Maredsous, les 150 ans d'une abbaye
L’abbaye fête les 150 ans de sa fondation. C’est d’abord un lieu de prière. C’est aussi une école, style anglais, ouverte à tous. C’est aussi une bière et un fromage…
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Publié le 16-10-2022 à 13h35
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Dans la vallée de la Molignée, en ce début d’automne, le soleil donne aux lacets de la route un air ludique. Petit à petit, les deux hautes tours de l’abbaye de Maredsous se dévoilent, impressionnantes. Calfeutrée au milieu des bois, cette abbaye est une institution en Belgique. On croirait presque qu’elle est là depuis des centaines d’années tant les arbres qui l’entourent semblent s’être habitués à sa présence. À l’échelle de l’histoire, elle est relativement jeune et fête, cette année, ce 15 octobre, précisément, les 150 ans de sa fondation.
L’abbaye de Maredsous, c’est… d’abord une abbaye, un monastère où vivent encore une bonne vingtaine de moines (ils furent 150 dans les années soixante…). C’est un centre d’étude de la Bible, mondialement reconnu. C’est aussi un collège (mixte et ouvert aux externes depuis 1995) de 280 élèves. C’est encore un lieu d’hôtellerie et de tourisme, connu pour son incomparable bière d’abbaye et son fromage, d’une parfaite onctuosité.
Elle a servi de décor pour plusieurs films
Pour évoquer son histoire, la particularité de la vie monastique, mais aussi les défis sociaux et économiques auxquels l’abbaye est confrontée, nous avons rencontré le père abbé, Bernard Lorent. Avant de lui donner la parole, il faut se laisser inspirer par ce lieu, cet endroit où souffle l’esprit. Si l’extérieur est imposant, l’intérieur est inspirant. Longs couloirs, plafonds voûtés, dalles noires, l’abbaye a d’ailleurs servi de décor à plusieurs films tant les perspectives sont parfaites. Pas de bruit. Juste celui du frottement de l’habit du père abbé, dom Bernard Lorent, qui nous rejoint à l’accueil. À grandes enjambées, il nous conduit à son bureau. Un mur est couvert de livres. Un petit salon invite à la conversation (et après à la dégustation de la bière !)
Nous nous installons à son bureau où sont éparpillés des papiers et factures. Car Bernard Lorent, on le verra, est non seulement, depuis vingt ans, le père abbé, celui que les moines ont élu pour être leur chef ; mais il est aussi un gestionnaire qui doit veiller à la santé financière de l’entreprise "abbaye de Maredsous". Visiblement, il aime son "métier" : il en parle avec rigueur et passion.
D'abord l'apparence. Pourquoi porter l'habit ? "Je ne le porte pas toujours. Mais parfois il est important de s'afficher. Je pense qu'aujourd'hui, nous devons manifester notre présence, même discrètement. Ici, à l'abbaye, j'aime le revêtir. En ville, je suis 'en civil'. Parfois, je porte le col romain. Je me souviens d'une conversation, dans un train, avec un mannequin qui travaillait pour Karl Lagerfeld : nous avons parlé pendant tout le voyage. Si j'avais été en col roulé, j'aurais lu mon journal, lui, le sien. En 1982, quand je suis entré, on nous disait : N'agressez pas les gens en vous habillant en prêtre.' Il fallait se fondre. Après Vatican II, certains voulaient une Église plus enfouie, plus discrète. Mais quand on se cache, finalement, on ne vous voit plus…"
Une histoire d’amitié entre trois hommes
Le père abbé est historien : "L'abbaye fondatrice de Maredsous se trouve à Beuron, en Allemagne. À l'origine de la fondation de Maredsous se trouve une histoire d'amitié entre trois hommes qui avaient été zouaves pontificaux, des soldats belges et français engagés dans les armées du pape, l'ultramontanisme. Le premier est Félix de Hemptinne. Il était moine à l'abbaye de Beuron, et souhaitait fonder une abbaye en Belgique. Le deuxième vient d'une famille d'industriels, les Desclée, et le troisième était leur intendant. Les Desclée avaient acheté deux cents hectares dans cette région. Ils occupaient le petit château de Maredsous et cherchaient un abbé pour célébrer la messe tous les jours. Ils ont pris contact avec le moine de Hemptinne qui vivait à Beuron. Les moines sont arrivés et lui ont dit : 'OK, vous voulez une abbaye. Mais ce sera une grande abbaye !'" Les premiers moines sont arrivés le 15 octobre 1872. L'abbaye a été construite dans le style gothique, en carré. "En fait, ils voulaient en faire une forteresse de la foi catholique. Ils estimaient que la société belge allait très mal et que le christianisme était menacé." Mais très vite, dès 1981, les moines ont cassé l'idée de forteresse et ont créé une école.
Aujourd'hui, "Maredsous" est une référence dans les grands internats en Belgique. S'y nouent des amitiés éternelles. Il suffit que, dans un dîner ou une réception, quelques anciens de Maredsous se retrouvent pour les entendre, à grand renfort d'anecdotes, raconter leur meilleur ou leur pire souvenir. Règne encore, autour de Maredsous, un parfum d'élitisme. Voulu, réel et révolu ? Le père abbé réagit : "Mais qu'appelle-t-on élitiste ? Moi, je voudrais que toutes les écoles soient élitistes et qu'elles permettent à tout enfant de grandir, d'utiliser au mieux ses possibilités."
Le collège est-il encore uniquement fréquenté par des jeunes issus de la bonne bourgeoisie, de l'aristocratie ? L'abbé nuance : "Cela est fini depuis bien longtemps, même si nous avons encore beaucoup d'enfants qui viennent de ce milieu-là. Mais ce sont les familles qui nous choisissent plutôt que l'inverse. L'ouverture à l'externat a favorisé la mixité sociale. Cela a amené un certain sang neuf. Pour éviter l'étiquette d'école de riches, ce que nous avons été à un certain moment, nous avons instauré, pour les internes, un minerval modulé avec dix possibilités de payement selon les revenus des parents, le nombre d'enfants à charge. Les parents déposent une déclaration sur l'honneur pour préciser à quelle catégorie ils appartiennent. Nous avons beaucoup d'enfants d'anciens étudiants. Le collège accueille tous les enfants sans aucune distinction : actuellement, nous avons un enfant de confession musulmane, le papa est tunisien, la maman est belge."
Maredsous est donc accessible à tout le monde. "Mais je dirais que le collège de Maredsous ne convient pas à des jeunes qui ont un besoin très marqué ou très visible de discipline. C'est plutôt l'autodiscipline qui règne. Ici les enfants sont indépendants. Nous nous inscrivons dans la tradition des grands collèges anglais."
"L’Église n’est pas en crise partout !"
La présence des moines, même de moins en moins nombreux, assure toujours une continuité dans l'éducation, dans les valeurs qui sont transmises aux jeunes. Mais les vocations se raréfient. Pourquoi ? "Moi, c'est la vocation qui m'a choisi. Ce sont des choses qui ne s'expliquent pas. J'aurais pu être prêtre dans une paroisse. Ou fonder une famille. Mais j'ai senti que ma place était ici. L'important, c'est la vie en communauté. Et on est d'abord séduit par les murs, par les gens qui y vivent, par l'office. Au fur et à mesure, on découvre sa vocation." La crise des vocations ? "J'ai beaucoup de contact avec les Églises des autres continents : il ne viendrait jamais à l'idée de dire, comme certains, que l'Église est un vieux rafiot… Non, au contraire. Si on va à Kinshasa, l'Église catholique est pétante de vitalité. Pareil dans notre fondation au Rwanda. Ou en Corée du Sud, par exemple, où le catholicisme est en pleine forme. Oui, chez nous, les vocations sont en recul et il y a une crise de l'Église catholique en Europe occidentale, mais pas partout. Pas en Pologne par exemple. Il y a mille et une explications comme dans tout fait historique. Il y a une sécularisation de la société. On vient d'une époque où il y avait énormément de prêtres, peut-être trop… Après la Deuxième Guerre mondiale, il y a eu beaucoup de vocations. Certains problèmes de pédophilie peuvent aussi venir de là. En 1960, la société craquait de partout et certains se sont crus tout permis. Les problèmes se gèrent. Je donne cours au grand séminaire, j'y rencontre des gens très bien. Mais certains jeunes hésitent parce que des amis font pression sur eux pour qu'ils n'entrent pas dans les ordres. 'Tu es un type bien, qu'est-ce que tu vas faire chez ces gens-là… ?' Il y a donc du travail pour corriger l'image de l'Église et expliquer ce qu'elle apporte au monde."
Sévère dans son habit, le père abbé ne manque pas d'humour. Le cœur, explique-t-il, est important, ainsi que l'esprit. Mais les pieds aussi ! "Un des aspects les plus importants de la vie bénédictine et monastique, c'est la prière. Chez nous, elle se fait en commun. Nous allons à l'office des laudes à 7 heures. Nous chantons pendant une demi-heure. Il y a ensuite un plus petit office à 10 heures, puis la messe à midi. Un autre petit office à 16 heures. Les vêpres sont à 18 h 30. Les complies et vigies à 20 h 30. Il y a donc quatre grands offices et deux plus petits. Tous les jours. C'est pour cela que je pense que les pieds ont aussi leur importance. C'est donc d'abord les pieds qui prient car il faut aller à la prière…"
La bière et le fromage, deux produits essentiels
Savez-vous que la bière de Maredsous n’est pas brassée à Maredsous ? Pourtant, c’est bien une bière d’abbaye. La bière a 75 ans cette année-ci. Elle a été inventée par un moine de Maredsous. L’abbaye attirait beaucoup de gens de passage. L’abbé a vite compris que ces pèlerins allaient devenir des touristes. Ils arrivaient par le train, une ligne faisait Charleroi-Dinant. De la gare, qui se trouve dans la vallée, ils montaient à l’église. Il y avait un gobelet à côté d’un robinet et ils se rafraîchissaient. L’idée lui est venue de concevoir une bière en 1946-47. La bière blonde de 6 degrés de Maredsous a été une des toutes premières bières d’abbaye. Mais la bière n’a jamais pu être brassée à Maredsous parce qu’une loi interdisait l’installation d’une brasserie à moins de 800 mètres d’une école.
L'abbé Lorent raconte : "À l'époque, à Maredsous, il y avait deux écoles : l'école abbatiale et une école d'art. Huit cents mètres, cela nous aurait amenés dans un autre village. Après la guerre, l'abbaye n'avait pas l'argent pour acheter ou construire une brasserie ; nous avons donc demandé à un brasseur de réaliser notre bière. L'abbé a pris sa recette, une blonde de six degrés. Au départ, il est d'abord allé dans une brasserie de Châtelineau. Depuis plusieurs années, nous travaillons avec Duvel Moortgat, un des meilleurs brasseurs de Belgique et donc du monde. Mais la bière est bien la nôtre. C'est nous qui choisissons le brasseur. Aujourd'hui, il y a trois bières. L'an prochain, nous installerons ici une microbrasserie. Une bière d'abbaye doit répondre à certains critères : elle doit refermenter en bouteille, elle doit avoir un lien avec une abbaye vivante ou morte. Et une partie des revenus de la bière aident l'abbaye qui porte son nom."
Fromagerie rachetée par le groupe Bel en 1990
Un an ou deux après avoir conçu la bière, le moine s'est dit : servons un fromage. D'abord, ce fut d'abord du gouda. Ensuite, les moines ont décidé de créer leur propre fromage. Mais les vaches ne faisaient pas un bon lait. Les moines ont fait un deal avec la laiterie de Herve. En visitant les lieux, les spécialistes de Herve se sont rendu compte que les caves de Maredsous convenaient magnifiquement pour le fromage, d'autant qu'y vivait une petite bestiole qui donnait son goût au fromage et qui ne vit que là. "C'est ce qui lui donne ce côté onctueux, différent, reconnaissable entre tous. Alors, tous les fromages étaient ronds. Herve a proposé une nouvelle forme de fromage, rectangulaire. Nous avons conçu un fromage qui a la forme du pain sur laquelle on va déposer son fromage. C'était un coup d'essai. Cela a bien marché et d'autres fromages nous ont imités."
Dans les années 60, l'abbaye s'est sentie dépassée par le succès. L'abbaye a cédé son entreprise à quatre familles pour gérer la fromagerie. Elles ont développé l'entreprise avec un contrat de royalties pour l'abbaye. "Cela nous a déchargés mais cela réduit les rentrées et le développement de la marque. En 1990, le tout a été racheté par le groupe Bel, deuxième groupe français laitier (Vache qui rit Babybel, etc.). Nous sommes donc adossés à un grand groupe."
L’abbaye remplit donc aussi un rôle social et économique important dans la région puisqu’elle offre du travail à 200 personnes et plus de 150 jeunes qui y effectuent des jobs.
Les moines de Maredsous appliquent donc à la lettre la règle de Saint Benoît Ora et labora, prie et travaille, même si, formellement ce n'est pas lui qui a écrit ces mots. On a résumé sa règle par ces deux mots. Conclusion du père abbé : "Si on travaille tellement, c'est parce que nous ne sommes pas très riches." Lui, il fait sienne cette phrase attribuée à Saint-François : "Fais ce qui est nécessaire, ensuite fais ton possible et tu verras que tu as accompli l'impossible."
Le Calendrier des festivités du 150e anniversaire
16 octobre 10 h : Messe pontificale présidée par le Cardinal Jozef De Kesel, avec les Petits chanteurs de Belgique. Leurs Majestés le Roi et la Reine assisteront à cette messe pontificale. À la fin de la célébration, les Souverains rencontreront les moines de l'abbaye.
22 octobre : JMJ. Rassemblement des JMJ de Belgique (Journée mondiale de la jeunesse).
27 octobre : Inauguration. de la micro-brasserie de Maredsous
29 octobre : Présentation du carnet d'aquarelles "Le temps consacré", d'Ariane De Briey.
https://www.maredsous.com/jubile-de-labbaye-de-maredsous-1872-2022