appellations cidricoles), les barmen et barmaids - chose rare, la parité hommes-femmes était parfaitement respectée ! - avaient posé leur candidature quelques semaines auparavant et les finalistes avaient notamment été sélectionnés par le site ForGeorges.fr, spécialisé dans les spiritueux, et par le duo Sophie Bataille-Leslie Moreau, à la tête du bar GreenLab à Bruxelles et créatrices de la Brussels Cocktail Week.
Au menu de ces deux journées autour du calvados : visite d'un domaine et d'un verger, découverte de la distillation ambulante, dégustations… Avant, lundi soir, la compétition à proprement parler. Dans le jury, dont nous faisions partie, on retrouvait Ugo Moretto, vainqueur l'an dernier, Theo Laigre, chef-sommelier du restaurant Indigène à Caen, et deux producteurs de calvados, Emilie Fourmond Lemorton en AOC Domfrontais et Frédéric Dussart, PDG du Château du Breuil en AOC Pays d'Auge.
Deux Françaises et un Belge sur le podium
Et il n'a pas été facile de départager les candidats, tant le niveau de la compétition était élevé. Les mixologues belges ont d'ailleurs brillé. La jeune Lison Viérin (Botanical by Alfonse, Namur) a impressionné, du haut de ses 19 ans, avec une bolée de calvados très gourmande. Jean-Marceau Demange (JMD Cocktail, Bruxelles) étonnait avec une création herbacée à base de cresson et de chou-rave. Tandis que Clara Molko (Ethylo Cocktail Bar, Bruxelles) et Mario Russello (Edgar Flavors, Bruxelles) ont bien failli se retrouver sur le podium avec leurs cocktails respectifs : une boisson joliment acidulée de couleur rubis à base de chou rouge pour le premier, et une création qui mettait bien en valeur les produits du cru, calvados domfrontais et pommeau de Normandie pour le second.
Mais c'est le jeune barman de 22 ans Tran Tam, qui concourait avec le talentueux Yen Pham pour porter les couleurs du restaurant-bar Yi Chan dans la capitale, qui s'est hissé à la troisième marche du podium, avec un high ball délicat à base de calvados du Pays d'Auge VSOP, de poire nashi, de vermouth blanc et de verjus. La deuxième place est revenue à la Franco-Marocaine Fatine Abid (Drinks and Co, Paris), après une présentation sans faute et un "CalvaBlanca" qui proposait un aller-retour Normandie-Maroc, avec du calvados VSOP, de l'amlou, un bitter maison de dattes et graines de coriandre… Mais c'est Camille Pila, barmaid de 24 ans d'origine corse, qui s'est imposée avec son "Résistance", une création contemporaine où un calva du Pays d'Auge titrant à 53°C joue les stars, aux côtés de la népita, une herbe mentholée du maquis corse, servie dans un gobelet créé par une céramiste picarde pour l'occasion. Car la jeune femme, désormais installée à Beauvais, œuvre derrière le bar du restaurant familial La Part des anges…
Les Belges fans de calva
Parmi les 350 producteurs de calvados, quelques-uns se taillent la part du lion. Le groupe La Martiniquaise, qui possède notamment Busnel et Préaux, détient 50 % du marché. Tandis que Spirit France (Père Magloire, Boulard, Le Comte) le talonne à 40 %. Puis il y a 10 % de plus petits producteurs, comme Christian Drouin, qui fait tout de même du négoce.
Les producteurs fermiers ne représentent, eux, que 5 % de la production totale de calvados. Il est donc peu probable que le Belge, grand consommateur de calvados avec plus de 390 000 bouteilles écoulées en 2021 - la Belgique est le deuxième pays d’exportation après l’Allemagne -, ait déjà eu la chance d’y goûter…