L’Opus Dei: Influence, financement, secrets et sacrifices corporels (2/2)
Alors que le Conclave a débuté et que certains observateurs estiment que l'influence de l'Opus Dei est très importante au Vatican, LaLibre.be a rencontré le porte-parole belge de l’Opus Dei. Voici la deuxième partie de l’entretien: discipline, influence politique, pouvoir au Vatican, financements, mythes et mortifications.
- Publié le 13-03-2013 à 11h31
- Mis à jour le 13-03-2013 à 00h12
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Alors que le Conclave a débuté et que certains observateurs estiment que l'influence de l'Opus Dei est très importante au Vatican, LaLibre.be a rencontré le porte-parole belge de l’Opus Dei, Stéphane Seminckx, afin qu’il nous donne sa vision de cette prélature personnelle de l’église catholique: fondateur, histoire, organisation interne, discipline, influence politique, pouvoir au Vatican, financement, mythes et mortifications.
Voici la deuxième partie de l’entretien (Cliquez ici pour la première partie):
Le siège central de l’Opus Dei est à Rome, comme celui des autres courants catholiques. Quel lien avez-vous avec le Vatican et les autres ordres religieux ?
Nous avons des contacts avec le Saint-Siège, la Curie et avec les autres entités de l’Eglise.
Même avec les Jésuites, dont on sait que les relations sont très difficiles ?
C’est une question délicate. A la création de l’Opus Dei, l’idée que la sainteté était pour tous a heurté certains religieux. Ils se sentaient menacés par la ligne de l’Opus Dei, soit bien avant le Concile, comme si on allait leur enlever des candidats ou comme si on disait que la vie religieuse n’était pas ce qu’il y avait de meilleur. C’est déplacé, car le fondateur Josémaria, a toujours défendu les ordres religieux. Parmi ces frustrés, les Jésuites étaient en première ligne et ont mené un combat contre cette idée de sainteté au milieu du monde. Mais tout cela est du passé et oublié…
Au sein du Conclave pour élire le Pape, il y a 2 cardinaux Opus Dei dont un électeur. Pas de quoi bouleverser les votes ?
De fait, je ne crois pas en une influence importante, car notre présence reste modeste tant dans ce Conclave et qu'au sein de la Curie. Je pense aussi qu’on regarde trop cette élection sous un œil politique, même si je ne suis pas né de la dernière pluie, je doute qu’il y ait de véritables influences, lobbys,… Cette dimension politique doit exister, mais la prière et la recherche de l’inspiration de l’Esprit saint doit l’emporter dans cette élection. Ne réduisons pas l’Eglise à cela, même si un jeu légitime doit exister.
L’Opus Dei espère un Pape très conservateur ?
Nous avons 90.000 membres, dont 300 en Belgique, et - sans doute - autant de préférences. Nous n’avons pas de candidat unique. Puis, je n’aime pas qu’on réduise l’Eglise à ses ailes progressives ou conservatrice. Nous devons être fidèles au Christ.
Est-il vrai que l’Opus Dei compte une ancienne ministre travailliste en Grande-Bretagne et une sénatrice de gauche en Italie, soit 2 personnalités politiques progressistes?
Tout à fait. Et du temps de Franco, il y avait aussi les pour et les contre.
Parlons financements. Votre grand siège américain de New York (photo ce-dessous) est évalué à 69 millions de dollars, ce qui aurait nécessité 18 ans de donations et l’apport d’un gros don d’un groupe pharmaceutique. Vous confirmez ?
Sincèrement, je l’ignore.
Je retiens une particularité à ce bâtiment: les entrées et résidences sont distinctes pour hommes et femmes. Pourquoi ?
Partout à l’Opus Dei nous avons cette distinction. La raison fondamentale est que le fondateur l’a vu de cette manière. Puis, vous n’allez pas faire vivre ensemble des hommes et des femmes qui se sont engagés au célibat. Inutile de vous faire un dessin...
Vous demandez une participation financière à vos membres. Combien donnent-ils à la prélature ?
Certains de nos centres appartiennent à des coopératives, dont les membres peuvent acheter des parts sociales. C’est habituel chez nous de donner la responsabilité financière et juridique aux membres. Pour ces initiatives et la gestion normale de la prélature, les numéraires (membres laïcs célibataires) vivent sobrement – ils ne mettent pas des sandales comme les Franciscains mais sont habillés comme vous – et ils donnent à l’apostolat ce qui leur reste. Quant aux surnuméraires (membres mariés), ils donnent chaque mois ce qu’ils veulent et ce qu’ils peuvent. Certains donnent peu, d’autres beaucoup. Le chômeur donnera moins, le gagnant du Lotto donnera un paquet.
Vous dites donc qu'il n'y a pas de montant fixe ou de pourcentage du salaire net de chaque membre.
C'est bien ça.
Le journaliste John Allen évalue à 2.8 milliards de dollars la fortune mondiale de l’Opus Dei. Ce qui, selon ses nombreuses recherches, est peu par rapport à d’autres courants…
C’est comparable à un diocèse modeste selon lui. Mais j’ignore comment il a calculé cela et s’il y intègre des initiatives de surnuméraires, telles que les écoles.
Dans ce qu’on appelle parfois votre guide de référence, Le Chemin, Josémaria Escriva tenait beaucoup à la discrétion. Il écrivait : « le monde est plein d’incompréhensions égoïstes ». Cette forme de paranoïa a longtemps donné l’impression que l’Opus Dei était très secret, ce qui a renforcé l’impression de secte. N’est-ce pas là une erreur de communication énorme?
Il a recommandé la discrétion au tout début, vu l’idée révolutionnaire de ‘sainteté pour tous’. Mais le statut a évolué et a forcé la communication à évoluer. Il aura fallu attendre la prélature personnelle en 1982, qui respecte entièrement la vision de Josémaria. Cette décision est importantissime, car elle reconnaît que les laïcs recherchent la sainteté au milieu du monde. A partir de là, on a pu revendiquer ce que nous étions fondamentalement.
Et la discrétion d’avant 1982 a fait que vous étiez taxés de ‘secte’. Certains maintiennent encore cette idée de 'secte au sein de l'Eglise'.
Oui, j’ai aussi entendu qu’on disait cela d’autres institutions religieuses apparues après nous.
Le roman ‘Da Vinci Code’, qui diabolise l’Opus Dei dans un vaste mélange de faits véridiques et fictifs, vous a finalement contraint à davantage d’ouverture et de transparence ?
Oui, nous sommes parvenus à transformer le citron... en limonade, une chose amère en boisson agréable. Notre stratégie était de sortir dans la rue pour expliquer ce que nous sommes au lieu d'attaquer le film et le roman.
L’Opus Dei y est représenté par un moine, ce qui n’existe pas chez vous. Il y a d’autres erreurs factuelles ou exagérations.
Clairement, ce film est ridicule. Au moment où Tom Hanks explique à Audrey Tautou qu’elle est la descendante du Christ… la salle éclate de rire, tellement c’était grotesque.
L’Opus Dei exerce un grand contrôle sur ses membres : contrôle des allers et venues, des relations, des programmes télé visionnés et des dépenses. Plus incroyable encore, il n'y a pas de confidentialité de la correspondance, des responsables peuvent ainsi ouvrir le courrier des membres. Tout cela soulève de nombreuses questions sur les liens de contrôles psychologiques entre membres ? N’y a-t-il pas de place à la moindre intimité ?
Tout ce que vous dites a existé au début, par imitation d’autres ordres religieux et pour aider les jeunes à gérer la communication épistolaire. Par exemple, les aider à rédiger une lettre qui ne heurte pas. Mais cela a radicalement été supprimé, car cela ne répond plus aux exigences de notre époque. Et, comme vous le dites, cette aide était perçue comme un contrôle ou un abus.
Ça n’existe plus, vraiment?
Même si nous le voulions, ce serait impossible à notre époque.
Certains témoignages d’anciens membres évoquent pourtant "une pression psychologique atroce", "un repli sur soi et sur ses propres faiblesses", "un enfer" même. Vous entendez ces témoignages ? Ces gens qui ont souffert en pensant à tort trouver la « voie à suivre » dans l’Opus Dei.
Oui, quelqu’un qui ne persévère pas dans l’Opus Dei peut avoir une blessure. Je comprends cela, et je prie pour eux. Mais si vraiment nous étions comme cela, personne ne tiendrait. De plus, c’est contradictoire avec le cliché de l’élitisme. Si nous étions tous si doués ou intelligents, accepterions-nous de vivre dans un établissement contrôlé où nous ne serions plus que des pantins.
La séparation avec la famille et la distance mise entre les membres numéraires et ses proches n’est-elle pas excessive ? C'est une critique récurrente sur l’Opus Dei… Vous avez analysé ce problème ?
Oui, nous ne faisons pas tout bien dans l’Opus Dei. Nous sommes des pêcheurs. C’est l’évidence même, comme dans toutes les familles en définitive. Mais, si je vous dis que je vais voir ma mère toutes les 2 semaines, c’est sans doute plus que beaucoup de gens…
Sans doute. Mais pourquoi tant de problèmes relationnels apparaissent-ils quand une personne devient 'numéraire', soit un laïc célibataire qui vit dans une résidence de l'Opus Dei ?
Rester laïc et célibataire est peu compréhensible et accepté en Belgique, surtout si c’est une fille. Si l’enfant va dans un ordre, on comprend, même si ce n’est pas toujours facile socialement. S’il se marie, on comprend aussi. On a vu des parents condamner le choix de leur enfant ‘surnuméraire’, mais pas celui de leur autre enfant ‘numéraire’. Certains disent même « L’Opus Dei m’a arraché mon enfant ! ». Faut pas pousser bobonne… Aimer ses parents, c’est un commandement de Dieu.
Enfin, vous l’indiquez en première page de votre site internet, l’Opus Dei pratique la mortification, ce qui signifie « s'imposer une souffrance physique pour progresser dans le domaine spirituel ». Ce genre de sacrifice corporel interpelle, même si on est loin de la caricature du film ‘Da Vinci Code’ avec le sang qui gicle sur les murs.
Oui, dans le film, c’est absurde et n’a rien à voir avec ce que nous vivons.
Soyons concrets. Dans le livre ‘Chemin’, Escriva demande à ses membres « d’aimer, de bénir, de sanctifier et de glorifier la douleur ! » Vous admettez que c’est difficile à comprendre quand on est extérieur à l’œuvre ?
Difficile à comprendre??? Que le Christ ait été condamné à mort, flagellé, couronné d’épines et crucifié ? Alors, ça fait 2.000 ans que c’est difficile à comprendre. Cette dimension de souffrance et de mort fait partie de la vie de disciple chrétien. La mortification, c’est faire mourir en soi tout ce qui est pesanteur dans sa personnalité et qui m’empêche de m’élever vers Dieu, tel que l’égoïsme, le péché. Ces actes de mortification permettent de s’identifier au Christ, au même titre que le jeûne du Carême. Je ne peux pas vivre avec le Christ si je ne souffre pas avec lui.
Concrètement, le cilice (photo ci-dessus) est une petite ceinture métallique qui pique la peau. Vous l’attachez de manière serrée – et donc douloureuse – à la cuisse. Tout le monde pratique cela ?
Non, les surnuméraires ne font et ne vivent pas cela. Je crois même qu’ils n’ont jamais vu de cilice. Clairement, une mère de famille ne fait pas cela. Sa charge quotidienne est suffisante…
Quand utilisez-vous le cilice et comment ? Ça peut aller jusqu’à saigner ?
On le met environ 2 heures par jour, mais c’est presque rien. Celui qui fait un régime ou du body building souffre dix fois plus que moi avec mon cilice. Ça pique juste un peu… je ne fais qu’un tout petit quelque chose de très modeste. C’est moins douloureux que pour le Christ, mais je ne cherche pas non plus à l’imiter.
Puis, il y a des coups de fouets… petit fouets, certes.
On fait cela dans un endroit discret afin d’être en communion avec le Christ. Mais nous n’avons pas le monopole de cela. Paul VI employait un cilice. D’ailleurs, nous achetons cela à d’autres ordres. Cela ne se vend pas au Carrefour…
Vous rigolez, mais vous comprenez que ça interpelle les gens ?
Évidemment, car la passion du Christ est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Païens… et vu qu’il y en a beaucoup, ça reste une folie. Certains voudraient vivre et triompher avec le Christ sans mourir ou souffrir avec lui. On ne peut pas sauter les pages de la passion, comme disait le Cardinal Danneels. La mortification fait totalement partie de notre choix d’amour… comme un marié embrasse sa femme tous les jours. C’est de l’amour.
Enfin, vous dormez parfois par terre, sans matelas…
C’est du même ordre, une petite mortification réservée aux numéraires. Ce n’est pas de l’héroïsme.
Entretien: Dorian de Meeûs
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