Géorgie, la grande évasion
Dépaysement complet dans un petit pays extraordinairement contrasté, qui doit aussi composer avec des voisins encombrants.
- Publié le 02-09-2023 à 16h34
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Il est difficile, lorsqu’on est à Tbilissi, de ne pas sentir la présence de Russes fuyant le régime de Poutine ou d’Ukrainiens originaires des territoires occupés. L’occasion est belle, d’ailleurs, de parler avec certains, c’est même plutôt eux qui viennent à vous. Comme Olga, originaire de Khabarovsk, montrant son sac à dos. “Depuis le 24 février 2022, c’est mon unique richesse : j’ai trop honte de mon pays dont j’ai franchi la frontière dès le 28.” Anastassia, elle, avoue y revenir régulièrement et se tient informée via le VPN, “comme beaucoup de jeunes de ma région. Poutine et ses sbires ne pourront jamais contrôler ce canal”. D’autres, enfin, plus âgés, lancent un “tout cela, c’est politique, cela ne nous regarde pas” d’un ton un peu gêné quand même.
Youlia et Iaroslav, eux, originaires de Melitopol, sont passés en octobre dernier en traversant cette Russie abhorrée. “C’était hallucinant, aux check-points, plus je racontais un truc gros comme une maison pour justifier notre présence, plus cela passait aux yeux des policiers russes”, explique Iaroslav, désormais à Amsterdam où il a pu reprendre ses activités d’agronome.
Dans cette région du Caucase également agitée par le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sur l’Artsakh et marquée par les tensions entre Turquie et Arménie, la Géorgie demeure l’unique lieu de passage pour ceux désirant passer d’un État à l’autre.
Et les Géorgiens, en ces temps tourmentés, gardent le sourire et le sens de l’accueil. Eux non plus n’ont pas été épargnés avec l’amputation, en 2008, de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par la Russie. L’Adjarie a bien failli passer aussi sous la coupe du grand voisin mais un statut d'autonomie et de zone franche pour cette région côtière a permis d'éviter ce scénario. Aujourd’hui, Batoumi, la grande cité portuaire, connaît un développement spectaculaire, avec des gratte-ciel particulièrement impressionnants. Heureusement, le centre historique, avec ses quartiers Belle Époque et Art nouveau, vaut largement le détour, avec aussi de nouveaux lieux de détente rappelant l’Italie. La ville possède aussi deux monuments récents emblématiques, la mouvante statue d’Ali et Nino, symbolisant la Géorgie au croisement des mondes oriental et occidental. Dans leur mouvement, à un moment, les deux corps n’en forment plus qu’un. Tout à côté, la tour de l’Alphabet rappelle que la Géorgie possède le plus ancien alphabet encore utilisé de nos jours. En direction de la frontière turque, les ruines de la forteresse romaine de Gonio-Apsarus, datant du Ier siècle, sont particulièrement impressionnantes par les dimensions de l’enceinte (222 m sur 195) percée de 18 portes (elle en comptait 22 à l’origine). Si, comme nous, vous avez la chance de tomber sur le directeur polonais des fouilles, le site vous paraîtra déjà un peu plus clair, et vous en apprendrez plus sur cette Colchide légendaire des anciens Grecs, prospérant déjà 13 siècles avant JC. Batoumi abrite aussi une statue de Médée tenant en main la toison d’or.


La Svanétie mystérieuse
De Batoumi, il est assez facile de se rendre dans l’une des régions les plus secrètes du pays, et sans doute l’une des mieux préservées et protégées en Europe. Il faut dire que la petite route qui mène à la Svanétie est particulièrement tortueuse et abîmée, tandis qu’à l’autre extrémité, les sommets à plus de 5 000 mètres, font qu’aucun envahisseur venant du nord n’a jamais pu pénétrer dans cette région dont les tours de guet médiévales constituent la principale curiosité. Imaginez la ville de San Giminiano et ses 19 tours, en Toscane. Ici, ce sont plus de deux cents de ces vieilles dames qui ponctuent un paysage somptueux. Mestia, la “capitale”, est le rapprochement de six hameaux. Une route quasiment impraticable mène à une station de sports d’hiver, mais surtout au village d’Ouchguli. Par mauvais temps, comme nous l’avons vécu, cette vision du “bout du bout du monde” est sans doute l’un des plus grands moments du voyage. Le musée d’art et d’archéologie de Mestia, rassemblant des objets conservés précautionneusement par les habitants à l’époque soviétique, est l’un des plus beaux et des plus modernes du pays.


Il est temps de poursuivre. À mi-chemin vers Tbilissi, la ville de Koutaïssi a eu son moment de gloire au début des années 2000 lorsqu’elle fut déclarée capitale administrative du pays. Cela dura une législature. Si la ville elle-même n’est pas la plus intéressante du pays – on n’oubliera pas de signaler la splendide cathédrale de Bragati, du XIe siècle, dominant la ville (reconstruite et même fortement remaniée ensuite, elle fut retirée du patrimoine de l’Unesco en 2017) –, elle peut constituer un bon point de départ pour quelques excursions, d’abord vers le monastère de Gélati, du début du XIIe siècle, qui deviendra un grand centre intellectuel au point de recevoir le surnom de “nouvelle Athènes” ou de “second Athos”.
L’autre atout de cette région autrefois appelée Iméréthie, c’est la grotte de Prométhée. Un tel nom nous rappelle une fois de plus que la Géorgie fit partie du monde grec. Comme la grotte de Han, cette merveille de la nature abrite une rivière souterraine. Une autre grotte toute proche est connue pour sa stalagmite en forme de cœur. Au débouché de la grotte, une passerelle vous invite à marcher au-dessus du vide pour profiter d’une vue exceptionnelle.

Mtskheta, l'une des plus anciennes cités d'Europe
Pays relativement petit, la Géorgie peut aussi quasiment se visiter en prenant comme point de départ des excursions la capitale Tbilissi, ville fondée au Ve siècle après JV par Vakhtang Ier d’Ibérie (c’est bien le nom de la région ; rien à voir avec l’Espagne, donc), séduit par les sources d’eaux chaudes sulfurisées qu’il y trouva. Il délaissa ainsi Mtskheta, jusque-là l’une des plus importantes villes d’Europe pendant au moins dix siècles. Berceau du christianisme en Géorgie (deuxième pays ayant adopté cette religion après l’Arménie), Mtskheta conserve de très nombreux monuments anciens. Le mur d’enceinte de la ville aurait été construit par l’ancêtre de Nimrod, Ardam.
Bénéficiant d’un climat plus humide que sa voisine arménienne, la Géorgie est tout aussi célèbre pour ses églises et monastères posés dans une nature exceptionnelle, comme l’ermitage de Kazbegi (ou Stepantsminda, Saint-Stéphane), le long de l’étonnante route militaire construite à l’époque soviétique, principal point de passage avec la Russie.

Autre excursion à ne manquer sous aucun prétexte, ce sera celle menant à la forteresse d’Akhaltsikhe. Construit au IXe siècle, ce château de Lomsia sera reconstruit au XIIe pour prendre le nom actuel d’Akhaltsikhe, aussi dénommé Rabati par les marchands principalement juifs et arabes qui faisaient prospérer la région. Demeurant dans l’Empire byzantin, il passera à l’Empire ottoman à la chute de Constantinople. C’est ainsi qu’en son sein, on retrouve des influences tant occidentales qu’orientales, mosquée et église orthodoxe y cohabitant. On y trouve encore une madrasa ou des bains. Non loin de là, le monastère troglodyte de Varzdya (XIIe siècle, surtout) est un autre incontournable, avec ses grottes s’étendant sur 500 mètres et sur 19 niveaux.


Mais revenons à Tbilissi, dont la carte postale idéale est celle montrant le Meidan, cette place située le long du fleuve Koura et donnant accès à la vieille ville où on retrouve l’église arménienne, la grande synagogue située dans le quartier juif, diverses églises anciennes ou encore un ancien caravansérail. Non loin, les bains et la grande mosquée aux mosaïques bleues. Surtout, ce qui fait le pittoresque du lieu, ce sont toutes les maisons aux balcons de bois lovées le long de la colline au sommet de laquelle se trouve la forteresse de Narikala. De l’autre côté de la rivière, l’église Metekhi de l’Assomption avec la statue équestre du roi Vakhtang Gorgasali. Le soir, à Meidan, des concerts de rue permettent à des danseurs de montrer leur talent avec des mouvements rappelant leur côté guerrier. Musées, quartier classique et Art nouveau complètent cette ville absolument passionnante.

Un vin vieux de 8000 ans
Ne pas évoquer le vin en parlant de la Géorgie serait une faute professionnelle. Là aussi, le pays est le berceau de la vinification, jusqu’à preuve du contraire. Le qvevri est ce vin vieilli dans des jarres en argile enfouies dans le sol, ce qui lui donne une couleur ambrée. Depuis l’indépendance, les vignerons replantent des cépages traditionnels, donnant un vin sec, alors que l’époque soviétique était aux vins doux, toujours prisés des touristes russes. Kisi, en blanc, et saperavi, en rouge, sont les principaux cépages de la région de Kakhétie, où se trouve notamment le domaine Mosmieri, fondé de toutes pièces voici dix ans par un Allemand partageant son temps avec… Woluwe-Saint-Pierre. Passer une nuit au domaine, du côté de Telavi, est un must. La Toscane semble bien proche…

Europalia Géorgie vous apportera encore d’autres merveilles de ce pays en Belgique au second semestre.