Avons-nous un enfant préféré ?

Avouer une préférence pour l’un d’eux semble tabou dans notre société fondée sur le principe d’égalité. Le retour de la chronique de Nathalie Vancrayenest, coach parentale et scolaire.

Nathalie Vancrayenest
Avons-nous un enfant préféré ?
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Avouer une préférence pour l’un d’eux semble tabou dans notre société fondée sur le principe d’égalité. Le retour de la chronique de Nathalie Vancrayenest, coach parentale et scolaire.

Mais quelle question ! Bien sûr que je les aime de la même manière, me répondrez-vous offusqué ! Pourtant des études montrent le contraire : certains, comme Jeffrey Kruger (1) n’hésitent pas à affirmer que « 95 % des parents auraient un enfant favori »,

Le sujet n’a pas toujours été tabou, jusqu’au XIXe siècle, pour des questions d’héritage c’est l’aîné que l’on privilégiait. Aujourd’hui, cette préférence est indicible, sans ressentir une grande culpabilité, sans avoir peur de ne pas être à la hauteur avec le reste de sa progéniture.

Avoir une préférence pour l’un ou l’autre de nos enfants, ne fait pas de nous de mauvais parents à moins de rejeter et de maltraiter les autres enfants de la fratrie (2).

Comment expliquer cette préférence ?

Les causes sont nombreuses et il n’y a pas de généralité !

Cela tient parfois à une ressemblance physique, comportementale, une grossesse qui tombe au bon moment, un problème durant celle-ci ou à la naissance. Certains enfants sont plus faciles et nous confortent dans notre sentiment de parent compétent. Des raisons liées à la génétique sont aussi mises en évidence.

Ce doux mélange de ressemblances réelles et fantasmées, « je me retrouve en lui », crée une proximité, une identification, une connivence entre parent et enfant. Elle est le reflet de l’enfant que le parent aurait aimé être.

Préférer ne signifie pas que l’autre est mal-aimé/pas aimé ! Les enfants sont des personnalités avec une identité propre, il est normal, de développer avec chacun d’eux une relation particulière.

Refuser de voir la vérité, c’est prendre le risque de brouiller les émotions et sentiments des enfants ! Nier la préférence qu’ils ressentent sème la confusion dans leurs représentations de l’amour. C’est aussi le risque de créer des dissensions entre frères et sœurs.

Être le chouchou, est-ce une chance ?

Pas si sûr !

Trop habitué aux louanges et à la facilité dans le cocon familial, ils rencontrent des difficultés à surmonter les vicissitudes de l’école, du travail une fois leur « place de roi » perdue.

Enfant au « narcissisme conquérant », selon Freud, qui était lui-même le chouchou de sa mère. Il est survalorisé et son « estime de soi », si elle est bonne peut se révéler instable, car dépendante du regard de ses parents.

De plus, cet enfant préféré risque de se conformer aux exigences parentales et de vivre dans la crainte de décevoir, d’être détrôné. Il affirmera donc peu ses préférences au risque de s’oublier, de se sentir redevable et de ne pas prendre son autonomie, de ne pas vivre sa vie comme il le souhaite. Il peut aussi ressentir de la culpabilité vis-à-vis de la fratrie.

Enfant, il est tour à tour marginalisé, stigmatisé comme le chouchou et instrumentalisé par ses frères et sœurs pour obtenir ce qu’eux n’obtiendraient pas.

Et la fratrie, comment vit-elle ce favoritisme ?

« Y en a que pour mon frère », « C’est toujours moi ! », « Tu passes tout à ma sœur ! », « tu l’aimes plus que moi ! », « Toi, t’es le chouchou » sont quelques-unes des réflexions qui devraient vous alerter sur vos comportements.

Ces enfants-là, avec qui on vit moins en connivence, taisent leurs émotions, car comment dire sa souffrance lorsque l’on se sent mal aimé par un parent sensé vous apporter la sécurité affective et vous protéger ? Quand ceux-ci vous renvoient à votre culpabilité ou votre colère en vous assommant de « ne sois pas si jaloux ». Les petits et grands connaissent bien les signes du favoritisme. Le nombre de photos est un bon indicateur. Les réponses différentes aux sollicitations, la part de gâteau la plus grosse et la petite babiole sont toujours pour le même. Les comportements, les échecs du favori sont reprochés au(x) frère(s) et sœur(s). Quand devenu adulte, votre chambre se transforme en débarras, alors que celle de l’autre est bichonnée comme une relique.

Certains enfants portés par le besoin d’obtenir de la reconnaissance feront de brillantes études et une belle carrière. Ces enfants dispensés des attentes parentales seront plus libres de mener la vie qu’ils veulent.

En prendre conscience, pour équilibrer les relations

Les parents, qui eux-mêmes, ont souffert de cette préférence pour un frère, une sœur semblent être plus conscients et donc être plus attentifs à ne pas reproduire ces comportements avec leurs enfants.

En prenant conscience de la préférence, nous évitons le rejet et/ou le déséquilibre affectif. Prendre conscience des inégalités permet de prendre des mesures pour équilibrer les relations et ne pas altérer la reconnaissance, l’attention et l’affection à apporter à chacun.

Identifiez votre chouchou et les raisons qui en font votre préféré.

Reconnaissez les qualités de vos autres enfants et regardez-les de manière positive, cela les aidera à s’épanouir et à se développer. Partagez votre temps de façon équitable ! Envoyez-leur une invitation pour un moment d’exclusivité : ciné, balade, resto, exposition… cela recentre la relation. Vous focaliserez votre attention sur l’enfant et le redécouvrirez. L’enfant profite d’un moment sans jalousie, sans concurrence. Il stocke ces instants dans sa mémoire et ceux-ci consolident son sentiment d’appartenance.

Ne matérialisez pas votre partialité par une plus grande sévérité et un parti pris systématique, « C’est ta faute, si ta petite sœur pleure », vous pourriez très vite devenir maltraitant.

Laissez-le exprimer son vécu, sans le culpabiliser, expliquez-lui que vous aimez chacun d’eux différemment. Les enfants peuvent entendre ce message, car ils sont des personnes uniques. « Mais si, je t’aime ! », ne les rassure pas, lorsque rien ne change !

Surmontez votre exaspération par rapport aux comportements qui vous irritent, il y a fort à parier que les bêtises sont des demandes de réassurance affective, par rapport aux ressemblances avec cette personne que vous ne supportez pas. Mettez-vous à son écoute, restez centré sur ses besoins plutôt que sur une égalité parfaite.

Valorisez leurs comportements au moins une fois par jour.

Si vous n’y arrivez pas, faites-vous aider, ne restez pas dans la culpabilité et la souffrance de cette situation. Un professionnel ne vous jugera pas, il sera là pour vous aider à construire une relation parentale respectueuse et suffisamment bonne pour le développement de votre enfant.

L’amour ne va toujours de soi, il ne se commande pas...

(1) Jeffrey Kruger, the Sibling Effect

(2) Le désamour, de la maltraitance à la résilience, Leïla Zaoui, édition Michalon, 2016

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