Chez Jean-Claude et Jérôme, c'est la vache qui décide quand elle veut être traite
Sur les hauteurs ardennaises, à Joubiéval (près de la Baraque de Fraiture), la famille Willem dispose d'une exploitation très moderne. Jean-Claude et son fils Jérôme travaillent en association avec des équipements dernier cri. Comment s'organise la vie à la ferme? En quoi la technologie vient-elle en aide à l'homme? Plongée - en images - dans les premières heures de labeur de nos deux agriculteurs.
Publié le 01-11-2015 à 12h01 - Mis à jour le 03-01-2017 à 19h55
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Sur les hauteurs ardennaises, à Joubiéval (près de la Baraque de Fraiture), la famille Willem dispose d'une exploitation moderne. Jean-Claude et son fils Jérôme travaillent en association avec des équipements dernier cri. Comment s'organise la vie à la ferme? En quoi la technologie vient-elle en aide à l'homme? Plongée - en images - dans les premières heures de labeur de nos deux agriculteurs.
Il est 7h. En ce mois d'octobre, le jour n'est pas encore levé mais les lumières de la maison, elles, sont déjà allumées. Nous nous trouvons sur les hauteurs ardennaises, dans le village de Joubiéval, situé à quelques kilomètres de la Baraque de Fraiture (nord de la province du Luxembourg). Si Jean-Claude Willem (58 ans) nous a donné rendez-vous à une heure si matinale, ce n'est pas un hasard: il est agriculteur et c'est à ce moment que débute sa longue journée de travail. "Certains fermiers commencent bien plus tôt, dès 5 heures. Nous pas mais on devrait aussi car du travail, il y en a", sourit d'emblée notre hôte du jour.
Mais pas le temps de plaisanter, ni même de déjeuner: Jean-Claude nous conduit directement vers les choses sérieuses. À bord de sa jeep, nous regagnons, par un petit chemin sinueux, son étable de traite qui se trouve 200 mètres plus haut. L'édifice est imposant et relativement neuf. Mais c'est une fois à l'intérieur que l'on se rend véritablement compte de la modernité des lieux.

Après avoir enfilé sa salopette dans le petit espace prévu à cet effet, Jean-Claude nous mène vers le point central du bâtiment, sorte de tour de contrôle, équipé d'un ordinateur. C'est là que l'on fait connaissance avec Jérôme (30 ans), l'un des trois enfants de la famille Willem. Celui-ci a décidé de marcher sur les trace de son père et, ensemble, ils travaillent en association. "Ça gueule de temps en temps, mais ça ne dure jamais longtemps", ironise Jean-Claude. Mais comme on va le voir, avoir un jeune à ses côtés dans ce genre d'exploitation, c'est un atout indéniable. Car la mission prioritaire de Jérôme, c'est de contrôler les données fournies par le pc.

Un ordinateur dans une ferme? Si l'idée pouvait faire sourire voici quelques années encore, le monde agricole a bien évolué et s'est mis lui aussi à l'heure des nouvelles technologies. Comme nous le détaille Jérôme, cela a bien des avantages. "Nous avons 160 vaches à traire. C'est très difficile de gérer une aussi grande quantité de bêtes avec la méthode traditionnelle [c'est-à-dire la traite avec pose manuelle d'un pot], c'est pourquoi il a fallu moderniser et nous avons investi dans deux robots voici près de 4 ans." Et Jean-Claude de préciser: "L'investissement a coûté 100.000 euros au total et nous avons reçu 10% d'aide. Il a fallu le temps que la machine se mette en route, mais à présent elle est bien lancée. Une chose est sûre: cette technologie révolutionne le travail de l'agriculteur." Si un fermier classique (sans robot) passera en moyenne une heure pour traire 45 vaches, chez les Willem, "la traite des 160 bêtes nous occupe si tout va bien 30 minutes le matin et 15 minutes le soir". Ce sont les fameux "robots" qui font le reste...
Si une vache ne convient pas, direction l'abattoir
Et concrètement, comment ça marche un robot de traite? Les vaches qui circulent librement dans l'étable ont toutes un collier équipé d'une puce électronique qui est en quelque sorte leur carte d'identité. De leur propre initiative, à la fois attirées par le tourteau qui les attend mais aussi désireuses de soulager leur pis, elles sont amenées chacune à passer par un petit couloir menant vers le robot. Un portique d'entrée permet de les identifier via leur collier. Une fois arrivées devant la mangeoire, elles se voient distribuer le grain en fonction de leur besoin et afin que leur rendement en lait soit maximal. Pendant qu'elles mangent, un système de laser repère les mamelles de l'animal et le pot de traite se met au pis, sans que l'homme n'intervienne. Tout se fait donc de manière automatique.
"Une vache doit attendre 6 heures avant de pouvoir repasser au robot", nous explique Jean-Claude. "Une a déjà essayé de passer 60 fois sur une journée car elle voulait du tourteau. Elle arrive alors jusqu'au robot, devant la mangeoire. Mais le système électronique est bien fait et repère, via son collier et le portique, qu'elle est passée endéans les 6 heures. Résultat: elle ne reçoit aucun grain et finit par laisser sa place à une autre."

Dans ce genre d'exploitation, ce qui compte, bien évidemment, c'est le rendement. Et via les données fournies par l'ordinateur, l'agriculteur est tenu informé de toutes les performances de ses vaches (nombre de passages au robot, litres de lait donnés, éventuelles bactéries dans le pis, nombre de vaches qui ne sont pas passées, bêtes en chaleur...). "Certaines ont des mamelles trop proches ou croisées. C'est un défaut génétique qui pose problème car le laser ne détecte qu'une mamelle et le robot n'arrive dès lors pas à traire la vache. On doit alors la placer dans une aire de séparation et on s'en occupe manuellement, pour aider le robot, en écartant les mamelles. C'est une perte de temps. Si on voit qu'une bête présente trop de défauts et n'a pas un bon rendement, elle devient une vache de réforme, c'est-à-dire qu'elle part pour l'abattoir."
On s'en doute, la sélection des bêtes est primordiale afin d'être rentable. Dès lors, tous les six mois, un spécialiste vient analyser une partie du cheptel de Jérôme et Jean-Claude afin de déterminer quel type d’insémination conviendrait le mieux à telle ou telle vache. Toutes auront des besoins différents: le choix varie en fonction du bassin, du pis, de la taille, de la nervosité... Avec toujours comme objectif final d'obtenir le meilleur veau possible à l'arrivée, car c'est lui qui prendra la relève.
Quid en cas de panne?
La technologie et l'électronique, c'est bien. Mais que se passe-t-il en cas de panne? "Touchons du bois, on n'a pas encore connu de gros bugs", confie Jean-Claude. "Dès qu'il y a un souci avec le robot, Jérôme reçoit un sms de la centrale d'appel qui se trouve dans une autre pièce du bâtiment. Si dans les 10 minutes, Jérôme n'est pas intervenu en répondant au message, c'est moi qui suis tenu informé, sur mon gsm, du problème. En général, nous parvenons toujours à nous en sortir. Et dans le pire des cas, un service de dépannage est disponible 24h/24."

Le matin, pendant que Jérôme vérifie les données de l'ordinateur et s'occupe des vaches récalcitrantes (c'est-à-dire celles qui ne sont pas passées depuis 6h ou qui ont connu quelques difficultés une fois au robot), Jean-Claude, lui, a pour mission d'aller changer le fil. "Mis à part en hiver où elles restent tout le temps à l'intérieur de l'étable, les vaches peuvent sortir en journée et changent quotidiennement de parcelle. C'est moi qui me charge de fractionner les champs à l'aide d'un fil électrique que je déplace tous les jours. De cette façon, je suis sûr qu'elles ont chaque fois de l'herbe à manger", précise le père de famille.

C'est vers 8h que le flux de vaches commence à gagner les champs. Mais attention, pour pouvoir sortir du bâtiment, les bêtes doivent franchir un portique qui ne les laissera passer que si elles ont été traites dans les six heures. Dans le cas contraire, elles sont invitées à retourner dans l'étable afin de repasser au robot. Une fois dehors, les vaches peuvent alors circuler librement dans les prairies, mais elles restent toujours à proximité de la ferme (maximum 800 mètres) afin de pouvoir facilement revenir se faire traire - et ce toujours de leur plein gré.

D'autres innovations technologiques
Chez Jean-Claude et Jérôme, la traite des vaches fait appel aux dernières avancées technologiques. Mais ce n'est pas le seul moment où la mécanique vient au secours de l'homme. En effet, d'autres améliorations notables sont à signaler. Ainsi, vu la grandeur des étables, un robot a pour mission de nettoyer les grilles sur lesquelles circule le troupeau. "C'est un peu comme les engins téléguidés qui tondent les pelouses. Ici, au moindre contact avec la vache, la machine va dévier de son chemin", explique notre jeune agriculteur.

Dans le bâtiment, les bovins ont aussi droit à leur petit confort avec la brosse électronique. La vache n'a qu'à remuer en dessous de l'appareil pour que celui-ci se mette en marche et brosse son dos. On notera encore que l'étable annexe (qui correspond à l'ancienne salle de traite de Jean-Claude) accueille des petits veaux. Comme leurs mères, ceux-ci disposent d'un collier qui va jouer un rôle déterminant. "En fonction de leur âge, ils se présentent devant une sorte d'abreuvoir avec tétine. Là, le mécanisme les a identifiés et sait la quantité de lait nécessaire à l'animal. Ce n'est donc plus l'homme qui dois s'amuser à faire les dosages", précise Jean-Claude.
Les mauvaises langues diront que dans ce genre d'exploitation, l'agriculteur n'a plus rien à faire. C'est bien évidemment faux. On a déjà vu que Jérôme s'occupait des vaches récalcitrantes vis-à-vis du robot et que Jean-Claude allait tirer le fil dans la prairie. Nos deux hommes, avec l'aide d'un ouvrier de 48 ans (Geza) qu'ils logent dans un petit appartement, sont également amenés à nettoyer les boxes individuels dans l'étable, là où le robot n'a pas accès. Et puis, il faut aussi alimenter le bétail. Pour ce faire, une mélangeuse (herbe + betterave) passe dans les allées verser la nourriture. Mais il faut ensuite repousser à la fourche le fourrage afin que les bêtes y aient accès. "On aimerait bien s'équiper du nouveau robot qui repousse le foin, ce serait pratique. Malheureusement ça a un certain coût. J'en ferai en tout cas mon prochain investissement", affirme le père de famille, tout sourire.

Une salle de fête... dans l'étable
Avant de redescendre à sa maison prendre (enfin) le petit déjeuner, Jean-Claude tient encore à nous présenter deux de ses investissements dont il n'est pas peu fier. Tout d'abord, il nous conduit à l'étage supérieur de son étable pour nous faire découvrir un local équipé d'une cuisine et avec vue plongeante sur la salle de traite. "Au départ, je voyais cet espace vide au-dessus des robots. Alors je me suis dit: pourquoi ne pas en faire une pièce dans le cadre d'une ferme pédagogique? Depuis, nous avons environ 5 visites par an (réunions de producteur, écoles...). Ce n'est pas beaucoup et ça pourrait marcher mieux. Mais il faudrait pour cela faire plus de publicité et surtout, avoir le temps de s'y consacrer. Ce n'est pas évident avec toutes les autres tâches agricoles. Mais cette salle, qui peut accueillir facilement plus de 30 personnes, n'est pas inutile pour autant: on y organise tous les anniversaires et fêtes de famille. "

Enfin, pour clore notre visite, Jean-Claude ne pouvait pas manquer de nous montrer son distributeur automatique de lait. Situé le long de la route, il permet aux automobilistes de s'y arrêter pour acheter du lait et des oeufs 24h/24. "Je suis tout de même un peu déçu", avoue notre agriculteur. "Je m'attendais à ce que ça marche mieux. Enfin, l'investissement de base, soit 31.500 euros, est à présent remboursé. Mais c'est difficile de faire du bénéfice. L'appareil demande en effet des frais d'électricité car il y a un système de frigo pour que le lait reste frais. Nous devons en outre ravitailler la cuve tous les jours (été) ou 2 jours (hiver)."

Et au niveau de la fréquentation? "Il y a des fidèles mais ce sont surtout des gens de passage ou des vacanciers qui logent dans les gîtes avoisinants. Ce qui est par contre regrettable, ce sont les actes de vandalisme", s'indigne Jean-Claude. "Nous avons déjà eu 5 dégâts depuis l'installation du distributeur. Souvent, les voleurs tentent de s'emparer de la caisse. Mais la dernière dégradation était totalement gratuite. Voici 7 mois, vers 21h, une voiture avec plusieurs passagers à bord s'est arrêtée et ceux-ci se sont amusés à balancer une énorme pierre sur l'appareil. Ma femme les a vus par la fenêtre et sans doute que eux aussi parce qu'ils ont aussitôt déguerpi".
Petit déjeuner et c'est reparti!
Vers 9h, nos deux agriculteurs peuvent enfin reprendre des forces. C'est l'occasion également de lire le journal ou prendre connaissance du courrier.

Après le déjeuner, les activités sont multiples. "Ce n'est pas le travail qui manque", témoignent nos deux hôtes. "Il y a toujours des clôtures à faire, il faut changer les taureaux, préparer la nourriture pour les vaches, soigner les bêtes et nettoyer les logettes, sans oublier les moissons et ensilages à la bonne saison..."
Mais ce mercredi, Jean-Claude et Jérôme ont autre chose de prévu: tandis que le paternel fait un peu de ménage avec les betteraves dans l'étable, le fiston prépare le tracteur et la remorque. Il est alors temps pour eux de nous quitter et d'aller aider un agriculteur voisin dans sa récolte. L'entraide, voilà ce qui fait certainement la force et la beauté de ce métier. Et dans un contexte économique qui ne leur est guère favorable, c'est ce qui permet aussi aux agriculteurs de tenir bon!

Reportage : Simon Legros
Photos : Michel Tonneau