Stéphane Bern évoque la personnalité de Napoléon, mort voici 200 ans: "Comme chez tout homme, il y a une part d'ombre et de lumière"
Bicentenaire de la mort de Napoléon: selon Stéphane Bern, il faut commémorer, pas célébrer
- Publié le 01-05-2021 à 10h31
- Mis à jour le 02-05-2021 à 14h33
Le 5 mai 1821, à “17 heures et 49 minutes”, Napoléon Ier s’éteint à Sainte-Hélène, où il vit en exil depuis six ans. Il n’a que 51 ans. Il rend “le plus puissant souffle de vie qui eut jamais agité l’argile humaine”, comme l’écrit Chateaubriand. Même Hudson Lowe, gouverneur anglais de l’île et geôlier de Napoléon, déclare devant son lit de mort : “Messieurs, c’était le plus grand ennemi de l’Angleterre, c’était aussi le mien. Mais je lui pardonne tout. À la mort d’un si grand homme, on ne doit éprouver que tristesse et profond regret.”
Deux siècles plus tard, tandis que les télévisions diffusent à tour de bras des émissions consacrées à l’Empereur et qu’une exposition se tient, en moment, à Liège (lire pages suivantes), Stéphane Bern et Lorànt Deutsch publient, chez Michel Lafon, "Laissez-vous guider – Sur les pas de Napoléon", un livre qui est le prolongement d’un programme de France 2. Entre deux enregistrements de "Secrets d’Histoire", Stéphane Bern a accepté d’évoquer avec nous ce personnage hors normes.
Comment fait-on pour aborder Napoléon quand on sait que tout n’est pas éclairci dans le cœur des gens : doit-on l’aimer ou pas ?
“Je laisse ça à l’interprétation de chacun. Ce qui est clair, c’est que c’est l’un des personnages les plus importants de l’Histoire de France. Quand vous interrogez les Français sur leur personnage historique préféré, il arrive en premier, devant de Gaulle et Louis XIV. Au début, le monde entier aimait, adulait Napoléon : les Japonais, les Chinois. On raconte que, depuis sa mort, il s’est écrit un livre sur lui, par jour. Mais depuis quelques années, depuis cette mouvance anticolonialiste, certains épisodes sont remis en avant. Est-ce que pour autant, il faut biffer d’un trait de plume toute l’œuvre de Napoléon ? Le Code civil, les départements, les préfets, le baccalauréat, la Légion d’Honneur, etc. ? Le problème, aujourd’hui, c’est que c’est le règne de l’émotion. On entend davantage ceux qui sont opposés à Napoléon, ceux qui lui en veulent juste pour ça, pour des erreurs politiques.”
La question est “Doit-on célébrer le bicentenaire de la mort de cet homme” ?
“Je ne suis pas sûr qu’on doive le célébrer, mais je pense qu’on est supposé le commémorer. Ce n’est pas la même chose. Je ne suis pas là pour chanter les louanges de Napoléon, je suis là pour raconter l’Histoire. Et pour évoquer un personnage historique, avec ses ombres et ses lumières. Qui suis-je pour juger aujourd’hui ? Comme chez toute personne, il y a une part d’ombre et de lumière.”
Quand vous tournez un "Secrets d’histoire" comme celui sur les derniers jours à Saint-Hélène, qu’est-ce que vous découvrez encore, en dépit du fait que vous connaissiez déjà votre sujet ?
“Ce qui est intéressant dans ces émissions, ce n’est pas tellement ce que moi je vais dire, c’est ce que racontent les historiens. Au fond, on les entend plus que ma modeste personne. Ce qui est fascinant, c’est qu’il a voulu être empereur jusqu’au bout. Ce qui m’a fasciné, c’est que quand j’ai appris qu’il a vu qu’Hudson Lowe n’allait pas lui laisser les coudées franches et allait, au contraire, le harceler et ne pas prendre en compte sa maladie – notamment -, il a voulu mourir de façon un peu christique. Ça, ça m’a fasciné, parce que c’est une sorte de sacrifice, pour rester dans l’Histoire. Et ce qui est aussi très intéressant, c’est la manière dont il a voulu écrire sa destinée et son histoire pour la postérité.”
Il a, par exemple, dicté son acte de décès !
“Ses Mémoires ont été un best-seller immédiat, le Mémorial de Sainte-Hélène aussi. On sait que l’Histoire est écrite par les vainqueurs et lui qui était vaincu se devait donc, s’il voulait passer à la postérité, de raconter sa propre vision des faits. Et c’est finalement ce qui l’emporte aujourd’hui. Et puis, ce qui est fou, c’est le testament, qui compte des dizaines de pages, avec le nom de chaque petit berger corse qu’il avait rencontré, connu dans son enfance, à qui il lègue une boîte, une montre, mille livres… Comment a-t-il pu se souvenir de chaque personne, c’est incroyable ! Là, c’est un génie absolu.”
En feuilletant le livre que vous publiez chez Michel Lafon, on a l’impression de vous voir déambuler tous les deux, avec Lorànt Deutsch, de vous entendre dialoguer. Comment met-on ça sur papier après que ça ait été une émission de télé ?
“C’est très compliqué ! Parce qu’il y a, à la fois, la reconstitution des lieux, cette visite de Paris – on l’avait déjà fait sur le Baron Haussman, on le fait là sur Napoléon, il y a le Moyen Âge également et bientôt la Belle Époque – c’est vrai que ce qui est intéressant, c’est se promener dans Paris en revisitant les lieux qui évoquent la personnalité de l’Empereur. C’est comme une promenade historique, sur le ton de la conversation, la joute intellectuelle et oratoire.”

C’est plein d’anecdotes, certaines dont on a entendu parler, un jour ou l’autre – je pense à la main sur l’estomac – et d’autres qu’on découvre. Comment fait-on le tri ?
“On ne peut pas prendre en considération que le lecteur a déjà lu les tomes précédents. Il faut donc faire des choix, être le plus didactique possible, trouver ce qui va intéresser le plus de monde possible. Et reprendre les bases. Être soi-même, le premier lecteur et se demander ‘au fond, qu’est-ce que j’ai envie de savoir sur Napoléon ?’”
Et, au fond, qu’est-ce que vous aviez envie de savoir, vous, sur Napoléon ?
“Qui il est. Son comportement, ses manies. Qui est cet homme qui intrigue. On connaît son nom mais on ne sait pas qui il est. C’est ça qu’il faut raconter. Oui, il y a la main sur l’estomac, mais aussi le parfum Farina, le tabac à priser, les tabatières, la propagande, comment il a monté tout ça. Comment on devient Napoléon.”
Il y a évidemment des femmes, enfin, surtout une femme. Par quel biais aborde-t-on cela ?
“Joséphine… C’est une grande histoire d’amour. Il y a les lettres entre eux. Il lui écrit des lettres enflammées, c’est un amoureux, c’est un général complètement épris. Elle l’est beaucoup moins évidemment. Mais en même temps, c’est une experte. Elle a été une femme mariée. Ça a été un vrai couple, ils se sont fait la courte échelle l’un l’autre. Elle a sauvé sa tête et sa peau, elle ne voulait plus revivre la Terreur et lui voulait grimper, en lissant ses manières et en gravissant les échelons. Grâce à elle, beaucoup.”