"Le féminisme fait peur alors qu'il a joué un rôle essentiel dans l'acquis de nos droits"
Dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes célébrée le 8 mars, nous avons parlé "féminisme" avec Valérie Piette, professeure d'Histoire à l'ULB.
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- Publié le 06-03-2018 à 14h59
- Mis à jour le 13-12-2019 à 07h19
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Tantôt vues comme des "rabat-joies" ou des "emmerdeuses", les féministes assumées peuvent être la cible de railleries. Un simple coup d'oeil sur les réseaux sociaux montre l'étendue des commentaires parfois nauséabonds qui leur sont destinés. Preuve que si le mot féminisme est abondamment employé, il est encore mal compris. Le combat féministe est non seulement louable mais a surtout permis toute une série d'avancées extraordinaires en matière de droits. Dans le cadre de la Journée internationale des droits de la Femme célébrée le 8 mars, nous avons parlé "féminisme" avec Valérie Piette, professeure d'Histoire à l'ULB.
Pourquoi le féminisme fait-il toujours peur?
Le féminisme a toujours fait peur, cela ne date pas d'aujourd'hui. Dès que les premières femmes ont réclamé des droits identiques à ceux des hommes, on a constaté un antiféminisme très présent. Il est assez classique et ne change pas à travers le temps. Le féminisme dérange parce qu'il touche à des questions essentielles, des questions de société et même intimes. C'est la place de chacun à l'intérieur du couple hétérosexuel qui est remise en question. Ce mot a été utilisé à toutes les sauces et a parfois été mal présenté. Le féminisme est un mouvement qui aspire à l'égalité entre les hommes et les femmes dans la société. Je ne vois pas comment on peut en avoir peur ou y être opposé.
Justement, dans quel contexte est né le féminisme?
Au cours du XIXème siècle, des hommes et des femmes ont commencé à se battre pour que les femmes puissent avoir accès à un enseignement primaire et secondaire de qualité. De l'enseignement, le combat est passé au niveau des droits civils et politiques. Rappelons que le XIXème est profondément misogyne. Dans le Code Civil à l'époque, la femme mariée est considérée comme une éternelle mineure : elle ne peut pas travailler ou ouvrir un compte sans l'aval de son époux. Dans le même temps, la science pense l'infériorité de la femme par rapport à l'homme. On va mesurer leur crâne et peser leur cerveau pour "prouver" qu'elles sont moins intelligentes que les hommes. Heureusement, des femmes et des hommes vont se rendre compte qu'il y a un problème et vont lutter pour que les femmes aient plus de droits. Tout cela prendra beaucoup de temps. Ce n'est qu'en 1948 que le suffrage universel sera instauré en Belgique et, en 1949, que les femmes pourront effectivement voter au même titre que les hommes.
Y a-t-il une méconnaissance de ce qu'est le féminisme?
J'en suis convaincue. Et c'est là tout le problème ! Il manque de cours fondamentaux sur le féminisme. C'est un mouvement qui s'est révélé essentiel dans l'acquis de nos droits à tous et toutes. La contraception n'est par exemple pas qu'une affaire de femmes. Ce mouvement féministe n'est pas anodin. Toutes les idées reçues qui entourent ce concept sont problématiques.
Les féministes sont souvent caricaturées et stéréotypées.
Les antiféministes considéraient que si une femme voulait travailler, faire de la politique ou s'engager de quelque manière que ce soit, c'est qu'elle avait un problème. Ils disaient que c'est parce qu'elles étaient seules, trop moches pour trouver un mari ou lesbiennes. La caricature "vieille, moche, conne", on la retrouve durant tout le XIXème siècle et encore aujourd'hui d'une certaine manière. On leur reproche parfois de ne pas aimer les hommes mais c'est souvent un système qu'elles dénoncent, pas les individus. Dans le #MeToo, certains hommes se sentent attaqués en tant qu'individus alors que c'est le phénomène du harcèlement sexuel qui est pointé du doigt. Les féministes sont aussi parfois considérées à tort comme des rabat-joies. C'est de ça dont il faut sortir.
Certains s'opposent au féminisme dans son ensemble en citant des textes écrits par des femmes plus radicales.
Des radicales, il en existe sans doute. Mais, à chaque fois, on va chercher le texte le plus radical pour pouvoir critiquer le féminisme dans son entièreté. Une ou deux personnes peuvent déconner mais ce n'est pas pour autant que tout le mouvement déconne. Comme le féminisme n'est pas structuré, il a du mal à se défendre face à ce genre de critiques. Il est parfois extrêmement compliqué de se dire "féministe" même si on voit des gens comme Emma Watson ou d'autres en porter fièrement les couleurs. Le féminisme est pluriel : il y a autant de féminismes que de femmes. Les féministes ne sont d'ailleurs pas toutes d'accord sur des sujets comme la prostitution ou la pornographie. Mais l'idée principale du mouvement est l'égalité entre les hommes et les femmes !
Faut-il continuer à employer le mot "féminisme" ?
Geneviève Fraisse, féministe et philosophe, a écrit que le "féminisme était un mot maudit". Il est vrai que le mot a toujours été beaucoup critiqué. A l'époque, on ne se revendiquait pas "féministe" mais "suffragette", ça passait mieux. Aujourd'hui, certains préfèrent le mot "égalitariste" car ils trouvent également que ça passe mieux. Mais avec le #MeToo, je remarque que la fierté du mot "féministe" revient. Beaucoup de jeunes femmes et de jeunes hommes revendiquent ce mot. Personnellement, je ne vois pas en quoi le mot "féministe" peut être négatif, je revendiquerai toujours l'utilisation de ce mot-là mais chacun est libre d'employer les mots qu'il veut.
Peu importe le nom qu'on lui donne, le combat pour l'égalité n'est pas derrière nous.
Les femmes ont acquis le suffrage universel et les droits civils, il y a donc une égalité formelle. Mais, dans la pratique, une femme gagne toujours 23% de moins qu'un homme à compétences égales tandis que 80% des tâches ménagères sont encore effectuées par les femmes. Sur papier, l'égalité est actée mais dans les faits c'est différent. C'est là tout le problème. Cela montre que cela coince ailleurs, y compris dans nos structures mentales. Quand on lit ces chiffres, on se rend compte qu'il y a encore beaucoup de choses à faire bouger. Le mouvement pour l'égalité est donc loin d'être terminé mais il entre maintenant dans une seconde phase.