Coronavirus : pas facile de bien dormir entre confinement et angoisse
Dompter son sommeil, une difficulté de plus en cette période de perte de repères. Et avec la fatigue accrue se manifeste encore plus d'anxiété.
Publié le 24-03-2020 à 17h24 - Mis à jour le 26-03-2020 à 15h14
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Dompter son sommeil, une difficulté de plus en cette période de perte de repères. Et avec la fatigue accrue se manifeste encore plus d'anxiété.
Entretien avec une somnologue et pneumologue de Saint-Luc, Benny Mwenge, qui ne consulte plus en ce moment, puisqu'elle fait partie des équipes de l'hôpital universitaire soignant les malades du Covid-19.
Dormir en pleine période de coronavirus, certains y arrivent et s'endorment épuisés par les émotions de la journée, d'autres trouvent le sommeil avant de le perdre soudainement en plein milieu de la nuit, d'autres encore se tournent et se retournent dans leur lit, en vain... "C'est parfaitement normal, il y a plein de raisons qui font que le sommeil de chacun est perturbé", confirme Benny Mwenge, spécialiste du sommeil qui décrypte pour nous le mécanisme du sommeil et ce sur quoi on peut agir pour le faciliter et le faire revenir dans nos nuits.
D'abord, Dr Mwenge, qu'est-ce qui nous rend tous si différents devant le sommeil ?
Nous avons tous une horloge biologique qui va réguler nos sécrétions hormonales. Ce qui permet de rythmer cette horloge, ce sont les synchroniseurs qui sont des marqueurs de temps : en premier lieu, il y a la lumière naturelle extérieure. Ensuite, il y a le travail qui rythme la journée, l'activité physique mais aussi les repas : matin, midi, soir. Tout cela permet au cerveau d'opérer un équilibre chimique. Et chaque individu a donc son propre rythme selon ses activités.
Or, là, absolument tout est bouleversé par le confinement dû au coronavirus...
Exactement, tous ces marqueurs de temps sont totalement floutés, certains même sont devenus inexistants pour certains. Et l'anxiété qui augmente le taux de cortisol (l'hormone "du réveil", Ndlr) est là au quotidien.
Pour les insomniaques, les mauvais dormeurs, ce doit être encore pire ?
Pour les insomniaques et les grands anxieux qui ont tendance à beaucoup ruminer, les difficultés vont empirer à cause du stress. Le stress qui perturbe les cycles de sommeil. Ce qui se passe aussi, c'est que le confinement distend les relations sociales. Or, nous disons sans cesse à nos patients insomniaques qu'ils doivent continuer de s'ouvrir aux autres, aux relations sociales pour sortir, ne pas être seul avec leur épuisement et leur peur de ne pas dormir qui devient alors une idée fixe. Cela conduit tout droit au non endormissement.
Pour ceux qui ont du mal à dormir en ce moment, je conseille la même chose : ne restez pas avec vos angoisses, parlez, téléphonez, déchargez-vous, cela vous fera du bien.
Vous dites aussi que le télé-travail n'aide pas non plus à trouver un bon sommeil.
Absolument. Au boulot, en règle général, on a des interactions fréquentes avec ses collègues, on a une "vie de bureau", bien séparée de notre vie de famille ou de notre "autre vie". Et là, tout s'imbrique, il n'y a plus de limites. Et dès que l'on sort de son quotidien, les rythmes sont chamboulés.
Pour les personnes qui gardent leurs enfants tout en travaillant à la maison, a fortiori ceux qui ont installé leur bureau dans leur chambre pour être au calme, l'association au niveau cognitif 'chambre = travail' n'est pas du tout propice au sommeil à l'heure du coucher. Le fait de travailler (ou de penser au travail) induit une notion d'hypervigilance qui déséquilibre la détente nécessaire au coucher. Et ce, sans parler de l'énervement et du stress de devoir s'occuper des enfants et du travail et de la maison dans le même espace-temps.
Le résultat, c'est qu'on s'endort moins bien... et qu'on a envie de dormir plus longtemps.
C'est clairement ce qui se passe avec les ados ! Ils se couchent on ne sait quand et se lèvent à midi ou 13h si on ne les secoue pas. Résultat, ils sont complètement décalés et chaque jour, ils peuvent se décaler d'une 1/2h, c'est ce qui ressort des études sur les rythmes biologiques. D'autres, adultes, se réveilleront de toute façon très tôt, mauvais sommeil ou pas...
Tous crevés en somme...
Mais pas selon le même schéma. Les anxieux, comme je disais, ruminent et ne trouvent pas le sommeil quand ceux qui sont plus sujets aux montagnes russes d'émotions, au poids du choc et à la déprime se sentiront totalement vannés et auront envie de se coucher tôt pour s'écrouler. Sans pour autant trouver un sommeil de qualité. Cela arrivera même à ceux qui pensent avoir dormi assez et bien. Le cerveau a perdu ses repères et la situation est terriblement anxiogène pour tout le monde. C'est impactant sur le sommeil.
Je pense aussi qu'il y a en ce moment une tendance plus ferme à consommer de l'alcool le soir, pour calmer ses angoisses, pour mettre un peu de gaieté et pour faire la coupure entre travail et sphère familiale. L'alcool entraîne des éveils nocturnes et nuit à la qualité du sommeil.
Et les somnifères et autres médicaments relaxants, vous conseillez d'y avoir recours ?
Jamais. La qualité du sommeil s'en ressent toujours. Tant dans le sommeil profond qui sert à la récupération physique que dans le sommeil paradoxal qui est un sommeil actif où le cerveau consolide la mémoire notamment. On peut être soulagé d'avoir dormi mais être extrêmement fatigué.
Quant aux dispositifs médicaux que l'on trouve en vente libre... les principes actifs sont très faibles. Cela dit, au niveau du sommeil, l'effet placebo joue un très grand rôle, que l'on ne peut pas nier. Certaines préparations ou produits naturels font partie du rituel du coucher et en ça, ils aident à se détendre. Etre détendu avec un esprit calme et le corps pas trop au chaud, cela aide valablement à trouver le sommeil.
Quels conseils nous donnez-vous alors ?
Il faut absolument prendre la lumière le plus possible, que ce soit à une fenêtre, dans une cour, un jardin, dans la rue : la lumière va supprimer la mélatonine, l'hormone du sommeil. Pratiquer une activité physique tous les jours va aider au sommeil profond. Et surtout, ne faites pas de sieste parce que vous dormez mal ! C'est la meilleure façon pour dormir encore plus mal et brouiller les pistes du cerveau ! Prenez vos repas à heure régulière pour marquer le temps et ayez des interactions sociales, par téléphone, par vidéo, pour faire baisser l'anxiété. Pas trop de télévision, surtout pas avant d'aller dormir.
Cela dit, on peut souligner quand même que certaines personnes qui avaient tendance à beaucoup sortir, à rogner sur leurs heures de sommeil, sont en train de récupérer de leur dette de sommeil. Surtout si elles maintiennent un quotidien rythmé et une activité physique.