La puissance érotique du rêve
Jusque-là, on croyait dormir paisiblement. Quand, soudain, ce rêve qui nous traque. De loin en loin, mais suffisamment fréquent pour nous être devenu familier.
Publié le 10-04-2016 à 13h25 - Mis à jour le 10-04-2016 à 13h30
Jusque-là, on croyait dormir paisiblement. Quand, soudain, ce rêve qui nous traque. De loin en loin, mais suffisamment fréquent pour nous être devenu familier.
Un peu comme toujours : dans un château baroque, avec des dédales de couloirs et d’escaliers, des rideaux rouge carmin et des personnages de cire ou de plâtre, comme lunaires et évanescents. Une femme, pas tout à fait étrangère, est revenue. On reprend la vie comme avant. Cette fois, c’est sûr, on la tient; elle nous appartient. Et puis s’en va, après l’amour pourquoi pas. On se réveille, épuisé, hagard, orphelin.
Mille scénarios différents s’égrènent et se succèdent ainsi d’une nuit à l’autre. Non sans qu’on parvienne quelquefois à en identifier l’une ou l’autre image subliminale, liée de préférence à d’infimes séquences vécues ou pensées la veille ou l’avant-veille, et susceptible, par "condensation" ou "déplacement", de nous ramener dans un lointain passé. Or peut-on, doit-on même pour bien faire, donner un sens à ces étranges rébus ?
Lorsqu’on croirait voir à travers ces mises en scène oniriques un deuil, une perte ou un échec, mais aussi une exclusion, une impuissance ou un inaboutissement, il s’avère que les grilles d’interprétation sont tellement multiples et complexes qu’on n’en aurait jamais trouvé le fin mot avant que le souvenir, peu à peu, ne s’efface et ne s’oblitère.
La clé des songes
Pour n’être certes pas le premier à déchiffrer le rêve, loin s’en faut, Sigmund Freud marqua assurément le tournant du XXe siècle en publiant, juste en 1900, moment prophétique qu’il ne pût mieux choisir, "L’interprétation des rêves" ("Die Traumdeutung") qui devait asseoir le magistère encore incertain de la psychanalyse. Dût-on le résumer en un mot, l’explorateur de l’âme humaine dit : "Le rêve est la voie royale d’accès à l’inconscient". Ayant considéré dès 1895, que le sens des rêves est un accomplissement de désir.
À l’égal des lapsus, des actes manqués ou des associations d’idées, le rêve devait transgresser l’impitoyable censure qui s’opère en nous - et en notre Surmoi - lorsque nous refoulons notre désir. Car, dit Freud encore dans "Sur le rêve" (1901), "l’analyse ramène la plupart des rêves faits par des adultes à des désirs érotiques". Et il n’évoquait pas là les rêves sexuels proprement dits, dont le contenu, généralement transparent, n’est nullement déguisé.
On sait assez que la toute-puissance libidinale de la théorie freudienne valut à son auteur la dissidence de quelques-uns de ses disciples. Peu avant 1914, il y eut celle, probablement la plus retentissante, du psychiatre et psychologue suisse Carl Gustav Jung qui, dans une démarche plus spirituelle, préféra promouvoir l’"inconscient collectif" et les "archétypes" au rang de fondamentaux communs à tous les peuples du monde.
Le rêve marchand
Un siècle plus tard, si la statue de Freud fut quelquefois sérieusement ébranlée et qu’elle n’est pas aujourd’hui complètement à terre, c’est parce qu’une partie de ses plus fidèles adeptes, lacaniens par exemple, ont entrepris de remettre à jour sa doctrine au fil du temps.
Le sexe même n’est aujourd’hui plus si tabou qu’au temps de la grande bourgeoisie un peu gourmée de la Belle-Époque viennoise. Il fallut donc adapter sa théorie à d’autres temps, et d’autres mœurs. Freud lui-même, faut-il souligner, prit à la longue quelques distances avec ses propres croyances originelles.
Mais il demeure que la lecture freudienne de l’omnipotente publicité de notre temps se prête toujours à merveille au décryptage de nos mobiles les plus anodins. Toute l’iconographie véhiculée par le marketing moderne en atteste à suffisance, jusqu’à plus soif. Le fantasme et la sublimation ne se sont jamais si bien portés.