La mémoire historique est-elle soluble dans les réseaux sociaux?

Elisabeth Clauss
La mémoire historique est-elle soluble dans les réseaux sociaux?
©PAPEGNIES OLIVIER

La nouvelle génération - quelle que soit la vôtre, ça colle, vous verrez - passe ses journées sur Facebook, Instagram, Twitter ou Youtube, pensant plus ou moins consciemment "s’informer". Chez les 18-24, 38 % des jeunes trouvent leurs principales sources d’infos sur leur smartphone, et 41 % via les réseaux sociaux. Cette manière d’appréhender la connaissance transforme le rapport à notre histoire commune. "Quid" a cherché à défricher le terrain.

"Les réseaux sociaux sont devenus dans plusieurs pays le principal canal déclaré d’information pour les adolescents, avant la télévision ou la radio", observe Julien Lecomte, chargé de communication à l’Université de Paix (fondée par Dominique Pire, Prix Nobel de la Paix en 1958). "Mais ils ne remplacent pas le cadre scolaire pour autant. Le problème, c’est que sur Internet, le récit historique se retrouve placé en confrontation avec des informations complotistes ou négationnistes, et que les médias sociaux nous encouragent à nous diriger vers l’information - ou la désinformation - qui nous arrange. C’est ce que l’on appelle ‘la bulle de filtres’, gonflée à la fois par notre subjectivité et les algorithmes qui décident de la variété des données qui nous sont mises sous les yeux".

Ne voir qu’un pan de l’histoire

Selon nos sphères d’intérêt, on ne verra plus que ce qui va dans notre sens. Le risque est d’arriver à une situation où on ne voit plus du tout passer d’informations contradictoires. "Même si on encourage les internautes à vérifier ce qu’ils lisent sur le Web, ils risquent de se diriger vers des sites qui les conforteront dans leurs opinions. On pense être objectif, mais par la force des choses, on n’a même plus la possibilité de l’être. J’ai pourtant tendance à relativiser l’impact des médias sociaux, qui s’inscrivent en général dans un contexte plus large. Si la mémoire historique se dilue sur Internet, c’est qu’elle se dilue dans les mémoires tout court."

Connaître le passé pour mieux pouvoir le transmettre

Richard Kleinschmager est professeur émérite de l'université de Strasbourg, spécialiste de géopolitique. Il décrypte la problématique de l'immédiateté des médias sociaux qui entre en collision avec le recul nécessaire à l'objectivité historique : "Le temps de l'Histoire, c'est la longue durée. Un historien doit travailler sur plusieurs temps de l'Histoire. Les réseaux sociaux, c'est l'instantanéité. Leur usage et finalité, c'est de délivrer un message 'à la minute'. Or l'Histoire ne peut pas travailler dans le présent pour le présent ». La mission de l'historien, c'est de mettre le passé en perspective dans le présent. En cela, il contribue à fabriquer ce présent.

L'historien ouvre des pistes de dialogues : "Il est difficile d'intéresser à l'Histoire des enfants qui sont passionnés par les chanteurs et les people. Mais c'est possible quand on crée des parallèles : par exemple, en expliquant qu'Hitler est arrivé au pouvoir par voie démocratique. Ça peut éclairer notre présent, et notre futur. J'ai foi en la nature humaine. En la capacité des gens à trier les informations. Il faut apprendre à filtrer, à multiplier les sources d'informations (...) Un des enjeux majeurs de l'éducation dans les décennies à venir sera le comportement sur Internet. Un enfant lâché sans repères sur la toile aura beaucoup de mal à se construire un cadre rassurant et instructif.

"Déjà en tant qu'adultes", poursuit-il, "nous devons apprendre à écouter ce que nous ne voulons pas entendre, ne serait-ce que pour nous fonder une opinion. Or, nous sommes fichés et piégés par des algorithmes, à visées principalement commerciales. On nous propose des lectures qui nous flattent et vont dans le sens des recherches virtuelles que nous avons encodées précédemment. Mais la pédagogie, ce n'est pas ça : c'est fabriquer des individus libres, capables de remettre en cause le lavage de cerveau de ce qu'Internet nous distille à partir de nos propres comportements. Se poser des questions, ça s'apprend. La plus importante que nous devrons nous marteler prochainement sera : comment rester libres face à Internet ?"

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