Comment ne pas être un parent parfait ou l'art de faire comme on le sent
Nouveau mot d’ordre pour ceux qui osent devenir parents: soyez bons, soyez compétents, ou alors abstenez-vous. La société et ses normes s’invitent dans les familles et décident ce qu’est un bon papa, une chouette maman.
Publié le 26-02-2022 à 12h12 - Mis à jour le 26-02-2022 à 12h13
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Avec Claude Martin, sociologue, auteur d’Être un bon parent : une injonction contemporaine, on décrypte le panorama de la situation parentale. Histoire de ne pas s’arracher ses cheveux au point de devenir chauve à la majorité des enfants.
Être un bon parent, c’est la même définition pour un papa et une maman ?
On pourrait croire qu’il existe une vision égalitariste du rôle des pères et de mères, et les pères seraient des parents comme des mères. Mais ce n’est pas le cas. La meilleure preuve ? Soin et éducation des enfants sont portés par les mères, les dispositifs de soutien à la parentalité ont comme public majoritaire des femmes. Et le congé “de maternité” est de loin le plus étendu. Et il faut dire que cette situation n’est pas soulignée comme elle devrait l’être.
Longtemps, on a plutôt utilisé l’expression : “être une bonne mère”. On ne se demandait pas si les pères étaient bons.
C’est lié à ce modèle qui s’est imposé dans nos esprits : celui de Monsieur gagne-pain et de Madame au foyer, qui dominait l’immédiat après-guerre. Ce qui concernait l’enfant était du ressort de la mère, jusqu’aux limites d’une chose : l’exercice de l’autorité, qui était dans le giron du père. Les pères étaient visés à partir du moment où ils avaient des excès ou des insuffisances d’autorité.
Avec l’égalisation progressive du rôle des sexes, l’injonction à être un bon parent concerne aussi les pères mais demeure largement adressée aux mères. Le conseil aux mères, c’est un marché très juteux. Il y a des conseillers experts, de manuels, des ateliers…
Pour être un bon parent au XXIe siècle, il faut avoir des compétences. On parle du “métier de parent”. À ma grand-mère ou à mes parents, on n’en demandait pas tant….
Parmi les bonnes pistes de réflexion, il y a cette lecture intergénérationnelle, et les grands-parents sont assez bons juges. On les entend dire : ‘Cela ne doit pas être simple’, ‘Nous, nous improvisions, cela ne veut pas dire qu’on ne faisait pas d’erreurs’… Les compétences parentales, cela se fabrique : entre mère et grand-mère, entre amis, sur Internet, avec le médecin de famille. Chacun apporte sa pierre à l’édifice.
Cette injonction d’assurer comme parent n’aide pas, en particulier, les femmes à s’émanciper. La carrière entre en concurrence avec la réussite éducative. Difficile d’échapper au système et aux normes imposées par la société.
Cette aspiration à faire le mieux possible est très dominante et partagée chez les parents. Ce n’est pas un problème individuel, mais un problème de portée collective. C’est la préoccupation d’une génération pour la suivante, pour le monde qui vient. Les parents ont une vision ébranlée par la crise financière, la crise sanitaire. Il y a cette idée qu’on a sacrifié les nouvelles générations sur l’autel de la croissance et de l’égoïsme des parents…
On parle également de “déterminisme parental”, qu’est-ce à dire ?
C'est une lecture qui défend que la plupart des problèmes auxquels sont confrontés les ados aujourd'hui (comportement, mal-être, pathologie), c'est de la faute des parents qui n'ont pas fait le boulot ! Et voilà la facture collective que la collectivité doit assumer ensuite… alors que les parents se préoccupent de leur progéniture. Ils sont inquiets et le sont doublement car ils ont la sensation qu'ils n'en font soit pas assez, soit trop. Et on charge la barque des mères, si elles ne font pas ce qu'il faut au moment où il le faut. On ose leur dire : 'Il y a des choses qui seront irrécupérables. Si vous avez raté le début, vous allez compromettre une grande partie de la suite de façon irrémédiable et ce alors que les enfants sont confrontés à d'autres adultes très tôt.' Le bon moyen de réfléchir, c'est de parler de conditions parentales, car les parents exercent leur rôle avec un certain nombre de contraintes. Ils ont des relations avec l'école qui ne sont pas parfaites, ils n'ont pas forcément de soutien [on pense au manque de places en crèches, NdlR].
Existe-t-il, selon vous, un désinvestissement des États qui font alors porter le chapeau aux individus parents ?
Le soutien à la parentalité est fondamental, c’est ce qui rend l’aventure tenable quand les deux parents occupent une place sur le marché du travail. Et, de fait, il y a une défausse sur les parents. Certes, on ne se substituera jamais à leur rôle premier mais on oublie le contexte de socialisation. L’enfant est vite confronté à un monde plus large que sa famille : le groupe d’âge, les éducateurs, la télévision…
On fait aussi comme si les parents étaient une fonction universelle sans aucune variation culturelle, économico-sociale…
Alors que la condition des parents est essentielle dans l’éducation des enfants. Regardez ce qui s’est passé avec la crise sanitaire : des parents qui bossent et font l’école, parfois qui ne peuvent pas télétravailler, des appartements trop petits, pas de jardins… Il faudrait rappeler que le travail parental se tricote dans des environnements matériels et culturels. Si l’État a quelque chose à faire, c’est de se préoccuper de l’égalité dans la condition parentale.
La perfection parentale, en plus, ça n'est pas si intéressant : labeur sans fin pour les parents (cf. pages suivantes) et grosse pression sur les enfants.
Cette perfection parentale pèse en particulier sur les mères et les gave jusqu’à la nausée, alors que le mieux serait de lâcher la soupape.
Regardez ce qui s’est passé avec la crise sanitaire. Imaginez juste que les parents n’aient pas pu se débrouiller… Je trouve que c’est édifiant : cela n’a pas explosé.
L'enfant roi, on le détrône ? “Cette idée qu’il faille se centrer sur ce candidat, ce citoyen, ce producteur potentiel est assez récente. L’expression en elle-même traduit souvent une critique : c’est l’enfant posé sur un piédestal, un enfant pénible même. Il ne fait pas bon se faire traiter d’enfant roi. C’est la critique absolue pour les parents aussi, car il sera votre tyran. Mais il faut se débarrasser de l’idée que l’enfant doit être sacré – au point de faire sacrifier tout le reste ! Car cette mécanique est perverse, et ne laisse jamais en paix ceux qui sont en train d’improviser la profession parentale”.