Drague et harcèlement : que peut-on accepter, jusqu'où peut-on aller aujourd'hui?
Après la lame de fond suite à l'affaire Weinstein, depuis #MeToo, le plus radical #BalanceTon Porc, avec les prises de parole publiques et clivantes aux Etats-Unis comme en France, beaucoup d'hommes et de femmes ne savent plus très bien comment se positionner par rapport à ces affaires et par rapport à l'autre sexe, à ce que l'on peut accepter... ou plus. Virginie Thunus, psychologue spécialisée dans les thérapies du changement, est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
Publié le 16-01-2018 à 11h40 - Mis à jour le 09-09-2019 à 21h34
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Après la lame de fond suite à l'affaire Weinstein, depuis #MeToo, le radical #BalanceTon Porc, avec les prises de parole publiques et clivantes aux Etats-Unis comme en France, beaucoup d'hommes et de femmes ne savent plus très bien comment se positionner par rapport à ces affaires et par rapport à l'autre sexe, à ce que l'on peut accepter... ou plus. Comment expliquer ce malaise qui s'est installé ? Va-t-on assister à la fin de la drague et à une auto-censure dans les rapports de séduction ? Virginie Thunus, psychologue spécialisée dans les thérapies du changement et la libération des dépendances, nous explique qu'il faut avant tout se faire confiance pour sortir des schémas enfermants. Virginie Thunus est l'Invitée du samedi de LaLibre.be.
Est-ce que vous comprenez cette demande de la part de certaines femmes à "une "liberté d'importuner", à une compréhension d'une "misère sexuelle" en plein débat post-affaire Weinstein ?
Je déteste, le mot n'est pas trop fort, je déteste toutes les extrémités. Et c'est ce que qui se passe avec toutes ces déclarations qui cristallisent la confusion. Ces débats-là sont clivants. Je comprends que cette tribune signée par 100 femmes vient pour contre-balancer un discours là aussi extrême avec le mouvement Balance ton Porc, notamment. Mais d'un côté comme de l'autre, on pousse jusqu'à une certaine forme de caricature et cela crée de l'incompréhension.
Quand un sujet est plus grand que soi, comme c'est le cas ici, on peut se sentir démuni. Comment réagir ?
Dans nos sociétés, actuellement, c'est vrai qu'il est difficile d'être clair dans ce que l'on veut dire et ce que l'on est capable de donner et d'accepter. Parce que les informations viennent de partout, qu'elles sont souvent anxiogènes, que les réseaux sociaux amplifient tout et que l'on peut être perdu et ne pas savoir comment se positionner. Je pense que l'important dans nos sociétés c'est d'être clair, la clarté permet de diminuer la peur et la colère. Quand on est sorti de cela, tout est absolument plus simple. "Je dois jouir avant mes 18 ans", "je dois avoir un orgasme à chaque fois", "je dois être un homme viril et montrer une part de féminité", "je ne dois plus tolérer la drague", "nous soutenons une liberté d'importuner" : comment ne pas tomber dans la peur d'être jugé(e) et dans la confusion quand on lit ces injonctions puis leur contraire ? La solution, c'est donc la clarté vis-à-vis de soi. Pour ce faire, je conseille souvent à mes patients de faire la différence entre impact et intention.
C'est-à-dire ?
Par exemple, un inconnu m'aborde en posant sa main sur mon épaule. Par rapport à mon mode de fonctionnement cela ne m'ira pas du tout, il y a impact. Mais si l'intention n'est pas mauvaise, vous le sentirez aussitôt et l'impact n'aura pas de prise. Ou alors la personne va peut-être sentir votre mouvement de recul et s'excusera directement. Par contre si l'action consiste à vouloir soumettre l'autre, l'impact ira plus loin, jusqu'au sentiment d'agression.
Beaucoup de femmes s'interrogent aussi : si on ne s'offusque pas d'être "sifflée" dans la rue ou d'un regard insistant, est-on "anti-féministe" aujourd'hui ?
Pour ma part, je ne considère pas cela comme une soumission au masculin, mais d'autres oui ! Ne pas oser affirmer son avis ou prendre position, cela a aussi à voir avec la peur d'être jugé. Or, l'être humain a une capacité terrible à culpabiliser l'autre pour asseoir sa propre volonté, son propre avis et ce faisant se rassurer sur sa position considérée comme la meilleure. Alors oui, c'est difficile de nos jours d'oser tenir sa position et, si on le fait, c'est comme si on devenait "extrême" et on est vite culpabilisé. "Je conseille souvent à mes patients de réfléchir en termes de "j'ai envie", "je peux", "je sais" plutôt que "je dois", "il faut", pour être au plus juste avec soi.
Mais au fait, la drague a-t-elle encore une place dans ce climat chaotique ?
La femme, toute indépendante qu'elle est, peut être heureuse d'être reconnue dans sa spécificité de femme quand cela a à voir avec un échange et non une atteinte à son genre. Je pense qu'il faut se faire confiance et y voir clair là aussi entre l'impact et l'intention. Et puis la drague et les rapports de séduction existent et continueront à exister comme toute relation entre deux êtres humains ! S'il y a rabaissement, non respect, il y aura lieu de réagir. Ecouter ses ressentis, c'est ce qui mènera à un apaisement des relations entre hommes et femmes.

Les hommes doivent-il faire plus attention avant d'exprimer leur désir ?
La clé, c'est évidemment le respect, de l'autre et de soi. Alors tout passe. Je le répète c'est l'agressivité, le non-respect de l'autre qui mènent à l'abus de pouvoir, à des gestes déplacés, à des paroles importunes qui ne sont plus tolérables pour les femmes. Si l'on se sent rabaissée, atteinte marquons-le clairement, par une parole ou un acte. Et puis, depuis la nuit des temps, culturellement, l'homme est considéré comme le chasseur et la femme comme la personne consentante ou au moins passive. Ce qui mène à la confusion entre expression du désir et domination masculine...
Comment voyez-vous évoluer les rapports entre hommes et femmes depuis quelques années ?
Il faut comprendre qu'entre hommes et femmes, nous sommes égaux mais pas identiques. Il y a une vision masculine des choses et une vision féminine. Refuser de prendre en compte cette différence, c'est du racisme, c'est ne pas comprendre le genre humain ! Ce qui n'empêche en rien de souhaiter ardemment l'égalité dans la répartition des tâches. Mais il y a encore du travail... La charge mentale qui plombe le quotidien de bien des femmes vivant en couple ne va malheureusement pas disparaître totalement parce qu'on en parle ! Mais cela avance...
Les hommes et les femmes parlent-ils de la même chose en consultation vis-à-vis de l'autre sexe ?
Ne fonctionnant pas de la même façon, ils n'envisagent pas ce qui arrive de la même façon non plus. Ce que je remarque c'est que j'ai de plus en plus d'hommes parmi mes patients. Ils sont perdus, ne sachant plus comment se positionner : ils doivent être soutenants, présents, forts mais dans le même temps, sensibles et savoir se mettre à la place des femmes. Ce qui est positif c'est qu'ils veulent faire bouger leurs lignes.
Les hommes sont perdus... et les femmes vivent encore et toujours dans un sentiment de culpabilité ! Pensez-vous que celui-ci puisse s'amoindrir avec tout ce qu'il se passe ?
On a mis une chape sur le sexe féminin pendant des millénaires et cela s'inscrit dans chaque femme par des réflexes de pensée terriblement ancrés, tous ces "oui, mais ce n'est pas si grave", "j'aurais peut-être dû", "je n'aurais peut-être pas dû", "ce n'est pas vraiment une agression", "je peux encaisser"... Qui font d'elles des proies et des victimes. Sortir de ce schéma culturel et sociétal prend du temps. Le mouvement #MeToo par exemple y contribue en libérant la parole collective pour partager ses sensations, dire son malaise, nommer les choses, ce qui a permis aux femmes de parler un langage commun, de décrypter les comportements qui sont importunants. Cela contribue peu à peu à s'affranchir de la culpabilité. Si l'on se sent juste par rapport à ce que l'on fait et pense, si on ne laisse pas tomber, si on arrive à se dire qu'on a subi une agression au travers d'une insulte en rue par exemple, alors on contribue à faire bouger les choses. Chaque femme, chaque homme, peut faire bouger les choses à son niveau.
Les jeunes adultes sont-ils plus "francs" dans les rapports hommes-femmes ?
C'est l'éducation parentale qui joue beaucoup là aussi et donc cela dépend encore fortement des catégories socio-culturelles. Mais globalement, la notion de genre est une notion plus "naturelle" chez les jeunes, je dirais. On n'a pas les mêmes filtres mais on est égaux, ça sonne aux oreilles de la génération Y, bien plus qu'à celle de la génération X !