La chaussure va devenir de plus en plus communicante
Professeur à l’Institut français de la mode (IFM), historienne, Florence Müller a dirigé le musée de la mode. Elle s’est passionnée pour la sneaker à la fin des années 90. C’est à cette époque qu’elle a commis un \"Baskets\" (éditions du Regard, 1997), peut-être le seul ouvrage illustré dédié à l’odyssée de la sneaker, des terrains de croquet aux podiums des défilés en passant par le macadam urbain.
- Publié le 04-08-2009 à 00h00
Professeur à l’Institut français de la mode (IFM), historienne, Florence Müller a dirigé le musée de la mode. Elle s’est passionnée pour la sneaker à la fin des années 90. C’est à cette époque qu’elle a commis un "Baskets" (éditions du Regard, 1997), peut-être le seul ouvrage illustré dédié à l’odyssée de la sneaker, des terrains de croquet aux podiums des défilés en passant par le macadam urbain.
Où en est aujourd'hui la sneaker, cette chaussure de sport qui sert de moins en moins à faire du sport et qui représente un colossal marché annuel de plus de 25 milliards de dollars ?
Les années 2000 sont celles d’un retour à un certain classicisme, aux valeurs basiques de la basket. On revient à des chaussures plus fines, simples et légères, sans cette surenchère technologique qui caractérisait les années 90. L’idéal de ces années-là, c’était celui d’un modèle accompagnant le mouvement de la marche, de la course, en améliorant la performance naturelle du pied. La sneaker était déjà un accessoire de mode mais les fabricants ne voulaient pas communiquer sous cet angle, le discours restait centré sur la performance sportive.
Cette époque avait son icône absolue, Michael "Air" Jordan, ses codes validés par la rue et sa "street credibility". Aujourd’hui, les sportifs ne sont plus les seules icônes de la chaussure de sport, elle a essaimé partout, s’est ramifiée, diversifiée.
La sneaker a-t-elle définitivement basculé dans l'industrie de la mode ?
Tout à fait. Regardez Puma, qui vient d’être racheté par PPR, un groupe qui met surtout en avant sa composante luxe, avec Gucci. Plus que d’autres, Puma a décidé de jouer la carte de la mode et investit surtout dans la recherche esthétique. Autre signe, toutes les marques ont aujourd’hui adopté la saisonnalité de la mode avec des collections été et hiver, des lignes différenciées en fonction des clientèles de centre-ville et de périphérie, de grandes et petites surfaces.
Certes pas nouvelles, les associations de fabricants de sneakers avec de grands noms de la mode - qui ont presque tous leurs lignes de baskets - se multiplient (Alexander McQueen et Puma, Stella McCartney ou Yamamoto avec Adidas). Bref, si par mode on entend ce qui se démode, la sneaker est plus que jamais rentrée dans son orbite même si certaines marques, comme Nike, continuent de se revendiquer comme sportives.
Comment jugez-vous l'attirance actuelle pour le rétro, les modèles vintage, cette manière de revisiter l'histoire pourtant encore toute récente de la basket ?
Qui dit mode dit recyclage permanent. Pour exister, l’amateur de sneakers doit se différencier, se distinguer, et les marques l’ont compris. Elles rivalisent d’imagination en déployant un marketing de plus en plus sophistiqué pour séduire ces "sneaker addicts" (dépendants à la basket) qui sont devenus une source de profit non négligeable. Non seulement les rééditions et les séries limitées ne coûtent pratiquement rien mais elles permettent d’entretenir la pénurie ou l’extrême rareté d’un marché qui n’est plus seulement de masse. Il a explosé en une myriade de niches et de courants de plus en plus pointus.
L’autre tendance, c’est bien ce retour à des sneakers plus fines et élégantes, comme on les dessinait chez Nike ou Adidas dans les années 70. Il y a un attrait pour la sneaker préhistorique dont la beauté et la forme, pure et parfaite, ne se discutent pas. Comme pour une robe de chez Saint-Laurent. C’est le cas avec des modèles comme la Gazelle et la Stan Smith d’Adidas, les premiers modèles de running de Nike, etc. Lorsque la Air Force One de Nike est ressortie au début des années 2000, elle s’est vendue à 15 millions d’exemplaires alors que c’était un modèle vieux de vingt ans.
Mais qu'était la basket ou sneaker avant d'être à la mode ?
Une chaussure que l’on ne portait que pour faire du sport, réservée aux classes aisées, les seules à le pratiquer, et en même temps, souvent pas du tout conçue pour le sport ! Au début du siècle, les femmes pratiquaient la gymnastique avec des chaussures à talons, le tennis se jouait en espadrilles hautes ou en chaussures de ville. Il n’y avait aucune ergonomie, aucun esprit pratique, ce n’est venu qu’à partir des années 1920-1930 avec l’émergence du caoutchouc.
Et ensuite, comment Greta Garbo, Katharine Hepburn ou James Dean en sont arrivées à s'afficher en sneakers dans les années 50 ?
Le mocassin puis la chaussure de sport ont fait leur apparition sur les campus dans ces années-là et, dès lors, la sneaker n’a plus cessé de se démocratiser avec un décloisonnement progressif de la distinction entre tenues de ville et de sport. Les working girls ont commencé à les porter pour aller au bureau avant d’enfiler leurs talons dans l’ascenseur, le hip-hop a fait son œuvre dans la rue et les gens de mode comme Gaultier s’en sont emparés. Un des ressorts de leur création était de composer des looks avec des chocs improbables, genre pompes de boxeur avec robe ultrachic. A partir de là, il devenait acceptable socialement de rester élégante tout en portant des sneakers. Mais la mode n’est pas linéaire, il y a aussi eu des remises en cause, des retours en arrière.
Et maintenant, est-on arrivé au terme de l'histoire ?
Non, il reste beaucoup de choses à défricher. La chaussure va devenir de plus en plus communicante (en se dotant de puces) ou personnalisable comme avec le service Nike ID [service, notamment accessible sur Internet, permettant de choisir les logos et couleurs de sa basket, NdlR]. Elle peut aussi jouer sur l’hybridation, de ville et de sport, à porter en short ou en costume, etc. La basket est bien aujourd’hui l’accessoire de mode ultime, le dernier champ de déploiement de marques qui ont déjà décliné leur créativité dans les sacs, les parfums ou les lunettes. Un marché colossal qui s’adresse au consommateur tout au long de sa vie puisqu’il existe de bonnes raisons de porter des sneakers à chaque âge, de 0 à bientôt plus de 100 ans.