Comment ne pas sombrer dans la psychose ?
"On ne peut bien sûr pas se retrancher chez soi. Des salles de spectacles, des restaurants, des stades de football, il y en a tant et plus. Il est difficile d’imaginer que tout cela puisse être sécurisé et que l’on puisse arriver au risque zéro. Il est clair que cela participe de la crainte ambiante." Entretien avec Etienne Vermeiren, psychologue à l'UCL.
Publié le 16-11-2015 à 18h28 - Mis à jour le 22-03-2016 à 12h30
Psychologue à l’UCL, expert du traumatisme psychique, Etienne Vermeiren avait apporté son expertise dans le cadre des attentats de Paris.
Psychologue, responsable du Centre de référence pour le traumatisme psychique des Cliniques St-Luc, Etienne Vermeiren avait rejoint ses collègues français, en novembre dernier, pour venir en renfort dans le cadre des attentats de Paris. Pour apporter son soutien et son expertise aux "impliqués", comme on appelle les personnes qui ont été touchées de près ou de loin par ce type de drame. " Un travail qui doit s’effectuer le plus précocement possible, nous avait alors dit le psychologue, mais aussi se poursuivre sur la durée." Voici ce que nous avait confié le spécialiste, au cœur de ces événements tragiques de Paris, tellement similaires à ceux que nous vivons aujourd'hui à Bruxelles.
Peut-on ici parler de traumatisme collectif ?
En tant que professionnels, nous utilisons le terme "traumatisme" uniquement lorsque les personnes sont en confrontation directe avec l’événement. Donc, a priori, la terminologie de "traumatisme collectif" n’a pas beaucoup de sens ici. On peut bien sûr l’entendre dans son acception plus générale, et considérer qu’en effet, il s’agit d’un événement qui vient bouleverser une collectivité. Que l’on utilise le terme "traumatisme" ou un autre mot, peu importe finalement. Il suffit de voir à quel point ces événements sont omniprésents dans les conversations pour se rendre compte de l’impact que cela peut avoir sur les populations, même éloignées.
En quoi la situation est-elle différente des attentats de "Charlie Hebdo" ?
On a l’impression malheureusement d’être passé à un nouveau stade dans l’horreur où les victimes sont des victimes du hasard, du tout-venant… Ce n’est pas un groupe particulier qui pourrait être stigmatisé, comme pour "Charlie Hebdo". Du coup, l’angoisse peut être beaucoup plus importante encore pour le commun des mortels qui peut se sentir insécurisé. Pour pouvoir évoluer positivement et sereinement dans notre vie de tous les jours, on a besoin de mettre très à distance la question de ce qui peut menacer notre intégrité physique et psychique. Si l’on sait tous que l’on va mourir un jour, on passe quand même l’essentiel de notre vie à réfuter cela pour pouvoir en profiter pleinement. Lorsqu’il est rattrapé par des événements de cette ampleur, l’être humain essaie encore de trouver des mécanismes qui lui donnent l’illusion de contrôler les choses, d’être à l’abri. Il est plus facile de se dire : ‘c’est un groupe de journalistes avec une idéologie particulière qui a été attaqué’ que se dire : ‘cela peut arriver n’importe quand, n’importe où, à n’importe qui’. Donc à nous aussi.
Comment vivre dans ce contexte ?
On ne peut bien sûr pas se retrancher chez soi. Des salles de spectacles, des restaurants, des stades de football, il y en a tant et plus. Il est difficile d’imaginer que tout cela puisse être sécurisé et que l’on puisse arriver au risque zéro. Il est clair que cela participe de la crainte ambiante. A entendre les conversations, c’est comme si tout à coup le danger était partout. Or ce n’est pas le cas.
Que dire et faire, alors ?
Il est extrêmement important de montrer des messages de reconnaissance et de soutien. Et on n’en manque pas. Les autorités au plus haut niveau tentent de rassurer la population. En même temps, personne n’est dupe sur la question de la sécurité absolue. On sait bien que l’on ne peut pas surveiller tout le monde. On sait aussi que le temps va faire son œuvre et que petit à petit, les personnes reprendront le chemin de leurs habitudes. Du moins, on le leur souhaite.
Tout le monde ne se trouve cependant pas dans la même situation…
En effet. Cela va rester problématique pour les personnes qui ont été le plus impactées. Soit directement, parce qu’elles ont été blessées ou témoins des attentats, ou qu’elles ont eu des proches qui en ont été victimes, soit des personnes déjà fragilisées par des troubles anxieux ou ayant des difficultés à se positionner par rapport à la question du danger, notamment des personnes ayant déjà été traumatisées par le passé. Celles-là devront nécessiter une attention beaucoup plus grande. Pour les autres, la force de l’être humain est de pouvoir retrouver à un moment donné, si on n’a pas été traumatisé au sens strict du terme, suffisamment de liberté pour trouver son chemin et ne pas sombrer dans ce qui serait une sorte de ‘psychose collective’ au sens commun du terme.
Regarder les informations anxiogènes qui tournent en boucle présente-t-il un danger ?
Ce qui est très extrêmement important, c’est qu’il puisse toujours y avoir des mots qui accompagnent les images. A ce titre, les journalistes ont un réel rôle à jouer. Il faut aussi être attentif aux enfants qui, contrairement aux adultes, n’ont pas forcément la capacité de comprendre que ce sont toujours les mêmes images qui reviennent. Ils peuvent croire que ce sont de nouvelles attaques qui se produisent en continu. Si de jeunes enfants sont confrontés à ces images, il doit y avoir des adultes auprès d’eux pour leur expliquer et les rassurer. Les parents ne doivent pas être dans le déni de ce qui se passe. Il ne faut pas hésiter à leur en parler, mais nous ne sommes pas obligés non plus d’exposer nos bambins à cette violence.