Deux expositions belges consacrées à Napoléon: 200 ans que la légende résiste
Les deux expositions belges consacrées à Napoléon Bonaparte sont complémentaires, l’une, à Liège, généraliste, l’autre, au Mémorial 1815, centrée sur l’après-Waterloo, avec, pour les deux, la question sous-jacente de la légende de Napoléon.
- Publié le 30-04-2021 à 22h46
- Mis à jour le 07-05-2021 à 16h43
Un livre par jour depuis son décès, voire un peu plus. On estime en effet que 80 000 ouvrages sont parus sur Napoléon depuis le “Mémorial de Sainte-Hélène” de Las Cases paru en 1823. La Napoléonmania est née dès l’exil. Certes, la Restauration (avec Louis XVIII et Charles X au pouvoir) a bien tenté de faire oublier l’empire, mais les grognards n’avaient pas oublié leur chef. Des écrivains, comme Victor Hugo, en France ou Walter Scott, en Grande-Bretagne, entretinrent le mythe (l’écrivain écossais s’était rendu à Waterloo dès 1815 juste avant de rencontrer Wellington et le tsar à Paris). Fils d’officier de l’armée impériale, Victor Hugo, grand admirateur de l’empereur, à son entrée à l’académie, fera l’éloge des… gens qui avaient dit des choses horribles sur Bonaparte : “Ce faisant, je démontre l’importance de la liberté d’expression.”
En exil, Napoléon passera deux ans à dicter ses mémoires : Las Cases, Bertrand, Montholon et Gourgaud en seront les rédacteurs. Dès les premières publications, d’abord discrètes vu les efforts de Louis XVIII et Charles X pour effacer le souvenir napoléonien, le panache de l’empereur défunt ne cessera de croître, au point qu’au Retour des Cendres décidé par le roi des Français Louis-Philippe en 1840, les badauds, le long du cortège, crieront “Vive l’empereur !”
Les deux expositions organisées aux Guillemins à Liège et au Mémorial de Waterloo 1815 à Braine-l’Alleud, loin de se concurrencer, apporteront cette année un regard complet et sans complaisance sur ce que fut l’épopée de ce Corse né le 15 août 1769 à Ajaccio. La première s’attache à donner une vision globale de ce que furent les contextes national, international, social, économique et militaire de cette époque bien particulière qui vit la France, pour la première fois de l’Histoire, se retrouver sans roi pour la diriger. Sa population a dû se prendre en mains, avec pour seule réponse l’hostilité des monarchies voisines. Certes, un chapitre aux Guillemins aborde l’exil à Sainte-Hélène (on y voit quelques éléments de ferronnerie du grillage entourant sa sépulture sans nom – les Britanniques refusant d’y inscrire “Napoléon”, n’ayant jamais reconnu l’empire, les Français n’acceptant pas de réduire cet homme au génie militaire que lui reconnaissaient les Britanniques en indiquant “Général Bonaparte”. Sa canne de Sainte-Hélène et un madras qu’il portait sur la tête sont également exposés à Liège). Les Anglais avaient tendance à voir Napoléon plus petit et replet qu’il n’était, comme ici, en 1820, à Sainte-Hélène.

Les Français le grandissaient et l’amincissaient.
À Liège, on rappelle qu’au-delà du mythe, la Révolution puis Napoléon laisseront des traces. Louis XVIII et Charles X concéderont la monarchie parlementaire même si dans leur tête, ils veulent rétablir l’Ancien Régime, un retour au passé qui n’arrivera jamais. Et les autres monarchies européennes seront contraintes d’évoluer, elles aussi, ou de disparaître.
L’exposition du Mémorial 1815 s’attachera, dès le 5 mai, au travers de 120 documents et objets ramenés de Sainte-Hélène, à décrire cet exil et cette légende que Napoléon bâtira, ses fidèles compagnons et de grands hommes, français comme britanniques d’ailleurs, se chargeant d’entretenir.
Ce sujet est aussi abordé à Liège, comme le souligne Eddy Przybylski, journaliste de La Dernière Heure qui s’est chargé de la rédaction des panneaux, de l’audioguide et d’une partie du remarquable livre de l’exposition de Liège et qui avait eu l’occasion de réaliser un hors-série sur Napoléon à l’occasion des 200 ans de la bataille de Waterloo en 2015.
"Seule la traçabilité de l’objet en assure l’authenticité.”
La difficulté, avec les “souvenirs de Sainte-Hélène”, est avant tout d’en assurer l’authenticité. Les collectionneurs dont Bruno Ledoux qui a prêté pas moins de 150 pièces (dont quelques-unes ramenées d’exil) aux Guillemins en savent quelque chose. Une difficulté qu’a rencontrée Antoine Charpagne lorsqu’il s’agit d’accueillir 120 objets de Sainte-Hélène à Waterloo : “Seule la traçabilité de l’objet en assure l’authenticité.”
Il en va d'ailleurs de même avec les bicornes, On en dénombre 19 certifiés portés par Napoléon; l'un est à Liège,

issu de la grande collection de Bruno Ledoux. Un autre sera visible au Mémorial.
Revenant à l’homme, Eddy Przybylski insiste sur un point : “Il faut se rendre compte que pour la première fois de leur histoire, avec Napoléon, les Français ont un dirigeant qui se préoccupe de savoir si chaque citoyen a du pain et son litre d’eau potable quotidien, si les agriculteurs français sont correctement rétribués. L’importance de l’eau se marquera aussi par l’aménagement de canaux, moyens de communication les plus commodes alors. De plus, tout Français, s’il agit de manière méritoire, est en droit de recevoir la Légion d’Honneur, comme cet ouvrier mineur de la région liégeoise qui avait sauvé la vie de 70 personnes dans des inondations.”
Notre guide du jour ajoute : “Sa principale erreur aura été de ne penser qu’au bien-être des Français, au détriment des autres. Cela se marquait à la signature de traités de paix humiliant pour les vaincus qui n’avaient qu’une hâte : repartir en guerre contre lui. On l’oublie mais Napoléon ne mena qu’une seule guerre de conquête, en Espagne, qui se solda par un fiasco, ses troupes devant faire face à une guérilla. Cette erreur de ne penser qu’au bien-être des Français, on en a un bel exemple avec le blocus maritime anglais et le rétablissement de l’esclavage, vu comme une provocation commerciale par les Britanniques.”
“Il n’empêche”, indique Eddy Przybylski, “en Angleterre, aujourd’hui encore, Napoléon est glorifié. À telle enseigne que Waterloo reçoit plus de visiteurs anglais que de visiteurs belges, et ils viennent plus pour Napoléon que pour Wellington.”
Général Bonaparte ou Napoléon ?
Le 5 mai prochain, date de la mort de l’empereur, la deuxième grande exposition organisée sur le sol belge ouvrira donc ses portes au Mémorial de la Bataille de Waterloo, à Braine-l’Alleud. “De Waterloo à Sainte-Hélène, la naissance de la légende” reviendra, avec 120 pièces originales, sur comment, d’une défaite et d’un exil humiliants, Napoléon parviendra à mettre une grande partie de l’opinion française, mais aussi anglaise, de son côté.
“Quand, à Sainte-Hélène, il dicte ses mémoires, raconte Antoine Charpagne, responsable culturel du Mémorial 1815, il le fait autant pour se justifier et asseoir sa légende auprès de ses concitoyens que pour influer sur la politique anglaise, les Libéraux lui étant plutôt favorables. Il rêvait d’apprendre un jour que ce parti renverse les Conservateurs, décide de le ramener d’exil et de le remettre à la tête de la France.”
Pour les Conservateurs, l’empire n’existait pas. L’amiral Cockburn, qui amena Napoléon sur Sainte-Hélène et fut son premier geôlier jusqu’à l’arrivée du gouverneur militaire Hudson Lowe en 1816, déclarera “n’avoir pas connaissance de la présence d’un empereur sur son île”, alors que Napoléon se plaint officiellement des conditions de l’exil.
Par contre, les Anglais ont peur de le perdre : “Un officier d’ordonnance avait charge de l’apercevoir deux fois par jour et d’en faire rapport au gouverneur ; 3 000 hommes stationnaient sur l’île et environ 500 pièces d’artillerie y avaient été amenées, soit plus de trois fois plus de canons que ceux engagés par Wellington à Waterloo. À la fin de sa vie, les conditions de détention seront assouplies. On estime qu’il pouvait se balader sur l’ensemble de la moitié sud de cette île de 122 km².”
Les récits de Sainte-Hélène vont assez rapidement parvenir en Europe. Le premier proche de Napoléon revenu de l’île fut Gourgaud, son ancien aide de camp, en 1818. Il publiera un récit de Waterloo dès 1819, du vivant de l’empereur. Mais le grand succès sera la publication du “Mémorial de Sainte-Hélène”, carnet des premiers mois d’exil rédigé par Las Cases qui fut expulsé par les Anglais en 1816 pour avoir tenté de faire parvenir des lettres à Napoléon. Quant aux carnets de Bertrand, qui fut grand Maréchal du palais et conservera cette étiquette à Longwood, ils ne seront publiés qu’au XXe siècle. “Bertrand est intéressant car il était parti en exil avec femme et enfants ; un autre, Arthur, est d’ailleurs né à Sainte-Hélène. Par contre, il ne vivait pas à Longwood, contrairement à Montholon, le chambellan de Napoléon, qui vivait dans la résidence avec son épouse dont on pense d’ailleurs qu’elle aura été la dernière maîtresse de Napoléon.”
À Sainte-Hélène, ce ne sont pas les grands maréchaux et généraux d’Empire qui ont accompagné l’empereur. “On a affaire à des personnes de tout temps dévouées à sa personne. Beaucoup de grands hommes, après Waterloo, lui ont tourné le dos. Le plus fidèle des fidèles fut sans doute Louis Joseph Marchand, son premier valet de chambre.” Il sera d’ailleurs récompensé de cette fidélité en étant l’exécuteur testamentaire de l’empereur. “Les services qu’il m’a rendus sont ceux d’un ami”, écrira Napoléon dans son testament.
Après le 5 mai 1821, les compagnons d’exil rentrent dans la France de Louis XVIII puis de Charles X ; certains, comme Bertrand, se faisant oublier un temps (il avait été condamné par contumace). Marchand, lui, sera rapidement admiré par les nostalgiques de l’Empire, ce qui se vérifiera lors de son mariage en 1823. Il écrira ses mémoires après le Retour des Cendres en 1840, auquel il prit part, décidé à l’instigation du roi des Français Louis-Philippe.” Ce n’est réellement qu’au retour des cendres que l’admiration pour Napoléon put exploser au grand jour. Plus besoin de réaliser des cannes-épées sur la lame desquelles apparaissait l’effigie du défunt empereur comme signe de ralliement.”
18/06/1815-05/05/1821
Il est sidérant de constater qu’on connaît chaque détail de la dernière journée de l’ancien empereur des Français à Sainte-Hélène. Certes, seize personnes étaient présentes à son dernier souffle, dont douze Français.
Mais revenons au soir de Waterloo, le 18 juin 1815. Napoléon tente de regagner Paris mais le 20, la nouvelle de la défaite l’a précédé. Le 22, il est à l’Élysée où il abdique une seconde fois, en faveur de son fils, le roi de Rome, âgé de 4 ans. Il en sera décidé autrement. Le 25, il quitte l’Élysée pour la Malmaison d’où, le 29, le général Gourgaud l’emmène à Compiègne mais le cortège bifurque vers Rochefort où, arrivé le 3 juillet, Napoléon pense s’échapper vers les États-Unis. Son passeport n’arrivant pas, il s’installe sur l’île d’Aix, où il s’en remet aux Anglais qui l’embarquent alors vers Torquay puis vers Plymouth où les sujets de sa Majesté sont curieux d’apercevoir ce général Bonaparte. Le 31, il apprend son exil pour Sainte-Hélène, embarque le 7 août à bord du Northumberland qui lève l’ancre le 9 et arrive le 15 octobre sur cette île perdue.
Dans un premier temps, il s’installe dans la demeure des Briars. Puis le 10 décembre, il est déménagé dans le domaine de Longwood House, situé à l’est assez inhospitalier de l’île, humide et battu par les vents. Il a pu emmener 600 livres avec lui, ainsi que du mobilier, de la vaisselle impériale, et un portrait de son fils. À partir de juillet 1820, sa santé décline. Il passe des heures dans sa baignoire pour soulager des douleurs au foie.

Son chirurgien, Antommarchi, décrira cet affaiblissement.
Le 5 mai 1821, de minuit à 1 h : hoquet, toujours plus fort ; de 1 à 3 h : il a beaucoup bu, avant de tourner la tête en signe d’arrêter ; de 3 à 4 h 30 : hoquet, plaintes sourdes et gémissements, on l’aurait entendu dire : “À la tête de l’armée” après avoir prononcé le nom de son fils ; 4 h 30-5 h : grande faiblesse, plaintes, son gilet est maculé de crachats de sang. À 14 h 30, le Dr Arnott a fait placer une bouteille remplie d’eau bouillante sur son estomac ; à 17 h 49, l’empereur a rendu son dernier soupir. “Au moment de la crise, léger mouvement dans les prunelles.” Hudson Lowe vient constater le décès le lendemain. Le 8, une autopsie conclut à un ulcère à l’estomac. Le 10, il est enterré dans la Vallée des Géraniums. Le 27 mai, les derniers compagnons d’exil de l’Empereur quittent Sainte-Hélène à bord du Camel.