Les étranges calculs des stations de ski pour gonfler leur taille
Comment mesure-t-on une piste de ski? A cette question simple, les stations européennes répondent par des calculs compliqués, qui leur permettent de gonfler de 34% en moyenne la longueur de leurs pistes, voire, pour certaines, de la doubler, selon une étude allemande.
- Publié le 22-09-2013 à 09h03
- Mis à jour le 26-09-2013 à 05h23
Comment mesure-t-on une piste de ski? A cette question simple, les stations européennes répondent par des calculs compliqués, qui leur permettent de gonfler de 34% en moyenne la longueur de leurs pistes, voire, pour certaines, de la doubler, selon une étude allemande.
La France a été l'hiver dernier, pour la deuxième année consécutive, la première destination mondiale pour le ski, devançant les Etats-Unis et l'Autriche, selon l'organisation professionnelle Domaines skiables de France (DSF).
Les stations de ski françaises ont enregistré 57,9 millions de journées-skieurs, un chiffre en hausse de 4,9% sur un an, selon DSF.
Mais le site des 3 Vallées, plus grand domaine skiable au monde, dans les Alpes françaises, compte 493 km de pistes et non les 600 km affichés, soit une exagération de 22%, selon une étude réalisée par le consultant allemand Christoph Schrahe.
Le domaine franco-suisse Les Portes du Soleil revendique, lui, 650 km de pistes contre 425 km en réalité (+53%) et Les deux Alpes, côté français, 228 km au lieu de 134 km (+70%).
Pour certaines stations, l'écart va du simple au double: Les 4 Vallées (Suisse) avec une exagération de 151%, Les Sybelles (Alpes françaises) avec 120% ou Isola 2000 (Alpes françaises) avec 123%.
Pour arriver à ces résultats, Christoph Schrahe, qui s'intéresse à la question depuis trente ans, a passé "au moins 1.000 heures" à numériser et mesurer des pistes de ski en utilisant le logiciel Google Earth, a-t-il indiqué à l'AFP.
D'après ses calculs, la surenchère est une pratique généralisée en Europe. Rares sont les stations à publier des chiffres conformes à la réalité.
Publicité mensongère ?
La publication de cette étude a déjà conduit l'Association autrichienne des remontées mécaniques à émettre une recommandation demandant aux stations de refaire leurs calculs.
Dans la foulée, la station d'Hochzillertal, dans le Tyrol, a abaissé la longueur de ses pistes à 88 km, contre 181 km auparavant.
Les stations françaises interrogées par l'AFP dissimulent mal leur embarras quand on leur demande d'expliquer leur méthode de comptage.
Certaines refusent de répondre malgré plusieurs sollicitations. D'autres entretiennent le plus grand flou quant à la méthode utilisée.
"Cette étude nous pose question", reconnaît Marie-Noëlle Turc, directrice marketing de Serre Chevalier (Alpes françaises).
"C'est un sujet qui doit nous conduire à vérifier ce sur quoi nous communiquons pour offrir au client l'information la plus juste possible", ajoute-t-elle. Sa station, qui revendique 250 km de pistes contre 156 km en réalité (+60%), a entrepris de recalculer la taille de son domaine skiable cet hiver. Idem aux Portes du Soleil qui affirme être "en plein comptage des pistes" et ne pas pouvoir communiquer plus avant.
La station des Sybelles avoue que "certains tronçons sont comptabilisés plusieurs fois" sans préciser dans quelle proportion.
Quant au domaine des quatre Vallées, il n'hésite pas à prendre en compte certains "hors-pistes sécurisés" dans ses calculs et les considère même "comme plusieurs pistes" du fait de leur largeur, selon une porte-parole.
Au Grand Massif (Alpes françaises), on reconnaît d'emblée que les 265 km affichés ne correspondent pas au "kilométrage linéaire" qui est lui de seulement 172 km, soit une exagération de 56%.
Pour sa défense, la station affirme que "personne ne skie tout schuss" et qu'il faut donc augmenter la longueur de piste du nombre de virages effectués par un skieur qui zigzague dans la descente.
Quand un skieur "tout schuss" parcourt 20 mètres, le skieur en zigzag effectue 31,4 mètres, calcule la station, qui augmente donc ses chiffres en conséquence.
"Il y a eu une volonté ces dernières années d'être toujours plus grand et plus gros. C'est ridicule", regrette Vincent Lalanne, directeur des 3 Vallées.
Estimant que cette étude "a le mérite de poser le problème", M. Lalanne plaide pour "une mesure commune à tout le monde".
Un projet de recommandation en ce sens doit être débattu la semaine prochaine au sein de l'organisation internationale des stations de ski, la FIANET.
"La France n'a rien à perdre, c'est nous qui avons les plus grands domaines skiables", plaide Laurent Reynaud, délégué général de Domaines skiables de France.
Car "pour le consommateur, ce n'est pas forcément très simple de s'y retrouver", reconnaît-il.
"Certains avocats pensent que cela pourrait être considéré comme de la publicité mensongère", estime même Chris Gill, rédacteur du guide anglais "Where to ski and snowboard?"