Une expo porno à l'ULB : du marquis de Sade au crypté sur Canal+ jusqu'à la génération Jacquie et Michel
Aujourd'hui, le porno est omniprésent et accessible en quelques clics sur le web. Alors pourquoi vouloir le censurer et en faire un sujet tabou ? C'est la réflexion des organisateurs de l'expoPorno à l'ULB. Interview.
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Publié le 19-10-2018 à 14h53 - Mis à jour le 19-10-2018 à 15h23
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Aujourd'hui, le porno est omniprésent et accessible en quelques clics sur le web. Alors pourquoi vouloir le censurer et en faire un sujet tabou ? C'est la réflexion des organisateurs de l'expoPorno à l'ULB. Interview.
L'expoPorno a débuté à l'ULB (Salle Allende, campus du Solbosch) et se terminera le 22 décembre. Pour les organisateurs, le meilleur moyen de lutter contre les dérives liées à l’industrie pornographique, c'est d'en parler, de la montrer et de l'expliquer. Si le nom donné à l'exposition ne peut pas être plus explicite, il en va de même pour les objets, les textes, les photos, les vidéos et les œuvres exposées.
Pour les commissaires de l'expo', le porno est un reflet de notre époque, "une manière particulière de voir la société" et doit être un moyen d'éduquer les jeunes à leur sexualité.
L'expoPorno offre donc une approche scientifique, artistique mais aussi ludique et lucide de la pornographie. Elle est aussi surprenante qu'interpellante, et nous pousse à nous interroger sur notre rapport au porno et à ce qu'il dit de notre société.D'ailleurs, elle s’adresse à un vaste public, notamment aux étudiants et aux étudiantes, mais aussi aux élèves des deux dernières années du secondaire, aux gens des plannings (familiaux), aux éducateurs… "à qui il faut parler de sexualité. Il faut dédramatiser et apprendre aux jeunes à se construire un imaginaire érotique et pornographique". D'où la nécessité que la société évolue pour mieux éduquer les jeunes au porno et à leur sexualité.
Interview sans tabou avec Laure Rosier-Van Oothegem , l’une des commissaires de l’événement, par ailleurs professeur à l’ULB.
Tout d'abord, pourquoi une exposition sur le porno ?
Nous sommes partis de deux constats. D'abord, le fait que les ados découvrent souvent leur sexualité par le porno et s'y interrogent, ce qui crée donc une demande sociale implicite. Et d'autre part, cette volonté de censure et de contrôle de la part des parents, par exemple. Nous, en tant qu'universitaires, nous avons voulu nous étudier le porno comme une activité culturelle. Ici, c'est une rencontre d'intérêts universitaires pour apporter une réponse universitaire à un phénomène de société.

Exposer du porno à l'université est assez rare, doit-il y avoir sa place ?
Il faut savoir qu'il existe depuis 30 ans des "porn studies". Il s'agit d'un domaine qu’on étudie de façon interdisciplinaire à l’université. C’est donc un objet historique, un objet culturel, un objet économique, un objet artistique comme un autre finalement… Cela a donc tout à fait droit de cité dans une université. Le porno occupe une place non négligeable dans la société, il faut donc en parler et l'Université peut être le lieu pour.

Que peut-on voir lors de l'exposition ExpoPorno ?
Cette expo déconstruit la pornographie et son histoire contemporaine, qui est un exercice nécessaire, aujourd’hui plus que jamais. Nous avons voulu remonter dans l’Histoire et présenter une histoire de la pornographie, au-delà de la sexualité. La pornographie, c’est aussi l’histoire de la censure. Nous avons donc travaillé avec une historienne, un architecte spécialiste dans les rapports entre ville et plaisirs, et une spécialiste du cinéma. On traverse les époques, du porno crypté sur Canal Plus à la génération Jacquie et Michel d'aujourd'hui. Nous sommes partis du Marquis de Sade pour arriver à aujourd’hui, en interrogeant la littérature de l’époque, le droit de l’époque et en essayant d’illustrer avec des œuvres artistiques qui me semblent être une très bonne médiation pour illustrer la sexualité, la nudité, la pornographie.
Mais entre l'époque de Sade et l'ère du porno amateur d'aujourd'hui, il y a quand même pas mal de différences ?
Oui, bien entendu. Mais en fait, on parle toujours de la même chose, même si la signification et les effets ont changé. Sade pratique une pornographie qui est extrêmement politique et philosophique. Il y a un message qu’on ne retrouve pas dans les sites de "Jacquie et Michel", bien entendu, mais le cinéma pornographie a toujours existé, il a juste évolué et il est intéressant de parcourir son évolution, ce que nous avons essayé de faire lors de cette expo, toujours en lien avec les différents contextes sociétaux des époques en question.
Aujourd'hui, le porno est accessible à tous en quelques clics. L'objectif de l'expo est-il aussi de lui donner un côté ludique, en éduquant au porno sans tomber dans la censure à tout-va ?
Je crois que rendre coupable, c'est introduire quelque chose de biaisé dans la sexualité des plus jeunes. Il ne faut pas seulement censurer et prôner l'interdit, il faut aussi éduquer aux fantasmes et au plaisir. Dans les plannings par exemple, on dit toujours aux jeunes gens de se protéger pour ne pas attraper de maladies ou devenir parents trop tôt. Mais on devrait aussi leur parler de pornographie, leur dire que ce n’est pas grave d’en consommer, que ça fait partie de leur jardin secret qu’on devrait pouvoir le cultiver, en parler librement.

Peut-on dire qu'il y a un caractère ludique recherché ?
Oui, tout à fait. Nous voulons déconstruire ici la pornographie. Des psychologues nous disent que c’est très bien de porter ce sujet sur la place publique, au moyen d’une exposition, qui est artistique, même si il y a des choses très crues, très triviales et même très obscènes.
Le porno peut-il nous faire évoluer positivement en tant qu'individu et vis-à-vis de notre sexualité ?
Clairement et c'est déjà le cas d'ailleurs. Nous sommes entrés dans une logique de "post-porn", à savoir que le porno nous a permis de mieux nous comprendre personnellement. Par exemple, une fille ou même un homme va savoir par le porno qu'il y a un clitoris, où il se trouve, que l'ont peut jouir de différentes manières. Tout ça était inconnu à une autre époque, et ça restait tabou. Aujourd'hui, grâce au porno, il y a eu un accès libre qui a eu un impact positif, qu'il faut bien sûr encadrer. Au lieu de le proscrire et de le limiter, je pense qu'il faut justement plus de bon porno !

L'inauguration de l'expo a connu un énorme succès mercredi, où près de 1.500 visiteurs se sont rendus. Aimeriez-vous attirer des jeunes adultes, voire des adolescents ?
Oui, c'est un des objectifs et on en voit déjà beaucoup. Il faut vraiment montrer et expliquer la pornographie. Elle reste, vraiment le meilleur moyen de lutter contre les dérives liées à l’industrie pornographique. D'ailleurs, Éric Bidaud, un célèbre psychanalyste français, compare la pornographie au… cinéma d’horreur ! En effet, en voir ne pousse pas au crime tant qu’à un moment donné, il y a passage au symbolique dans le chef du jeune spectateur. Un jeune qui regarde un film X ne va donc pas participer ensuite à des gang bang ou éjaculer sur le visage des filles.
Cependant, le X peut aussi montrer une image biaisée du sexe s'il n'y a pas de discussions autour et peut pousser à des gestes parfois violents si certaines scènes sont reproduites. Quel est votre avis par rapport à ça ?
Tout d'abord, je pense que le porno est un réel reflet de la société. Ce qu'il montre et représente n'est pas du tout marginal et déconnecté de ce que l'on peut voir dans la société actuelle. Après, je pense qu'il n'est pas évident de parler de sa sexualité ou de ce que l'ont voit sur internet par les films X à ses parents. Le fait de dire "n'oublie pas de te protéger" est finalement assez facile et simpliste, bien qu'essentiel, mais les questionnements des jeunes vont bien au-delà, de part ce qu'ils voient et ce à quoi ils sont confrontés. Il manque vraiment d'outils aujourd'hui pour qu'ils en parlent et reçoivent des réponses. C'est pour ça qu'une exposition avec des œuvres d'art qui poussent à la réflexion et à la discussion comme la nôtre, on croît vraiment à la force de l'éducation par le porno et la réflexion.
