L'enfer du confinement en famille ou en solo: "Un quotidien qui nous semblait si évident devient à peine imaginable"
Une première semaine chaotique s'achève. L'occasion de regarder de plus près ce qui se passe dans les quotidiens bouleversés tant des familles que des personnes seules.
Publié le 20-03-2020 à 15h50 - Mis à jour le 20-03-2020 à 16h25
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Une première semaine chaotique et bouleversée s'achève, le week-end se profile et apportera essentiellement plus de temps à ceux qui travaillent.
Plus de temps pour les enfants, pour mieux organiser son quotidien de maintenant. Il n'empêche que l'on vit un retour sur sa cellule familiale et un retour sur soi difficile à vivre pour la plupart d'entre nous. Il y a ceux qui vont se sentir esseulés et d'autres qui ne vont plus se supporter car trop l'un sur l'autre, la parentalité va être mise à mal. Certains vont vivre H24 ensemble et d'autre H24 séparés, sans ce fameux juste milieu qui faisait fonctionner tout le monde. Comment avancer, comment aller au mieux, comment respirer ? On en parle avec Nicolas Pinon, docteur en sciences psychologiques, chargé de cours à l'UC Louvain et HE Vinci.
Ces premiers jours ont semblé durer une éternité pour tout le monde...
Effectivement, le quotidien qui nous semblait si évident jusque-là devient à peine imaginable. Et il est à craindre que la situation va empirer encore avec l'accroissement des contaminations et des hospitalisations attendues. Cela va encore accélérer l'impression d'être perdu.
Comment faire quand on est un couple qui ne faisait que "fonctionner" pour encaisser ce confinement surtout avec des enfants ?
On va beaucoup tourner en rond dans les familles, chacun avec ses peurs, ses frustrations qu'il ne voudra ou ne pourra pas partager avec l'autre. Chacun avec son envie d'être seul ou à l'inverse d'être proche de quelqu'un. Tout en jonglant avec le travail, l'absence de travail et l'inquiétude qui en découle et la gestion des enfants. Dites-vous bien parents, que si vous vous pouvez vous réguler (faire des efforts), les petits, avant 6 ans, ne sont pas "câblés" pour pouvoir se modérer, canaliser leurs émotions. C'est aux parents de les aider à trouver les schémas. Et c'est pour cela que c'est si difficile : à bout, angoissés, les parents vont se fâcher plus souvent, vont être irritables plus facilement, c'est un exutoire pour eux bien sûr... Les enfants absorberont tout ça et le ressortiront d'une façon ou d'une autre.
C'est pour cela que la coparentalité est très importante en ce moment. Répartissez-vous les rôles pour ne pas que l'un soit dans la colère et l'autre dans la consolation ou le soin. Je veux dire aux parents que l'on chasse aussi souvent nos lunettes de reproches par rapport à nos enfants. On verra beaucoup plus vite leur bêtises que les deux heures où ils se sont tenus tranquilles. Leurs initiatives pour s'occuper, on considère ça comme normal... Valorisons les comportements de chacun, c'est important. Car l'épuisement parental sera à la fois de l'épuisement émotionnel et puis de la déshumanisation : on voit nos proches de façon moins humaine parce qu'on est épuisé. On finit par culpabiliser de penser cela et on a un sentiment d'efficacité personnel qui baisse, on se sent moins compétent... Et angoissé. C'est le cercle vicieux.
On pense beaucoup aux couples qui doivent se réhabituer à vivre ensemble, aux familles avec enfants. Mais il y a aussi les personnes seules dont le maillage social est détricoté qui en souffrent.
Il y a un sentiment de solitude dû au manque de partage social d'émotions pour tout le monde mais plus encore quand on se retrouve seul chez soi. En fait, cela peut mener à un sentiment puissant et destructeur qui est la peur d'être oublié, poussé à son paroxysme, on tombe dans l'athazagoraphobie. Un grand-père qui ne voit plus ses petits-enfants, des amis qui ont perdu leurs contacts physiques et sociaux.
Cette peur d'être oublié va produire des ruminations qui peuvent amener la personne à des schémas dysfonctionnels. Par exemple, elle va somatiser, va ressentir des douleurs, des courbatures, une sensation de fébrilité. Des sensations qui vont amener à l'idée que l'on a attrapé le virus. L'anxiété augmente et pour certains, on se dirige vers des crises d'angoisse et des crises de panique qui font qu'on se sent encore plus abandonné.
Cette incertitude et cette angoisse, elles se traduisent comment ?
Cette incertitude nous conduit à vouloir reprendre le contrôle d'une manière ou d'une autre. On se surdocumente, pour dompter notre peur, sur ce qui se passe, on engrange des images, des données et finalement on nourrit sa peur et son angoisse. On voit déjà des gens développer des nosophobies (la peur de la maladie) ou encore de la mysophobie (on a peur d'être sale, d'être contaminé). Et on se met alors à prendre sa température tout le temps ou à tout nettoyer sans arrêt.
Quant à notre angoisse, elle nous conduit à ne plus faire la différence entre un fait et une pensée. Et cela tourne, tourne dans les têtes, jusqu'à la panique. C'est très impressionnant et déstabilisant pour ceux qui le vivent.
Que faire alors ?
D'abord essayer de bien se rappeler que les pensées sont différentes de ce qui se passe dans la réalité objective. On peut se poser trois questions : cette pensée empoisonnante est-elle vraie ou c'est une projection de mes peurs ? Est-ce que c'est vraiment grave ? Qu'est-ce que je peux faire pour y remédier ? On apprend ainsi à réguler ses émotions. L'autre solution, c'est de chercher des solutions opérantes, c'est comme ça que la solidarité se met en place par exemple, ça fait du bien à ceux qui reçoivent et à ceux qui donnent.
On peut aussi conseiller de trouver toutes les solutions possibles pour rester en contact avec son cercle social ?
C'est extrêmement important de ne pas s'enfermer de peur d'ennuyer les autres avec nos peurs. Parlez-vous, chattez, envoyez des messages, appelez, utilisez tous les moyens technologiques qu'on utilise si souvent naturellement. C'est là qu'est le positif, dans le partage d'une manière où d'une autre de quelque chose : applaudir à 20h les personnels des soins de santé. Cela apporte du bon dans une routine qui ne l'est pas.
D'ailleurs, je conseille vivement à tous de développer de nouvelles routines pour lutter contre l'anxiété du monde.