La seule habitation privée signée Victor Horta dans le centre de Bruxelles sauvée par une princesse indienne

L'hôtel Frison est resté inoccupé pendant 18 ans. Nupur Tron, créatrice de bijoux passé par New York, en est tombée amoureuse. Il lui rappelle son Rajasthan natal.

La seule habitation privée signée Victor Horta dans le centre de Bruxelles sauvée par une princesse indienne
©Jean Bernard/Foundation Frison-Horta

Pour votre serviteur, l’hôtel Frison, seule habitation privée signée Victor Horta dans le centre de Bruxelles, s’assimilait à une “gueule cassée” (surnom des Poilus sortis défigurés des tranchées de la Première Guerre mondiale). Un propriétaire n’avait rien trouvé de mieux dans les années 70 que d’abattre le rez-de-chaussée pour en faire une vitrine sans âme de magasin de fringues. Déjà, un gestapiste, durant le deuxième conflit, avait repeint murs et plafonds en blanc. Ses successeurs ne firent rien pour retrouver l’état originel de la maison puisque Nupur Tron, la nouvelle propriétaire, fille d’un prince du Rajasthan et d’une mère née à Calcutta, dut retirer au scalpel pas moins de douze couches de peinture avant de retrouver les fresques d’Horta. “J’ai voyagé dans le monde entier, explique cette créatrice de bijoux qui a vécu à New York et à Paris. Mais c’est vraiment cette maison qui m’a appelée voici cinq ans. Elle était inoccupée depuis 18 ans, sale et abîmée ; j’ai vidé sept camions poubelles. Par chance, les meubles d’origine avaient été stockés à la cave mais il n’aurait pas fallu qu’ils y séjournent plus sous peine d’être irrécupérables. Et, quelque part, la peinture a préservé la fraîcheur des fresques.”

La seule habitation privée signée Victor Horta dans le centre de Bruxelles sauvée par une princesse indienne
©Jean Bernard/Foundation Frison-Horta

L'Exposition universelle de Londres en 1851

Son amour pour cette maison s’explique par le fait qu’elle y trouve des réminiscences fortes avec les palais de son Rajasthan natal. “Tout en elle me renvoie une énergie similaire et me dit ‘je fais partie de ta famille’: les fresques, les peintures, les motifs – le paon, les fleurs –, les couleurs (le rose de Jaipur) et les matières utilisées, mais aussi les volumes avec ce jeu de paliers intermédiaires qu’on retrouve en Inde. Les architectes européens ont découvert le travail des artistes et artisans indiens lors de l’Exposition universelle de Londres au Crystal Palace en 1851. Des échanges seront alors entamés. Et Horta est allé se former à Londres.”

Livre à l’appui, Nupur, qui a aussi effectué un Masters en architecture à l’ULB et de restauration à l’école Van der Kelen, montre les similitudes avec des symboles qu’on retrouve en franc-maçonnerie, Maurice Frison, avocat de la Cour, promoteur de l’hôpital Brugmann et président de l’équivalent du CPAS, était franc-maçon ; il y a amené son ami Horta dont il fut le témoin de mariage. “Construite en 1894, cette maison est la deuxième de l’architecte, après Autrique et avant Tassel.”

Une Indienne souligne l'importance de leur patrimoine aux Bruxellois

Pour la rénovation entamée peu après l’achat de la maison, Nupur Tron a pu compter sur les conseils de l’architecte Francis Metzger à qui on doit des sauvetages d’envergure, à commencer par la villa Empain. Parmi les nombreuses pièces remarquables, on pointera le somptueux jardin d’hiver, le grand escalier en pitchpin ou ces clenches de porte imaginées pour être manœuvrées du coude par un avocat chargé de dossiers, sans oublier le mobilier d’origine signé entre autres Van de Velde, Lalique, Majorelle ou Serrurier-Bovy.

La seule habitation privée signée Victor Horta dans le centre de Bruxelles sauvée par une princesse indienne
©Jean Bernard/Foundation Frison-Horta

“Il est quand même fou de penser que c’est une Indienne qui doive souligner l’importance de leur patrimoine aux Bruxellois”, conclut-elle en montrant aussi les exemples de bruxellisation en face rue Lebeau (avec le projet Immobel – pharaonique et peu rassurant – dans les cartons) et à l’arrière le jardin, un immeuble vide au boulevard de l’Empereur. “En attendant, je pense que l’hôtel Frison aura retrouvé sa façade d’ici quelques années, surtout si les moyens et les aides suivent. On a heureusement conservé les plans originaux.”

Un dernier détail : Nupur Tron, à son arrivée en Belgique, ne connaissait pas l’œuvre d’Horta. Elle en est devenue la plus belle ambassadrice.

Renseignements:

Hôtel Frison, 37, rue Lebeau, 1000 Bruxelles. Du lundi au samedi 9 h 30 -17 h 30 sur rendez-vous (visite guidée : 35 €, incluant le coup de pouce à la rénovation). contact@foundation-frison-horta.be. https://www.foundation-frison-horta.be/

La Fondation Frison-Horta est soutenue par la Fondation Roi Baudouin. Un crowdfunding y est ouvert en vue de la remise en état de la façade.

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