Lors d'une opération, la panique du cheval n'est pas sans risque
Dans le Limbourg, une clinique soigne des chevaux venant du monde entier, dont ceux de princesses arabes. Pour la série "Dans le secret des lieux", LaLibre.be y a assisté à une opération. Le déroulement est saisissant. Quant à l'animal, il parait par moments si fragile. Reportage d'ambiance richement illustré.
- Publié le 05-04-2015 à 11h22
- Mis à jour le 09-12-2017 à 13h23
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A perte de vue, les pâturages dessinent le paysage. Les prairies ne sont entrecoupées que par quelques zones boisées, rangées d’habitations et autres fermes. C’est dans ce décor du Limbourg, dans l’entité de Lummen, qu’a été construite l’an dernier une clinique spécialement dédiée aux équidés. Paré d’une bonne réputation, Equitom soigne des chevaux du monde entier. "Ça peut être les animaux des voisins comme ceux venant de pays limitrophes ou même des Etats-Unis, d’Afrique du Sud, d’Abu Dhabi… Nous recevons même ceux de princesses arabes", souligne Kadidja Essaheli, chargée du management de l’institution.
Chirurgie, orthopédie, médecine interne, imagerie médicale : de nombreux services sont proposés. Ce domaine de 14 hectares fait la fierté du chirurgien Tom Marien, qui l’a imaginé à son retour des Etats-Unis, où il avait poursuivi sa formation après des études à Gand. "Quand j'ai voulu installer ma clinique en Belgique, j'ai pris le point le plus central à proximité de nombreuses autoroutes et c’était à Lummen. Ici, je suis au carrefour entre l'Allemagne, la France, les Pays-Bas, le Luxembourg mais aussi le Danemark, la Suède, etc.", détaille le quadragénaire, dans un français teinté d’un soupçon d’accent flamand.

L’opération qui l’attend en cette fin de matinée est routinière. Il arrive qu’il en enchaîne huit de la sorte en une journée. "Comme un jeune cheval sur trois, cet animal est atteint d’ostéochondrose dissécante. Il a grandi trop vite, la minéralisation des os n’a pas suivi, ce qui fait que des fragments d’os se détachent au niveau du grasset, qui est l’équivalent du genou chez l’homme. Il faut enlever ces morceaux sinon ils vont irriter l'articulation, causer de l’arthrose et le cheval va boiter", décrit le médecin.
Les claquements des sabots contre le sol se font de plus en plus intenses, jusqu’à ce que Marcotique et ses propriétaires apparaissent dans le grand hall. "Nous l’avons acheté il y a une dizaine de jours et nous avons vu sur les radiographies qu'il avait ce problème. Mais nous ne sommes pas stressés, il s’agit d’une opération banale", signalent les deux jeunes Namurois.
"Bon, on va y aller", lance Tom Marien. "Dans le box, on donne toujours un petit calmant. Maintenant, on va en donner un deuxième, beaucoup plus fort." Quelques secondes plus tard, les effets se font sentir. Marcotique semble sonné. Sa tête tombe, ses pattes vacillent, plient. Une injection dans le cou viendra à bout de la résistance de la bête qui, poussée contre le mur par le chirurgien et trois assistantes pour amortir la chute, finit par s’écraser contre le sol dans un bruit sourd.

"Le box est complètement capitonné pour éviter les accidents car, chez les animaux, on peut avoir des réactions inverses : lorsqu'on injecte des produits pour endormir, parfois, ils s'excitent. Si un cheval de 500-600 kilos comme celui-ci s'excite, mieux vaut sortir car c'est très dangereux pour lui-même et pour nous. Certains mordent, d'autres tapent. Il suffit d'un bruit, même léger, et les chevaux ont peur, ils sautent et peuvent tomber", détaille Tom Marien, qui a d’ailleurs déjà subi quelques blessures.
Des cordes, reliées à un crochet, sont fixées à chaque patte afin de soulever le mammifère endormi jusqu’au bloc opératoire se trouvant dans la pièce voisine. A l'aide d'un treuil, les 500 kilos se hissent en douceur dans un bruit de roulement mécanique. Posé sur la table d’opération, les quatre fers en l’air, l’animal est ligoté. Un tube projetant du gaz anesthésique est fixé entre ses dents.

Une fois que Marcotique a été rasé, désinfecté, muni de ses bas de contention, Tom Marien pénètre dans la salle et se lave les mains et avant-bras trois minutes durant. La veste et les gants sont enfilés, le matériel est installé : l’opération peut débuter. "Je vais commencer par une incision de 3 mm pour rentrer une caméra qui permet d'inspecter l'articulation. Ensuite, je vais réaliser une deuxième incision pour insérer les instruments afin de détacher et enlever les fragments d’ostéochondroses", détaille-t-il avec minutie.
Rivés sur l’écran, les yeux du chirurgien clignent à peine. "L’image est largement agrandie pour pouvoir observer les détails. Tous les poils que l’on voit, c'est de l’inflammation à enlever", précise-t-il. De temps à autre, des craquements retentissent. C’est que le médecin s’est muni d’une pince pour arracher un bout d’os ou d’une curette pour lisser les fragments trop irréguliers.
Le tout se déroule sous le regard des propriétaires de l’animal, qui suivent l’opération avec la plus grande attention, au cœur même du bloc. Tom Marien explique la logique : "Généralement, tout se passe derrière des portes fermées mais, ici, nous avons une attitude très ouverte. Cela leur permet de comprendre la pathologie et d’analyser les soins apportés. D’ailleurs, lorsque des propriétaires ne peuvent pas venir jusqu’ici, j'enregistre l'opération en vidéo et je leur envoie la clé usb".

A plusieurs reprises, un assistant tapote les yeux de l’équidé afin d’évaluer la profondeur de l'anesthésie. "Il doit toujours garder un réflexe, il ne faut donc pas l’endormir trop profondément", explique Mario Delcazo, anesthésiste originaire d'Espagne. "A l’inverse, s’il commence à se réveiller, je dois immédiatement augmenter la dose car il ne peut surtout pas bouger pendant l'opération", poursuit-il, entre les bips de l’électrocardiogramme et les espèces de longues aspirations de la machine à anesthésie.
"Eh bien voilà, cette patte-ci me semble bonne. Je vais la recoudre avec deux petits points qui ne laisseront pas de cicatrices", affirme Tom Marien avant de demander aux personnes présentes de quitter la salle afin de prendre une radiographie de contrôle. "L’image montre que tout est bien lisse. Nous allons pouvoir passer au grasset droit, qui est en plus mauvais état."

Une bonne heure après le début de l’intervention, l’arthroscopie touche à sa fin. L'inhalation de gaz est progressivement réduite. "D’ici 10 à 40 minutes, il va se réveiller", évalue le chirurgien. "Cet après-midi, il sera juste encore un peu endormi mais il ne se rendra compte de rien. Et, dès demain, il marchera comme si de rien n’était…", renchérit-t-il alors que le cheval est à nouveau hissé pour rejoindre la pièce du fond, qui sert de salle de réveil.

Allongé, Marcotique semble quasi amorphe. Seuls de légers hennissements ponctuels laissent présager un signe de vie. "Dans les minutes qui viennent, plus il reste couché, mieux c'est, car il doit récupérer", souligne Inge Schepers, vétérinaire assistante, tout en exerçant une pression sur son visage pour l'inciter à demeurer allongé. "Il ne peut malgré tout pas rester des heures dans cette position car la pression est trop forte sur les parties du corps qui reposent contre le sol et il risque de se blesser."
En entendant le cri ou le galop d’un autre cheval, les oreilles de Marcotique se redressent. "Les chevaux sont très sensibles les uns aux autres. Un jour, une mère était épuisée et n'avait plus la force ni la volonté de se lever. Elle donnait l'impression de vouloir en finir. J'ai donc été chercher son petit et elle s'est immédiatement redressée", se remémore Tom Marien avec émotion.
A l’ouïe d’un nouveau cri de congénère, Marcotique se lance dans une tentative de redressement. Les cordes fixées à son harnais et à sa queue, pour l’aider à supporter son propre poids, n’y peuvent rien, l’animal chute. Au deuxième essai, Tom Marien intervient directement en le maintenant contre la paroi capitonnée. Le cheval vacille. Le moindre hennissement le fait tanguer. Le bruit de ses pas, pourtant amorti par le tapis, souligne toute la puissance de cet animal qui semble pourtant, à cet instant, si fragile. Bien que titubant, petit à petit, Marcotique trouve ses appuis, ses esprits.

"Dans une telle situation, il faut le pousser contre le mur pour éviter qu'il ne tombe sur la tête et qu'il ne se brise pas la nuque", explique Tom Marien. "Lorsqu'un humain sort d'une salle d'opération, il sait où il se trouve. Un cheval est lui dans un environnement qu'il ne connait pas donc il ne comprend pas. Or, c’est un animal de fuite, il va donc paniquer et essayer de sortir. On a beau l'aider comme on peut, s'il panique, il faut parfois sortir car ce n'est pas sans risque. Il peut se casser une patte en tombant. Mais aussi blesser les autres. L’une de mes assistantes a déjà eu trois fractures de la hanche en se trouvant dans le box de réveil."
Lorsqu'il estime que Marcotique est apte à avancer, Mario Delcazo lui retire le harnais, le rassure en le caressant puis l’emmène dans un box. "C'est la même tendance que chez les humains : les évaluations vont de plus en plus vite. Les incisions deviennent de plus en plus petites, les animaux en souffrent de moins en moins. Leurs réhabilitations s'en ressentent", se réjouit Tom Marien, tout en s’apprêtant pour une nouvelle intervention chirurgicale.
Reportage : Jonas Legge
Photos : Johanna de Tessières