Le chef étoilé Florent Ladeyn débarque à Bruxelles : "Je veux montrer que la cuisine du terroir flamand, c’est vivant !"
Installé à Boeschepe dans les Monts des Flandres, le chef étoilé Florent Ladeyn débarque à Bruxelles avec un nouveau concept : “Klok”.
Publié le 16-05-2023 à 11h01 - Mis à jour le 16-05-2023 à 15h07
:focal(1641x1102.5:1651x1092.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/3TWQTOAZENF5RAEFGQYWOEDYRU.jpg)
Lorsqu’on débarque, en cette fin d’après midi, place Rouppe à Bruxelles, Florent Ladeyn est en bleu de travail. Il tague les lettres “KLOK” sur les murs et met la dernière main à la déco de son nouveau restaurant bruxellois, qu’il a appelé Klok en référence à l’hôtel qui l’accueille : La Grande Cloche. Le plus vieil hôtel de Bruxelles datant de 1840 !
Après s’être débarbouillé, le finaliste de Top Chef 2013 nous en dit plus, en toute franchise, sur ce projet qui a vu le jour le 7 avril dans la capitale, et qui est doucement en train de prendre forme, après le rachat du fonds de commerce de l’ancienne pizzeria Pasta Madre. Il nous parle aussi de ses autres ouvertures : Grand Scène, La Friche Gourmande, Béthune et bientôt Dunkerque…

Il y a toujours eu un lien fort avec la Belgique chez vous, non ? Boeschepe est situé à moins de 5 km de la frontière belge…
J’ai énormément de clients bruxellois dans tous mes établissements. J’adore venir à Bruxelles. Il y a un lien parce que, à mes yeux, c’est le même terroir ! Je n’ai jamais dit que je faisais une cuisine des Hauts-de-France, car je fais une cuisine du terroir flamand. Et la Flandre, ça ne s’arrête pas à la frontière !
C’est quoi ce nouveau concept bruxellois ?
À Lille, Béthune, Dunkerque, tu auras vraiment une trame Bierbuik (les estaminets de Ladeyn, NdlR). Ici, on essaye quelque chose de nouveau. On cuisine du petit-déjeuner au dîner. C’est en discutant avec Fabian Henrion (propriétaire de l’hôtel La Grande Cloche, NdlR) qu’on a décidé de faire les petits-déjeuners. Je me suis mis à la place de mes gars. Ils ne pouvaient pas arriver à 10h30 et être prêts pour le déjeuner, ni partager la cuisine avec d’autres cuisiniers… C’est un nouveau métier qu’on découvre petit à petit. On démarre le lunch all day aussi…
En fait, ce qu’on fait aujourd’hui, ce n’est certainement pas ce qu’on fera dans six mois.
Pour l’instant, on a pris en main l’établissement tel qu’il était, en le mettant juste un petit peu à notre sauce. Mais c’est un challenge ! Il y a 37 couverts, avec deux fours à pizza et deux plaques à induction… Les moyens sont un peu limités par rapport à la cuisine qu’on fait.
Ce que je sais, c’est qu’ici, on a un chef canon ! Jordan Joubert, un Français. C’est l’ancien second de Loïc Villemin chez Toya [restaurant étoilé de Lorraine]. Mais il y a aussi des Belges dans l’équipe. Oriane, mon associée ici, est Bruxelloise. Elle est arrivée en stage au Vermont à 16 ans… On travaille ensemble, on bâtit les menus ensemble, on goûte ensemble… Mais ce n’est pas le Vermont, ni un Bloempot (cantine flamande de Ladeyn, NdlR) ; c’est leur resto. Même si la base est la même, c’est le même terroir !

Comment se fait-il que vous ouvriez cinq adresses plus ou moins en même temps ?
On pourrait le croire, mais je ne suis pas complètement con ! Mon calendrier s’est compressé… En fait, mon maître d’œuvre a un an et demi de retard sur les travaux de l’atelier de production de Boeschepe, de Bierbuik Béthune et de Bierbuik Dunkerque…
On a ouvert dans le food court Grand Scène à Lille le 31 mars. Là-bas, on fait des mitraillettes ! On a créé des Mexicafels. Avec mon cousin, on a bricolé des moules à Mexicanos (viande épicée qu’on trouve dans les friteries, NdlR) et à la place de la viande, on a fait un appareil avec des lentilles de La Ferme du Duneleet à Leffrinckoucke, que l’on a fait germer… À La Friche à Marcq, je viens de bricoler en famille une caravane. Là, depuis le 2 mai, on se penche sur la cuisine gitane…
Vous ouvrez cinq restaurants… Comment vos producteurs font-ils pour suivre ? Avez-vous des financiers derrière vous ?
On peut se le permettre, car on a un atelier de production à Boeschepe. On n’achète pas de produits alimentaires intermédiaires. Quel que soit le type de restauration, quel que soit le format et le prix, je veux que ce soit 100 % maison et local.
On a aussi prévenu nos producteurs, il y a trois ou quatre ans, qu’on avait ce projet. Certains se sont mis à acheter des terres. Comme Dries Delanote, l’un de mes maraîchers, au Monde des Mille Couleurs à Ypres.
Il y a zéro financier derrière. On fait des effets de levier. J’ai prouvé depuis quelques années à mon banquier que je savais gérer des entreprises. D’un point de vue économique et financier, L’Auberge du Vermont est un exemple. Au niveau du chiffre et de la marge, c’est la perfection. Le Bloempot s’en rapproche. Bierbuik, c’est pas mal du tout. On fait des prêts. Et je gagne 1400 € par mois…

Comment fonctionne votre atelier de Boeschepe ?
C’est dans une ancienne usine, qui allait être rachetée par des promoteurs immobiliers… Au départ, on voulait juste un hangar pour faire de la logistique… Parce que c’est bien beau d’ouvrir des restos, mais je ne voulais pas imposer à mes producteurs de me livrer partout.
Ensuite, on a déménagé la brasserie du Bierbuik Lille dans un hangar de 300 mètres carrés. Aujourd’hui, on produit 100 hectolitres. Mon objectif, ce n’est pas de ne pas acheter de bières aux autres, mais de faire des bières que je n’arrivais pas à trouver, des bières d’accords. Il y a dix ans, quand je me disais que ce serait cool d’avoir une bière rhubarbe-verveine pour aller avec du maquereau et du yaourt, les brasseurs que j’allais voir étaient perdus. C’était trop de boulot, trop cher… Et s’il existait des super bières à la rhubarbe, c’était des brasseries danoises ou suédoises qui brassaient localement, mais avec du houblon de partout… J’ai commencé à brasser parce que je ne trouvais pas ce que je voulais en 100 % local.
Après, je me suis dit qu’on allait avoir un problème avec le pain… Qui fait encore un pain au levain avec des farines locales ? C’est pour ça qu’on a fait un fournil. Finalement, on s’est dit qu’on allait faire un atelier de cuisine. Et aujourd’hui, ça prend encore plus de sens avec tous les restaurants. On y fait toutes les mises en place, tout ce qui est chronophage, énergivore… : l’huile d’ail des ours, les jus de viande, les lentilles germées… C’est juste une base, sauf qu’ici c’est maison, de qualité et local. Ce n’est pas une dark kitchen!
D’où vous vient cet amour pour le terroir flamand ?
Je n’ai pas été élevé dans la culture du local, la consommation de produits locaux. Mais j’ai été élevé dans l’amour de la nature. Mon père bossait sept jours sur sept au Vermont. Quand il avait du temps pour nous, on allait dans la forêt… C’est pour ça que je connais tous les noms des arbres, des plantes… Ma mère, elle, a quitté la restauration pour devenir naturopathe. Donc les herbes sauvages comestibles, je les connais grâce à ma maman. Mes grands-parents m’ont aussi inculqué l’amour de nos traditions : la belote, les histoires de clocher….
Moi, j’étais amoureux et fier d’être du Nord et de Flandre. C’est l’amour pour un territoire qui m’a fait me dire que c’était quand même con d’acheter des mini-navets de chez Metro qui poussent dans les serres en Hollande, alors qu’à côté de chez moi, il y avait un mec qui laissait pourrir les siens sous une bâche… Je lui ai demandé si je pouvais les acheter l’année prochaine. Il m’a dit oui. Et puis je lui ai demandé ce qu’il allait faire de ses navets pourris ? Il m’a dit qu’il allait les donner à Isabelle, une bouchère locale dont le père élève des vaches… C’est parti comme ça !

Vous êtes un locavore jusqu’au-boutiste ? Vous ne servez pas de café au petit-déjeuner, mais de la chicorée par exemple…
C’est vraiment venu petit à petit. Je n’avais pas le bagage technique en cuisine pour le faire d’entrée de jeu. J’ai fait de l’apprentissage au Cefral à Dunkerque. Une semaine à l’école, une semaine en entreprise. Les six premiers mois, je ne comprenais rien du tout. À l’époque, on achetait des tartes aux pommes Pasquier ! C’était une autre époque, une autre histoire. Mon père ne voulait pas être restaurateur ; il n’était pas passionné…
Je suis extrémiste, mais je ne suis pas un ayatollah non plus. Si les gens veulent du café, Fabian (Henrion) a une machine à café… Mais on a choisi de proposer un cappuccino à la chicorée.
Ma seule ambition, c’est de montrer qu’il est possible de consommer local. Je veux montrer que la cuisine du terroir flamand, c’est vivant ! Ce ne sont pas juste les carbonnades flamandes ou le potjevleesch, qui sont faits avec des produits qui ne sont plus d’ici.
C’est l’amour de mon territoire, de ma campagne, qui a fait que je me suis mis à fond là-dedans. J’ai aussi vu que c’était possible de faire des trucs vraiment cool avec du local grâce à Kobe Desramaults au In de Wulf à l’époque.
Le menu au Vermont est à 50€ ? À Bruxelles, le menu est à 60€… C’est important de rester accessible ?
C’est plus cher en Belgique, car les salaires sont plus chers… À L’Auberge du Vermont, je suis tout le temps complet. Je fais 90 couverts par jour. Le menu est à 50€. Mais les clients qui sont là, ça fait deux mois qu’ils attendent, donc ils prennent les deux suppléments à treize balles. Après, souvent, ils prennent l’apéritif, l’accord. Notre accord sans alcool, fait 100 % maison et local, est vendu 25€. C’est de la valorisation pure, parce que ça ne coûte rien.
Mon objectif, c’est que mes restaurants soient complets. Mais ce qui me fait vraiment plaisir à chaque fois, c’est d’avoir mes potes d’enfance dans mes établissements, d’avoir mon maraîcher qui vient manger en famille sans avoir été invité, d’avoir les gens du village…
Que reste-t-il de l’expérience Top Chef ? La notoriété ?
Bien sûr, la notoriété, mais c’est une arme et les armes peuvent se retourner contre toi… On a été submergés, on n’était pas prêt à ça… Après, juste derrière, on chope l’étoile. On a tenu du mieux qu’on pouvait. Les gens avaient énormément d’attentes, parce qu’à la télé, en 1h, ils me voyaient dresser quatre assiettes. Nous, sur un service du soir, en 1h, on va en faire 200 des assiettes ! Donc forcément, ce n’est pas la même chose. Mais j’en garde un super souvenir. Toutes proportions gardées, c’était un peu mon service militaire. Mais pour la petite histoire, j’ai dû faire faire deux fois le casting avant d’être pris. La première fois, je suis arrivé premier au test cuisine, mais quand ils m’ont demandé pourquoi j’étais là, j’ai répondu que ça serait bien de parler de l’auberge de mes parents qui était en train de se casser la gueule… Et ils m’ont répondu : il n’y a que le business qui t’intéresse en fait ? Je ne parlais pas de gagner de l’argent, je parlais de sauver l’entreprise de mes parents ! Mais, ils m’ont recontacté l’année d’après…
Avez-vous d’autres projets ?
L’idée, c’était d’ouvrir deux établissements par an, même si mon calendrier s’est compressé… Là, on va consolider ce qu’on a ouvert. Mais j’ai plein d’idées ! Par exemple, j’aimerais ouvrir une vraie bonne friterie, un fritkot où tout serait local et fait maison.

“Klok”, l’adresse bruxelloise signée Ladeyn
Installé au rez-de-chaussée de l’hôtel de La Grande Cloche, place Rouppe à Bruxelles, Klok est ouvert du petit-déjeuner au dîner. Et si Florent Ladeyn y est présent une fois par semaine, il a confié les cuisines au Français Jordan Joubert, ancien de chez Toya* à Faulquemont, en Lorraine.
Et comme pour chacun de ses nombreux restaurants, Ladeyn et son équipe réussissent le tour de force de proposer un menu créatif 100 % local, de saison et fait maison.
S’il a toujours travaillé avec le maraîcher Dries Delanote, du Monde des Mille Couleurs à Ypres, Ladeyn a déjà adapté ses fournisseurs en mode ultra-local. “Chez Klok, on travaille avec la rhubarbe et les asperges de Stéphane Longlune à Jurbise, les fromages de La Fruitière à Bruxelles… On est à 110000 kilomètres de Boeschepe, je ne vais pas amener les asperges de la Ferme Deswarte à Ghyvelde, près de La Panne, avec qui on travaille à Lille… ”, revendique le chef étoilé de L’Auberge du Vermont.

Cuisine spontanée
Ici, ce n’est pas le chef qui dicte le menu, mais plutôt la nature et le potager. “Les clients se plaignent parfois qu’ils ne savent pas ce qu’ils vont manger… Mais nous non plus, on ne sait pas ce qu’on va cuisiner deux jours avant… ”, explique Ladeyn, qui propose à Bruxelles un menu à l’aveugle 5 services à 60€ (supplément à 9€ ; accord boissons à 30€). Ce jour-là, on démarrait notamment avec une excellente croquette terre-mer, où du boeuf côtoyait des bulots. À tremper généreusement dans une sauce gribiche ! Tandis qu’on était emballé par ce céleri-rave cuit au foin servi avec un beurre blanc à la bière et une compotée de pommes à la bière. Un plat acidulé équilibré, qui se mariait joliment avec une Bierbuik Berliner Weiss, brassée au foin.

Le plat, lui, jouait subtilement sur l’amertume. Avec un superbe pigeon de Steenvoorde – élevé par le cousin de Ladeyn ! -, servi parfaitement rosé et accompagné d’une asperge verte de Jurbise, d’une croquette de cuisse de pigeon, et d’un condiment pommes brûlées et chicorée.

Vivement les frites au Maroilles !
Seule incartade au locavorisme sincère du chef, un Cahors “Serpent à plumes” du Domaine de la Calmette. Sinon, pour le reste de l’accord, on tapait encore dans le mille du local avec un cidre de la Cidrerie du Condroz ou une limonade au houblon…
Tout n’était pas encore parfait chez Klok, mais on y passe un excellent moment, épaté par la philosophie du chef, dans une atmosphère accueillante et chaleureuse.
Et l’on y reviendra à coup sûr dans quelques mois, quand Ladeyn y aura installé de quoi cuisiner à la braise et peut-être une friteuse… Pour se régaler de ses fameuses frites au Maroilles !
Rens. https://www.klokbrussel.be
PETIT DEJEUNER. À la carte, assiettes de 3€ à 17€. De 7h à 10h30 sans réservation du lundi au vendredi et de 8h à 10h30 le samedi dimanche et jours fériés.
BRUNCH. À la carte, assiettes de 3 à 45€. Formule lunch à 28€ du lundi au vendredi. Tous les jours de 10h30 à 15h00.
SOUPER. Menu surprise à 60€ et 90€ avec boissons. Du mardi au samedi de 19h à 21h.
