Sommes-nous vraiment faits pour dormir ensemble ?
C’est en gros la question que se pose Jean-Paul Kaufmann. En scrutant l’intimité du couple, sa spécialité, le sociologue se glisse sous la couette et nous invite à décrypter les failles du « grand rêve de l’amour partagé ».
Publié le 13-03-2015 à 15h22 - Mis à jour le 13-03-2015 à 15h47
Sommes-nous vraiment faits pour dormir ensemble ? C’est en gros la question que se pose Jean-Paul Kaufmann. En scrutant l’intimité du couple, sa spécialité, le sociologue se glisse sous la couette et nous invite à décrypter les failles du « grand rêve de l’amour partagé ».
Quel bonheur, la nuit venue, de se réfugier dans son lit ! À deux c’est encore mieux… Quoique. Le lit (conjugal) ordinaire, celui de la détente et du sommeil, pose une des plus grandes questions de notre époque : entre le grand rêve de l’amour partagé et l’aspiration au bien-être personnel, notre coeur balance. Passé le temps (compté) de la passion, celui ou celle qui chaque soir se couche à la même place peut se révéler un redoutable ronfleur, un lutteur sournois jamais fatigué de tirer la couverture à lui ou, pire encore, un monstre aux pieds froids. Dans « Un lit pour deux », Jean-Claude Kaufmann relève la portée symbolique de nos habitudes nocturnes, tel le délicat choix de la chambre séparée.
Faire chambre à part, ça veut forcément dire que le couple va mal ?
Jean-Claude Kaufmann : Peu de gens optent pour des chambres séparées lorsque leur couple va moins bien, bien que les deux partenaires décident à ce moment-là, de prendre un peu de distance. Mais dans la plupart des cas, dans ce petit « théâtre » du lit, les choses sont beaucoup plus simples, il y a celui qui tient le rôle du bon dormeur et celui du petit dormeur. Et lorsque ce dernier voit son sommeil perturbé par celui qui dort comme un bébé, cela peut susciter des tensions. Dans les témoignages que j’ai reçus, des couples expliquent que faire chambre à part, c’était pour eux le moyen de sauver leur couple.
Pourtant, longtemps, le lit conjugal fut le lieu consacré des moments essentiels d’une vie. On y naissait, on y mourait entouré des siens. Révèle-t-il aujourd’hui les attentes contradictoires du couple qui aspire à un bien-être personnel sans renoncer pour autant à l’amour fusionnel ?
Au début, on rêve de ne faire qu’un avec l’être aimé. Puis l’individu refait surface, songe à son confort, commence à installer ses marques. Mais, comme dans tous les lieux d’intimité rapprochée (voiture, table du repas…), dormir à deux implique un contrôle de soi. Au tout début, on rêve de ne faire qu’un avec l’être aimé. Puis chacun découvre qu’il habite un côté du lit, toujours le même, souvent pour la vie, même en l’absence de l’autre – parfois après séparation ! Le tout est de trouver la bonne distance.
Dites-moi comment vous dormez, je vous dirai comment va votre couple ?
Pas si simple. Certes, le lit est un révélateur de l’état du couple ainsi que des évolutions conjugales. C’est aussi le lieu de la confrontation permanente entre un désir d’intimité amoureuse et l’aspiration au bien-être personnel. Cette contradiction entre des aspirations différentes se joue dans tous les espaces, et demande des ajustements permanents. Où mieux l’observer que dans le lit, lieu de la proximité qui s’oppose au désir de confort ?
Le fait de dormir dans des chambres séparées gagne-t-il du terrain ?
L’une de mes surprises, dans cette enquête, a été de constater que les femmes sont massivement à l’origine de cette demande de chambre séparée. Pourtant, elles sont traditionnellement plus investies dans le domaine conjugal et familial. Elles y mettent plus d’énergie, placent la barre plus haute dans cet engagement que les hommes, qui conservent un certain détachement. Mais sous leur impulsion, il semble que la chambre séparée soit en voie de banalisation chez les couples qui ont passé la cinquantaine. Cela se produit après un certain nombre d’années de vie commune, alors que les agacements et petits inconforts se multiplient, et que le départ des enfants libère une chambre.
ET PUIS...
Chambres séparées. Avant d’en arriver là, il y a tout un arsenal d’étapes intermédiaires. Ça va des bouchons d’oreilles à un lit plus grand, ou encore de faire couette à part, « enroulés comme des nems ».
La fidélité, une valeur essentielle ? Oui. Et c’est un peu surprenant, dans une société de séduction généralisée et de légèreté par rapport aux moeurs. L’exigence de fidélité reste très forte, car il existe un contrat moral avec le partenaire, fondateur du couple.
Le désir de durer. Il est toujours aussi profondément ancré, en dépit des apparences. C’est clair, personne ne dit : je vais entrer en couple en CDD. On sait qu’on ne sera peut-être ensemble à tout jamais, mais le rêve reste que ce soit le plus longtemps possible.
A lire. « Un lit pour deux. La tendre guerre » de Jean-Claude Kaufmann, aux Editions JC Lattès ; 2015